HISTOIRE. Le pays, qui célèbre le 60e anniversaire de son indépendance, voit les archives de cette période déclassifiées par la France. Explications.
Alors que le Cameroun a ouvert le bal de la commémoration des indépendances africaines en 2020, le mercredi 1er janvier, le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères a annoncé la déclassification des archives pour la période 1950-1971. La France s’y était engagée en 2015, sous la présidence de François Hollande, premier président, après des années de silence, à admettre « une répression » contre des nationalistes et à évoquer « des épisodes tragiques ». « Il y a eu une répression dans la Sanaga-Maritime et en pays Bamiléké et je veux que les archives soient ouvertes pour les historiens », avait-il déclaré en 2015, sans reconnaître ouvertement la responsabilité de la France. « Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a rendu accessibles les archives en sa possession de la période de l’accès à l’indépendance du Cameroun. Cela a demandé un long travail à la fois de classement et de déclassification des documents. Les fonds sont désormais classés, inventoriés et consultables en salle d’archives. Depuis que l’annonce a été faite que ces archives étaient accessibles, des chercheurs, notamment camerounais, se sont rendus sur le site de la Courneuve pour les consulter », a confirmé cette semaine la porte-parole des Affaires étrangères.
Une guerre longtemps passée sous silence
Il faut savoir que le Cameroun a été la première des quatorze colonies françaises à proclamer son indépendance en 1960, après une guerre passée sous silence et qui ne trouve toujours pas sa place dans les manuels scolaires. Après la Première Guerre mondiale, cet ancien protectorat allemand est divisé en deux territoires, sous mandat français et britannique. Après la défaite de l’Allemagne en 1918, la Société des nations (SDN, ancêtre de l’ONU), place les quatre cinquièmes du Kamerun allemand sous tutelle française, et la partie occidentale bordant le Nigeria sous tutelle britannique. La partie française devient indépendante en 1960. Un an plus tard, une partie du Cameroun sous tutelle britannique opte pour son rattachement au Nigeria et l’autre partie pour son rattachement au Cameroun francophone, pour former une République fédérale à partir du 1er octobre 1961. En 1972, les Camerounais se prononcent à 99,97 % par référendum pour une « République unie du Cameroun ».
Mais entre 1955 et 1964, des dizaines de milliers de personnes, membres de l’Union des populations du Cameroun (UPC) ou simples civils, auraient été tuées, selon Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, auteurs de l’ouvrage La Guerre du Cameroun (éditions La Découverte). Une guerre « passée inaperçue, effacée des mémoires », écrivent-ils, qui continue bien après l’indépendance du Cameroun. La répression des nationalistes se poursuit sous le régime du président Ahmadou Ahidjo (1960-1982), accusé d’avoir confisqué l’indépendance avec l’aide de la France.
Les troupes coloniales étaient à la recherche de combattants indépendantistes, membres de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Créé en 1948, ce parti anticolonialiste a fait face à une répression sanglante de l’armée française, puis camerounaise. Les nationalistes estiment que l’indépendance de 1960 n’est pas celle pour laquelle ils se sont battus, accusant les deux présidents camerounais, Ahmadou Ahidjo, puis Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, d’avoir été et d’être toujours main dans la main avec Paris.
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Ruben Um Nyobè et les héros de l’indépendance camerounaise
Dans la ville de Bafoussam, un rond-point porte le nom de « carrefour maquisard » parce qu’il était le lieu d’exposition des têtes des nationalistes décapités, assure Théophile Nono, secrétaire général de l’association Mémoire 60, à nos confrères de l’AFP. Les méthodes « allaient de l’arrestation et l’emprisonnement arbitraire de tout Camerounais soupçonné de rébellion, à la torture systématique, en passant par les exécutions sommaires extrajudiciaires », accuse-t-il. Durant de longues années, cette guerre reste un sujet largement tabou au Cameroun. C’est dans les années 1990, en pleine éclosion de revendications démocratiques, que cette chape de plomb commence à être soulevée.
« Souvenons-nous qu’avant l’indépendance, certains en avaient rêvé, ont combattu pour l’obtenir et y ont sacrifié leur vie », déclare en 2010 le président Biya, poursuivant : « Notre peuple devra leur en être éternellement reconnaissant. » L’un de ces plus illustres combattants est Ruben Um Nyobè, son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais c’est un leader indépendantiste camerounais, assassiné par l’armée française deux ans avant l’indépendance de son pays. Enterré au sein du cimetière protestant d’Eséka, près de sa ville natale du centre du Cameroun, à 121 kilomètres de Yaoundé, sa famille et des militants de son mouvement, l’UPC cherchent à faire vivre la mémoire du leader charismatique tué à 45 ans.
Son nom n’a pas la même renommée que d’autres figures du panthéon panafricain, comme le Burkinabé Thomas Sankara ou le Ghanéen Kwame Nkrumah. Mais, le 13 septembre 1958, quand Ruben Um Nyobè est tué par l’armée coloniale. « Son corps avait été traîné et exposé pour que tout le monde [découvre la dépouille de] celui qu’on croyait immortel », raconte Louis Marie Mang, militant de l’UPC à Eséka. « Pour empêcher que les rites traditionnels soient faits, il avait été ensuite mis dans un bloc de ciment et enterré, [sans] cercueil », précise-t-il. À l’époque, celui que l’on surnomme « Mpodol », ou « celui qui porte la parole » en langue bassa, est le dirigeant de l’UPC.
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Apôtre de la non-violence, Mpodol tenait à négocier. Devant la tribune des Nations unies, il prononce un discours historique le 17 décembre 1952 dans lequel il demande « la fixation d’un délai pour l’octroi de l’indépendance au peuple camerounais ». Mais l’administration coloniale qualifie l’UPC de parti « communiste » et opte pour la répression dès 1955, forçant Ruben Um Nyobè et ses partisans à entrer dans la clandestinité.
Sa mort ne met pas un terme aux affrontements entre indépendantistes et armée coloniale. Après la proclamation de l’indépendance le 1er janvier 1960, les combats continuent entre l’UPC et les forces du président Ahmadou Ahidjo (1960-1982), qui avait interdit toute mention de l’UPC ou de Ruben Um Nyobè.
Mais loin d’une image de combattant maquisard, Mpodol est resté dans la mémoire des siens comme un négociateur. À l’entrée de la ville d’Eséka, une statue le représente prêt à interpeller les Nations unies, en costume et avec une mallette à la main. Il s’agit de l’une des rares œuvres d’art publiques réalisées pour lui rendre hommage. Après son assassinat, tout avait été fait « pour effacer la mémoire » de Ruben Um Nyobè, selon Louis Marie Mang. Pour lui, le pionnier de l’indépendance mérite une statue à Yaoundé.
Un pays qui n’en a pas fini avec son passé
Soixante ans plus tard, le pays n’est pas à la fête. Il se débat entre les attaques récurrentes des djihadistes de Boko Haram et surtout avec un conflit qui oppose l’armée et les séparatistes anglophones dans l’ouest du pays. C’est une guerre héritée du passé colonial tumultueux du Cameroun. Très largement francophone, le Cameroun comprend dix régions dont deux majoritairement anglophones, le Nord-Ouest (capitale : Bamenda) et le Sud-Ouest (capitale : Buea). Les anglophones représentent environ 14 % des 23 millions d’habitants du pays. Les autorités vantent la réalité du bilinguisme. Le pays est membre de la Francophonie et du Commonwealth. Néanmoins, beaucoup d’anglophones se considèrent marginalisés, voire victimes de discriminations, et dénoncent un partage inéquitable de la richesse.
Dans les années 1990, les revendications anglophones se multiplient en faveur d’un référendum d’indépendance. En 2001, des manifestations interdites lors du 40e anniversaire de l’unification dégénèrent, avec plusieurs morts et des leaders séparatistes arrêtés. Les tensions actuelles ont émergé en novembre 2016, avec les revendications d’enseignants déplorant la nomination de francophones dans les régions anglophones, ou de juristes rejetant la suprématie du droit romain au détriment de la « Common Law » anglo-saxonne. Les leaders de la contestation demandent en majorité un retour au fédéralisme et, pour une minorité, la création d’un État indépendant, l’« Ambazonie ». Aujourd’hui, la crise dans ces zones dites « anglophones » a fait près de 3 000 morts.
Par Le Point Afrique