Alors qu’elle devrait être adoptée par le CNT ce jeudi, la loi portant militarisation de la Police nationale et de la Protection civile, saluée par une partie de la population, amènera les éléments de ces forces à être déployées sur les « terrains chauds » et à aider l’armée dans la lutte contre le terrorisme. Le syndicalisme sera en outre supprimé. Si ces éléments sont clairs, d’autres sont pour l’heure plus confus, notamment la transposition des grades.
D’une pierre deux coups. Armer les policiers dans la lutte contre le terrorisme et mettre fin au syndicalisme de ce corps, dont les revendications se faisaient plus prégnantes. Les policiers déployés dans les zones de conflits, dépourvus d’armes lourdes au vu de leur statut de paramilitaires, en auront désormais pour appuyer l’armée contre le terrorisme. « Actuellement, on a affaire à des terroristes qui viennent avec des armes de guerre. Nous sommes aussi exposés que les militaires, sinon plus, car, étant plus près de la population, nous devenons des cibles plus faciles ici, où les armes circulent librement. Face à eux, avec nos PA (Armes automatiques, NDRL), il est difficile de les contrer », explique un sous-officier de la police déployé au sein du Groupement mobile de sécurité (GMS) de Gao.
Rien qu’en 2022, plusieurs policiers ont perdu la vie dans des attaques terroristes : deux le 21 février à Tombouctou, un autre dans la nuit du 23 au 24 juin à Fana, cinq le 7 août sur l’axe Koury – Koutiala…
« Nous sommes depuis quelques années dans une situation exceptionnelle. Une dynamique sécuritaire qui a pris des proportions que le pays n’avait jamais connues jusque là. L’État ne joue plus son rôle régalien sur une bonne partie du territoire du fait de cette crise sécuritaire. Ce contexte assez particulier oblige à adapter les réponses sécuritaires. Cette volonté de militarisation de la police s’inscrit dans la recherche d’une réponse coordonnée autour de la problématique du retour de l’État dans les zones où il est absent », explique Soumaïla Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la Réforme du secteur de la sécurité.
C’est d’ailleurs « au regard de la situation sécuritaire et des défis multiples auxquels les forces de défense font face » que le gouvernement explique dans son projet de loi sa décision de militariser la Police nationale.
Ainsi, en plus de ses missions classiques de maintien de l’ordre et de police judiciaire, elle pourra être déployée dans les zones reconquises par l’armée afin d’y assurer la sécurité des populations et de leurs biens et d’empêcher le retour des terroristes. Les agents bénéficieront de ce fait, selon le projet de loi du gouvernement, des mêmes avantages que les autres militaires engagés en opérations. Tout comme les sapeurs pompiers, qui seront aussi militarisés pour couvrir « l’arrière des forces engagées au combat » en appuyant la Police.
Discipline militaire
D’un autre côté, les autorités de la Transition mettront fin aux revendications syndicales de la Police nationale. Il lui sera appliqué la discipline militaire : le strict respect des règles, de l’ordre et de la rigueur. Les différents syndicats de la police nationale (14) seront supprimés. Ce dernier point constitue pour plusieurs observateurs la véritable raison « inavouée » des autorités de la Transition d’adopter le projet de texte, « presque en catimini », en plus au lendemain du 4 octobre (Journée de la Police) et après les renouvellements de certains bureaux des syndicats des Officiers et des Commissaires, notamment celui du Syndicat national des Commissaires de Police du Mali, le 1er octobre dernier.
Adoptée, la loi mettra aussi fin à « l’accentuation des attitudes peu orthodoxes : des Directeurs généraux, nationaux et hauts gradés du corps parfois menacés et pourchassés par des policiers mécontents, des policiers en cortège dans les rues de la capitale, le refus d’obtempérer à l’ordre hiérarchique », croit le Dr Aly Tounkara, expert défense et sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S).
En effet, depuis le début de la Transition, les policiers se sont fait remarquer. Le 3 septembre 2021, ils étaient une centaine à prendre d’assaut la Maison centrale d’arrêt de Bamako pour exiger la libération du chef des Forces spéciales antiterroristes (FORSAT), le Commissaire divisionnaire Oumar Samaké, placé en détention dans le cadre de l’enquête sur la répression, en juillet 2020, du mouvement de contestation, sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Et, depuis l’unification de la grille indiciaire des personnels relevant des statuts des fonctionnaires de l’État, des Collectivités territoriales, des statuts autonomes et des militaires par l’Ordonnance 2021 n°2021-003 du 16 juillet 2022, signée par le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, les syndicats de police ne cessent de dénoncer par des manifestations une « discrimination » et une « marginalisation » de la Police nationale, « ignorée » dans la transposition de la grille salariale unifiée.
Inquiétudes
« Le sentiment partagé par beaucoup de policiers vis à vis du projet de militarisation est que la démarche n’a pas été inclusive et démocratique. C’est comme si les concernés n’avaient pas eu droit à la parole », constate Dr Aly Tounkara. La synergie des syndicats de la police a dans un communiqué en date du 19 octobre déploré que ce projet n’a fait l’objet d’aucune consultation des acteurs concernés. Lors d’une séance d’écoute avec la commission du CNT en charge du dossier, les deux représentants des syndicats ont insisté sur la nécessité d’un renvoi pour mener des discussions préalables afin d’aboutir à un projet consensuel, la préservation des acquis en terme d’avantages, des garanties en amont du maintien des corps et grades en ayant des équivalences avec ceux de l’armée afin d’avoir une grille harmonisée dans le nouveau statut.
Plusieurs syndicalistes de la police voient en la militarisation « une volonté de nous empêcher de lutter pour nos droits. Sinon, nos éléments sont déjà présents dans plusieurs localités à risques », indique un président de syndicat sous couvert de l’anonymat. Selon ce dernier, par respect pour les policiers, les autorités de la Transition auraient dû rassembler l’ensemble des syndicats de la Police pour prendre leur avis et leur expliquer comment va être mise en place la militarisation. « Jusqu’à présent, on ne sait pas clairement tout ce qu’elle va impliquer », déplore-t-il.
Dans le projet de loi du gouvernement, quelques indications sont esquissées. L’article 2 indique que les fonctionnaires de la Police nationale et de la Protection civile seront gérés par le Statut général des militaires, en les plaçant sous l’autorité du ministre en charge de la Sécurité. Le ministère de la Sécurité et de celui de la Défense ne seront donc pas liés, comme ce fut le cas par le passé lorsque la police était militarisée. En outre, l’article 3 annonce la relecture de l’Ordonnance no 2016-020/P-RM du 18 août 2016, modifiée, portant Statut général des militaires. Laissant ainsi croire à une future harmonisation des statuts de la Police et des militaires.
Les inquiétudes n’en demeurent pas moins. « Les grades de la police, tels que commissaire, inspecteur et commandant doivent-ils être transposés à la lumière de ceux de l’armée avec les avantages y afférents ? Comment rester aussi proches de la population et agir en militaires ? La militarisation est-elle un gage suffisant pour plus d’éthique et de morale chez l’agent de Police ? Comment convaincre les partenaires au développement de continuer à soutenir la Police et la Protection civile en termes de formation et d’équipement en dépit de leur militarisation ? ». Autant de questions auxquelles, selon le Dr Aly Tounkara, il faudra apporter des éléments de réponse probants.
Concernant la transposition des grades, des policiers s’insurgent déjà. « Je ne peux pas être chef à la police et que, par cette militarisation, un subordonné d’un autre corps soit supérieur à moi », met en garde un officier supérieur. Parlant de ce point dans une interview récente, le premier Secrétaire général du Syndicat de la police nationale, l’Inspecteur Général de police à la retraite Mahamadou Zoumana Sidibé, promeut une concertation entre les différents corps concernés (Armée régulière, Gendarmerie nationale, Protection civile et Police nationale), pour faire « la confrontation des grades. On prend ce qui est à prendre et on laisse ce qui est à laisser », suggère-t-il.
Mutations
Au Mali, la militarisation de la police n’est pas nouvelle. Depuis sa création, le 31 juillet 1925, par un arrêté du Gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française, la Police nationale a subi plusieurs mutations de militaire à paramilitaire. En février 1968, sous Modibo Keïta, elle a connu une semi-militarisation marquée par la dissolution des syndicats et son administration avait été confiée au Secrétaire d’État chargé de la Défense et de la sécurité. En 1973, elle est devenue un corps militaire avec des grades d’appellations militaires et était composée de cinq corps : officier, aspirant, inspecteur, gardien de paix, brigadier et brigadier-chef. Elle a été démilitarisées en 1993 en application d’une recommandation de la Conférence nationale. Moins de 30 ans après, une autre concertation sociale (les Assises nationales de la refondation, tenues les 11 et 12 décembre 2021), veut à nouveau remettre les policiers dans les rangs de l’armée. Pour lutter contre le terrorisme et le syndicalisme, au passage.
Source : Journal du Mali