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La corruption est-elle bien pire dans les pays développés que chez les émergents ?

ONG Transparency International campagne affiche anti corruption

 L’ONG Transparency International a récemment publié son dernier rapport sur l’indice de perception de la corruption à travers le monde. Si les pays du Sud sont les plus concernés, les pays occidentaux ne sont pas nécessairement des modèles de vertu. Ostensible ou insidieuse, ses effets sur les populations, eux, se ressentent toujours.

 

Atlantico : Al-Jazeera a récemment évoqué le fait que la corruption, dans les pays développés comme dans les pays émergents, est importante. Seulement, elle est plus visible chez ces derniers. Quelles formes la corruption prend-elle, selon qu’on observe les pays émergents et les pays développés ?

Michel Fouquin : Cette relation parait en gros vérifiée si l’on en croit l’indicateur de Transparency International qui classe 177 pays en fonction de la perception d’experts. En tête du classement on retrouve les pays scandinaves, Danemark en tête, et en queue, on retrouve des pays comme la Russie, l’Iran et le Venezuela. Le mieux classé des grands pays émergents est le Brésil, suivi de peu par la Chine et l’Inde ; tous les trois sont cependant classés loin derrière la France (22ème) qui n’est pourtant pas considérée comme un parangon de vertu.

La question de la corruption est liée à la transparence des contrats passés entre les pouvoirs publics et les opérateurs privésTransparence, cela signifie aussi la possibilité d’enquêter librement, et donc d’accéder à l’information sur les contrats, et enfin, de pouvoir poursuivre les responsables devant des tribunaux impartiaux.

Si l’on admet cet argument, alors, il est clair que la démocratie, l’état de droit et la liberté d’informer permettent plus facilement de lutter contre la corruption que d’autres systèmes. C’est peut-être pourquoi la corruption est plus visible dans les pays émergents  – parce qu’elle ne connait pas de limites – et surtout qu’elle cherche à s’évader de son pays d’origine pour pouvoir en profiter sous des cieux plus cléments comme la Côte d’Azur.

Noël Pons : La corruption peut-être classifiée en trois grandes catégories :

– la corruption courante, souvent qualifiée de « corruption du ventre », qui est le plus souvent identifiée de visu dans les pays émergents ;

– la corruption des élites (la classe dirigeante) ;

– et enfin, la corruption criminelle qui affecte l’ensemble des pays. La corruption criminelle étant à l’évidence plus à l’aise dans des pays peu contrôlés.

La corruption de subsistance s’appuie essentiellement sur la corruption des administrations et des hôpitaux voire de l’école. Chaque fonctionnaire met à contribution des plus pauvres que lui, pour obtenir des subsides qu’il utilisera pour son propre compte ou au bénéfice de sa famille. Ce type de corruption peut être organisé en réseau et être développé au bénéfice de la hiérarchie administrative ou politique locale (par exemple, la « mordida » au Mexique). Elle est plus visible car elle apparaît à l’occasion de chacune des démarches administratives ou lors de barrages routiers, à l’aéroport ou à l’hôpital. La corruption du ventre est souvent due à la corruption des élites locales qui s’approprient des fonds destinés aux caisses de l’Etat. Les fonctionnaires mal ou pas payés du tout se servent sur les administrés, il s’agit d’une corruption en cascade. L’obtention d’un poste de fonctionnaire est le synonyme d’enrichissement, il dispose alors des moyens de faire vivre le groupe ; cela peut créer des violences à l’occasion des changements de pouvoir politique car c’est de survie dont il s’agit.

La corruption des élites s’appuie sur les grands marchés internationaux, la gestion des matières premières, les marchés publics, etc. Mais là, pour corrompre il faut être deux, un corrupteur dans un pays développé, et, un corrompu dans le pays émergent. Cette prédation, qui prélève les fonds à la source, crée une caste de richissimes corrompus et cela explique en partie la prédation des administrations.

Dans les pays dits développés, l’administration peut être considérée comme peu corruptible, par contre nombre de personnes appartenant à ce qui se définit comme une élite se sont clairement intégrés dans le tourbillon de la corruption. La gestion de ces fonds détournés en masse a créé une profession : des intermédiaires, des conseils divers, des comptables, des structures para-bancaires, des banques et des paradis fiscaux facilitent et gèrent les fonds des corrompus. Pour paraphraser Hamlet de Shakespeare, « il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark », derrière des apparences lisses, la corruption, qui s’entend comme des atteintes à la probité, s’est insinuée dans l’ensemble des secteurs.

Dans les pays émergents, la corruption se fait presque, voire complètement à la vue de tous car elle sert dans bien des cas à pallier les défaillances des États. En revanche, dans les pays développés, elle est dénoncée, se fait en sous-main et sert les individus eux-mêmes au détriment d’un certain “bien-être” de la société. Faut-il donc y voir une différence de perception de la corruption selon qu’il s’agit de pays émergents ou de pays développés ? Tout ce que nous assimilons à de la corruption en est-il vraiment ?

Michel Fouquin : La corruption la plus importante est celle qui est liée aux ressources primaires, notamment le pétrole. Les matières premières, par nature, offrent des gains hors de proportion aux coûts d‘extraction : ainsi, le coût d’extraction d’un baril de pétrole saoudien est de quelques dollars alors que le pétrole de la Mer du Nord coûte près de 80 dollars. La manne pétrolière est ensuite redistribuée : personne ne sait comment, sauf en Norvège, où l’on a un système très transparent d’allocation de la rente. Ce type de corruption n’apporte rien aux pays qui en sont victimes, c’est un simple pillage des richesses nationales au service de dictateurs du genre de Kadhafi ou de Saddam. Il est vrai, dans ces cas, que les multinationales ont leur part de responsabilité, on devrait leur imposer de déclarer précisément leurs achats, comment et à qui elles les payent. Certaines s’y sont engagées.

Les oligarques russes sont une autre espèce de voleurs qui ont su profiter de la décomposition de l’empire soviétique pour s’emparer des richesses de ce pays, devenir milliardaires et disposer d’une puissance de corruption inimaginable en accord avec la pouvoir en place, à condition de ne pas chercher à lui faire concurrence.

Un autre exemple est celui des princes rouges de Chine. Le magazine Next Media de Hong Kong a pu faire une enquête sur les richesses accumulées par certains des proches  – très proches  –  du pouvoir. On sait ainsi, par exemple, que l’une des sœurs du nouveau président chinois Xi Jinping possède une villa de 500 m² dans le sud de l’île de Hong Kong. De multiples autres exemples ont été dénoncés et cela n’a été possible que parce que Hong Kong dispose encore d’une presse libre et que les Princes rouges préfèrent sortir de Chine pour profiter de leurs gains. La source de leurs richesses est liée justement à leurs relations privilégiées avec les dirigeants du pays. Là encore, les occidentaux ne sont pas innocents puisqu’ils recherchent ces personnages pour les recruter dans leurs entreprises afin d’obtenir des autorisations de toutes sortes pour exercer leur ministère.

Une autre source de corruption est bien évidement l’immobilier. Dans un pays qui connaît une croissance à se rompre le cou depuis une décennie, il n’est pas étonnant que les prix flambent et que les autorisations de construire coûtent cher. Ce qui est d’autant plus scandaleux que les paysans qui sont expropriés ne sont pas correctement indemnisés car ils ne sont pas propriétaires de leurs champs.

Noël Pons : Je n’aime guère la notion d’utilité sociale de la corruption car il m’apparaît que, si on observe l’état des routes, des écoles, des hôpitaux dans nombre de pays de l’Est, d’Amérique du Sud, d’Asie ou d’Afrique, on se rend aisément compte que la population ne bénéficie que de manière infime de ces flux illégitimes. La corruption a aussi poussé à la dépense en créant des « éléphants blancs » qui ne servent qu’à verser des commissions.

Il existe effectivement une différence dans la perception de la corruption suivant les paysEn Chine par exemple, la corruption est qualifiée de « graisse odorante » : on considère le cadeau au fonctionnaire comme une ardente obligation, ailleurs c’est de corruption dont il s’agit. De plus, un pays qualifié de “corrompu” voit immédiatement les investissements étrangers s’effondrer. Dans les pays émergents, ce sont plus de 860 milliards de dollars (soit plus de dix fois le montant de l’aide internationale) qui disparaissent au profit des fraudeurs et des corrompus ; dans l’Union européenne, ce seraient 120 milliards qui disparaîtraient chaque année.

En fait, la perception est différente mais le résultat est le même : un enrichissement sans cause des corrompus corrélé à un appauvrissement de masse.

Au regard de ce que vous venez de dire, quelle devrait être la réelle appréciation de la corruption ? Certaines pratiques très discrètes dans les pays développés, qui pourraient paraître infimes, sont elles plus graves que celles que l’on observe dans les pays émergents ?

Michel Fouquin : Si l’on prend pour exemple un policier du Burkina Faso, qui pour une mauvaise raison, vous arrête et que vous devez lui donner un euro pour repartir, il est clair que cela ne va pas loin. Mais si vous prenez les Russes, il est clair que rien de comparable n’existe dans les pays développés à moins d’inclure les escroqueries à la Madoff ou d’autres financiers qui ont vendu des produits financiers pourris en toute connaissance de cause. Mais justement il s’agit d’escroquerie et non pas de corruption.

L’évasion fiscale est une autre source de détournement de fonds mais elle ne met pas non plus en cause directement la corruption,  même si ceux qui s’en rendent coupables sont corrompus… par eux-mêmes.

Restent les questions liées aux contrats publics ou aux travaux publics qui restent difficiles à contrôler. Leur part, dans l’économie nationale, s’est cependant réduite, et avec elle, les occasions de corruption.

Noël Pons : La divergence des pratiques est due à la qualité des contrôles mis en place, les montages s’adaptent à la situation juridique du pays. Dans les pays développés ils se transforment doucement en une corruption douce, en une multitude de conflits d’intérêts plus difficilement sanctionnables. Il s’agit d’une adaptation au risque. Mais comme je le précisais précédemment, la corruption des élites qui englobe les politiques et celle des criminels – qui est professionnelle et parfaitement camouflée – coûtent très cher aux pays car il s’agit d’une appropriation individuelle totalement injustifiée. Il s’agit d’une dérive purement personnelle, d’un choix de vie qui existe depuis la nuit des temps. Il suffit de se rappeler le dialogue entre Socrate et Calliclès dans Gorgias pour en être convaincu.
atlantico

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