Après la confirmation de leur départ du G 5, ce regroupement voulu et animé par la diplomatie française, mais jamais vraiment entériné par les Africains, le Burkina, le Mali et le Niger pourraient se retirer de la CEDEAO. Voire envoyer le courrier, qui prend effet au bout de 6 mois suivant l’expédition, demandant leur sortie de l’UEMOA et quitter peut-être demain la zone franc.Un article d’Olivier Vallée
Le site malien « le Sphinx », bien avant que cela ne semble possible, avait évoqué les menaces d’éclatement de l’UEMOA du fait de la conflictualité introduite par les États membres opposés aux changements de régimes imposés par les militaires. Ce n’est pas l’heure de revenir sur la myopie politique du reproche fait aux officiers supérieurs de se saisir de la défense de leur patrie, face à l’incurie des civils. Mais plutôt de s’interroger sur les raisons de sortir de ces organisations, dont une conditionne l’appartenance à la zone du franc CFA. Prendre en compte les motifs de l’option de la sortie (exit option) ne doit pas oblitérer les contraintes structurelles et pérennes qui pèsent au-delà sur les pays de l’AES.
L’héritage forcé de la dette
Quand une situation devient intenable, une des dernières solutions est d’en sortir, ce qu’en anglais on désigne comme exit option. Les États de l’Alliance du Sahel ont été confrontés, du fait des sanctions qui se sont abattues sur eux, à la rupture de certains de leurs engagements.
Sans accès au marché financiers en raison du blocus de la CEDEAO le Mali a connu un défaut technique du service de la dette causant ainsi un stock d’arriérés de 200 millions USD. Finalement après de vagues annonces sur un calendrier électoral, le Mali a bénéficié d’une levée des sanctions. Pour le Niger qui avait osé s’en prendre au président Bazoum, la clémence de la CEDEAO se fait attendre. Le nouveau Premier ministre, Ali Lamine Zeine, fait face, du fait du gel par la BCEAO des avoirs du Niger, à une difficile équation. Il doit procéder à une réconciliation de la dette publique qui était entourée de nombreuses zones d’ombre tant du temps d’Issoufou que du président déchu Bazoum. N’ayant plus accès au marché financier, le Niger est exposé à la dégradation de l’appréciation de son risque souveraine et se voit fermé les sources traditionnelles de crédit tant par les créanciers publics multilatéraux que par les banques commerciales.
Pourtant la CEDEAO, organisation regroupant les États membres de l’UEMOA, mais aussi des pays anglophones conséquents comme le Nigéria et le Ghana, peut annoncer un PIB consolidé de 800 milliards USD et pourrait alimenter un marché monétaire et des capitaux à hauteur de 150 milliards USD. Le Ghana, dans ce sens, a aidé la Gambie, le Libéria, la Sierra Leone et la Guinée francophone à se financer en devises et en crédits, à travers des plateformes bénéficiant de son expertise. La plupart de ces nations mentionnées se rangent du côté du Niger dans sa poursuite d’une trajectoire indépendante, tant pour mener la guerre aux groupes armés, que pour développer une capacité de manœuvre économique et financière hors des contraintes de la BCEAO.
Le Sahel laboratoire…
Le Mali semble donner des pistes pour comprendre comment le Niger pourrait sortir lui aussi d’un schéma antérieur et intenable, dissociant conduite de la guerre et gestion des ressources nationales. Désormais l’État malien hausse sa participation dans les mines d’or à 33%. Par ailleurs Wagner reçoit 200 millions USD par mois à partir du budget de l’État et dispose de concessions de ressources minières. Les États de l’AES, pour quitter le cadre français de la guerre sahélienne, reposant sur l’édification à marche forcée du G 5, doivent en même temps activer d’autres coopérations militaires et trouver des ressources financières. Ce qui en clair signifie s’associer à d’autres partenaires dans ces deux domaines. Les pays du Sahel semblent mener soit des expériences d’avant-garde, soit se diriger vers une marginalisation par rapport aux marchés financiers domestiques et internationaux.
L’illustration d’une mutation
Le Sénégal, regardé favorablement par le G 20, comme par Paris, attire par contre les investissements de la Chine et du Golfe. Les Émirats Arabes Unis créent un nouveau port de Dakar et le gèrent pour un milliard USD. Ce sont également les revenus qu’envoient les Sénégalais de l’étranger qui équilibrent la balance des paiements pour 3 milliards USD chaque année, soit 10% du PIB. La combinaison gagnante du modèle sénégalais convoque les investissements venus d’Orient et les transferts des Sénégalais expatriés. L’aide publique au développement classique a cessé d’être le moteur de la dynamique économique et financière de l’Afrique de l’Ouest. La démocratie sénégalaise a des hoquets et l’Occident n’est plus en mesure de lui imposer toutes ses règles car il a cessé d’être son principal bailleur de fonds.
Le Cameroun, auquel la France achète de plus en plus d’hydrocarbures, se voit cependant bien menacé, du fait du passage d’une note B à C, infligée par l’agence de notation Moody’s. On l’oublie parfois, cela fait 5 ans que Paul Biya est en guerre contre l’Ambazonie, dans le Sud-ouest anglophone de son pays. Israéliens et Européens continuent à l’aider dans cette guerre fratricide qui pèse sur les comptes publics. Surtout Moody’s n’a pas l’indulgence coupable de l’Union européenne et de la Banque mondiale et relève la gestion douteuse de la dette et la mauvaise gouvernance des finances publiques. Cela ne nous éloigne pas du Niger. Le Cameroun est déclassé par la note C car il n’a pas remboursé un prêt de la Deutsche Bank. Ali Zeine, au Niger, se retrouve avec le même type de prêt couteux et à court terme, souscrit auprès de la même banque par le gouvernement d’Issoufou. Le Cameroun à la différence du Niger peut avoir accès au marché de la CEMAC, mais il doit rémunérer les bons du Trésor à plus de 6%.
Dans toute la zone du franc CFA, du fait de l’arbitraire des Banques centrales et des contraintes budgétaires, les barrières aux emprunts régionaux et internationaux, et leurs couts, font peser une tension constante sur les finances publiques et l’économie. Les exemples sénégalais et camerounais montrent que l’on ne peut réduire les dysfonctions de la zone franc aux seuls coups d’État du Sahel. Sans même le renversement de Bazoum, le remboursement de la dette publique, tant aux banques régionales qui ont souscrit des bons du Trésor, qu’à de nouveaux banquiers hasardeux comme la Deutsche Bank, n’aurait pas été possible du fait du laxisme de la surveillance du FMI.
La monnaie est politique
L’économiste qui aura le mieux établi la problématique financière et monétaire des sociétés ouest-africaines, se nomme Kai Koddenbrock, un allemand de Berlin, animateur d’un réseau de chercheurs pour lequel la politique et la monnaie sont indissociables. Leur champs de recherche replace l’économie politique des pays de la zone du franc CFA dans le vortex des pressions multiples qu’ils subissent. Alors que l’aspiration à l’accroissement de la souveraineté économique et politique parait caractériser l’AES, il n’est nécessaire, selon Kai Koddenbrock et son équipe, que ses États membres puissent trouver une « exit option » compatible avec la maitrise de leur destin. Pour le moment, pour faire face à la hausse du cout des emprunts extérieurs et aux agressions armées, ils mobilisent la ressource d’une ou deux matières premières exportées, conjuguée à l’appui étranger, sous forme militaire et financière. Kai Koddenbrock ne réduit pas la persistance financière postcoloniale à ce que Kako Nubukpo désigne comme la servitude volontaire, en somme une complicité des dirigeants africains avec la facilité du franc CFA. Celui-ci, et ce n’est pas mentionné par les jeunes souverainistes ou panafricanistes dressés contre la France, joue un rôle néfaste en ouvrant, par le pouvoir d’achat international surévalué qu’il donne, la possibilité d’achats de biens de consommation à l’extérieur. Ceux-ci très souvent concurrencent les productions nationales des industries légères avec des effets négatifs sur les débouchés, les résultats et les investissements des entreprises locales. La garantie de l’accès aux devises ne pousse pas les entreprises à chercher à l’extérieur des marchés pour contrebalancer leurs résultats déclinants; de toute façon leurs coûts, au regard de la concurrence internationale, les excluent de la compétition mondiale. Bien sûr des conceptions nationales et concurrentes du développement industriel entre pays de la même Union monétaire n’ont pas favorisé pas non plus les économies d’échelles.
La diversification de la subordination ?
Mais la servitude volontaire vis-à-vis de la France, le théorème de Kako Nubukpo, n’est pas confirmée par les chiffres. La dépendance commerciale et financières par rapport à l’ex-métropole et à l’UE n’est plus qu’un mythe. Le Mali et le Niger ont à présent comme premier client les Émirats Arabes Unis. La Chine importe plus d’uranium nigérien que la France et bientôt sera le partenaire de Niamey pour l’exportation de pétrole. La Chine et d’autres pays du Grand Sud ont remplacé la France et l’Europe comme fournisseurs également. Ce qui se perpétue, du fait de l’histoire coloniale et de la globalisation des échanges de capitaux et de marchandises, c’est une subordination financière internationale. C’est une notion qui excède la relation conflictuelle avec Paris et la CEDEAO quand on voit le poids des agences de notations et des nouveaux intermédiaires financiers comme Deutsche Bank ou les créanciers chinois. Ce sont également des contrepoids appréciables face à l’intransigeance de la CEDEAO et à l’asphyxie financière que poursuit la BCEAO vis-à-vis du Niger. L’édification d’une analyse commune des caractéristiques de leur subordination financière par les États de l’Alliance serait une étape importante et préalable au choix de leur « exit option ». Les ennemis du franc CFA le taxe de monnaie « hypercoloniale ». Ce n’est qu’un spectre qui détourne des puissances techno-politiques nichées aux sièges de la CEDEAO, de l’UEMOA et de la BCEAO. Ces bureaucraties ont trouvé des idiots utiles avec la France comme paravent et l’Union européenne comme donateur. Plutôt que de jeter le bébé du CFA avec l’eau du bain de la BCEAO, il serait temps de questionner le pouvoir exorbitant et anti-démocratique qui a été abandonné à des personnes sans mandat ni conscience. S’il l’opinion décrie les situations postcoloniales, les gouvernants ne peuvent renoncer aux potentialités régionales, dont l’AES est le symbole.
mondafrique