En seulement quelques semaines, les inondations ont ravagé plusieurs pays du Sahel, laissant derrière elles un bilan humain et matériel dévastateur. Au Niger, 129 vies ont été fauchées, tandis que 219 755 personnes se retrouvent sans abri. Au Tchad, 54 personnes ont péri en moins d’une semaine, et au Mali, 15 décès ont été enregistrés, avec des milliers de sinistrés. Les pertes agricoles et pastorales viennent aggraver une situation déjà critique.
Il est facile, face à la violence des inondations qui ravagent le Mali et d’autres pays du Sahel, de pointer du doigt le changement climatique comme la cause unique de ces catastrophes. Les médias en parlent abondamment, les experts multiplient les mises en garde, et la communauté internationale s’accorde à dire que les événements météorologiques extrêmes deviennent plus fréquents en raison du réchauffement global. Pourtant, s’arrêter à cette seule explication serait un raccourci simpliste, qui risque de nous faire perdre de vue une réalité plus complexe et ancrée dans l’histoire.
La dialectique des saisons pluvieuses
Le Sahel, cette vaste bande semi-aride qui s’étend sous le Sahara, a toujours été une région marquée par des cycles climatiques. Des anciens, on raconte qu’il y a bien longtemps, ces terres connaissaient des saisons de pluies abondantes. Les rivières étaient pleines, les champs luxuriants, et les habitants adaptaient leur mode de vie à cette générosité de la nature. Les villages se construisaient sur des hauteurs, les habitations étaient pensées pour résister aux crues, et des canaux étaient creusés pour diriger les excès d’eau vers les champs, où ils étaient une bénédiction plus qu’une menace.
Puis, après cette période d’abondance, le climat changea. Les pluies se firent plus rares, les rivières se tarirent, et le Sahel entra dans une période de sécheresse prolongée. Cette petite pluviométrie dura des décennies, façonnant le paysage et les mentalités. Les hommes durent s’adapter à cette nouvelle réalité, en inventant de nouvelles techniques d’irrigation, en apprenant à cultiver des plantes plus résistantes, et en ajustant leurs modes de vie à cette nouvelle normalité. Cette période de sécheresse a imprégné la mémoire collective, à tel point qu’elle est souvent perçue comme la norme, reléguant les grandes pluies du passé au rang de légende.
Aujourd’hui, nous assistons à un retour des pluies intenses. Les inondations sont devenues fréquentes, emportant avec elles des vies humaines, détruisant des maisons, et causant des dégâts matériels considérables. Et naturellement, beaucoup cherchent à comprendre pourquoi. Le changement climatique, ce phénomène global dont les effets sont bien réels, est rapidement désigné comme le coupable principal. On oublie cependant que ces cycles de pluviométrie ont toujours existé, bien avant que l’on parle de réchauffement planétaire.
Ne pas oublier la responsabilité humaine
Les anciens n’avaient pas les outils modernes pour mesurer les changements climatiques, mais ils observaient la nature avec attention, adaptant leurs pratiques en fonction des variations de leur environnement. Ils savaient que les cycles de la nature sont imprévisibles, qu’après une période de sécheresse pouvait venir une période de pluies abondantes, et ils s’y préparaient. Cette sagesse empirique, forgée par des siècles de cohabitation avec un climat capricieux, a permis à leurs sociétés de survivre et de prospérer, malgré les défis imposés par la nature.
Aujourd’hui, face au retour des grandes pluies, nous semblons avoir perdu cette capacité d’adaptation. Les infrastructures modernes, construites durant la période de faible pluviométrie, ne sont souvent pas conçues pour résister à des inondations majeures. Les habitations se sont multipliées dans des zones inondables, les canaux de drainage sont insuffisants ou mal entretenus, et les constructions anarchiques se sont installées là où elles n’auraient jamais dû voir le jour. Les inondations, autrefois gérées par des pratiques communautaires éprouvées, deviennent désormais des catastrophes nationales, avec des bilans humains et matériels de plus en plus lourds.
Blâmer uniquement le changement climatique pour ces désastres serait non seulement injuste, mais aussi contre-productif. Cela reviendrait à ignorer les responsabilités locales, à négliger les erreurs de planification urbaine, et à oublier les leçons du passé. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas seulement de la vigilance face aux aléas climatiques globaux, mais aussi un retour à une gestion plus prudente et respectueuse de notre environnement local.
Eviter que l’histoire ne se répète sous une forme plus destructrice
Nous devons réapprendre à vivre avec l’eau, à anticiper les crues, à bâtir en harmonie avec les cycles naturels, plutôt que contre eux. Ce n’est pas en niant le changement climatique, mais en refusant de tout lui attribuer, que nous pourrons trouver des solutions durables. Les anciens savaient que la nature ne se dompte pas, mais qu’on peut s’y adapter intelligemment. En renouant avec cette sagesse, en combinant les connaissances modernes avec les pratiques traditionnelles, nous pourrions mieux nous préparer aux défis à venir.
L’histoire climatique du Sahel nous enseigne une chose : les cycles de la nature sont inévitables, mais leurs conséquences dépendent largement de notre capacité à nous adapter. Plutôt que de céder à un fatalisme attribué au changement climatique, il est temps de repenser notre rapport à l’eau, de reconstruire avec plus de résilience, et de tirer les véritables leçons de l’histoire. Car si les pluies reviennent inlassablement, notre réponse, elle, doit évoluer pour éviter que l’histoire ne se répète sous une forme toujours plus destructrice.
Chiencoro Diarra
Source: Sahel Tribune