Après l’indépendance du Mali en 1960, une rébellion touarègue a éclaté en 1963 dans la région de Kidal. Depuis cette date, l’anathème a été jeté sur la zone, présentée désormais comme une partie du pays dangereuse avec des populations toujours rebelles et difficiles à administrer. Mais on oublie souvent qu’elles ont un mode de vie nomade, donc incompatible avec la sédentarité qui est le mode de vie des administrateurs. La région et ses habitants doivent, par conséquent, être surveillés de près. C’est pour cette raison que l’accès à la région a été interdit aux touristes pendant des décennies et son développement socio-économique totalement bloqué par le pouvoir central de l’époque.
Considérée comme un bagne, Kidal n’a été qu’une région de triste renommée où n’arrivaient, pour sa gestion, que des fonctionnaires sans appui, «sans bras longs » ou « à punir », des militaires, des prisonniers politiques et des prisonniers de droit commun « grands criminels »; bref au regard du commun des Maliens, Kidal était la destination évidente des indésirables de la société qui « constitueraient » des menaces réelles ou supposées pour les régnants.
En dépit de cette gestion politico-sécuritaire fermée et de la méfiance entretenue, les différents régimes qui se sont succédé, autorisaient des recherches minières dans la région et déjà en 1966-1967, une société soviétique en collaboration avec la Société Nationale de Recherche au Mali (SONAREM) était présente sur le terrain à la recherche des hydrocarbures et des ressources minières. Puis on y a vu des japonais, des canadiens, des italiens… Ces recherches ont révélé, semble-t-il, la présence d’importantes richesses minières (uranium, or, terres rares entre autres – voir les dernières cartes géologiques du pays). Mais ces ressources n’ont jamais été exploitées, les autorités et les investisseurs potentiels voyaient et voient encore Kidal comme étant une zone à très haut risque et toutes les conclusions des recherches ont été tenues classées secrètes.
C’est seulement en 1988, juste avant l’éclatement de la deuxième rébellion touarègue que les slogans malveillants et les chaînes qui tenaient la région à l’écart du monde sont rompus et Kidal redevient de nouveau fréquentable pour tous. Malheureusement la stigmatisation persiste toujours et empêche aujourd’hui un décollage économique digne de ce nom. Mais, à partir de 1999 à la faveur de la démocratie et de la décentralisation, le contexte évolue et de nombreux opérateurs économiques, des agents de l’Etat, des ouvriers des autres régions, des Ong internationales et nationales s’installent dans la région et l’économie locale redémarre petit à petit. Mais hélas! Cette dynamique a été brisée par la reprise des rebellions en 2006 et 2012.
Actuellement, les populations ont découvert grâce à leurs laborieuses recherches, l’existence d’un peu d’or disséminé à travers toute la région autour de Kidal, Tessalit, Abeibara, Tinessako, Tinzaouatene… Les« mineurs artisanaux » passent ça et là, de site en site, avec toutes sortes d’appareils de détection acquis à prix d’or pour rechercher le métal précieux. Et tous ceux qui ont des moyens financiers se sont rapidement procurés des machines (compresseurs, groupes électrogènes, concasseurs,…) pour broyer la matière première (des pierres censées contenir de l’or) qui passe ensuite à « l’amalgame » avec du mercure dont le kilogramme s’achète en ce moment à plus de 200 000 F CFA à Kidal. Les lieux de provenance, les quantités et les circuits d’acheminement de ce produit dangereux ne sont pas bien connus. D’aucuns parlent du Niger, du Tchad, d’autres de Bamako.
Sur les sites, on assiste à un véritable « qui mieux mieux », l’exploitation étant non seulement artisanale mais aussi anarchique, chose qui n’empêche pas cependant des « gains » relativement importants pour des exploitants amateurs qui font de la « recherche-tâtonnement »: qui un gramme, qui 50 grammes, qui un kilogramme, qui trois kilogrammes. Avec les nombreux acheteurs/spéculateurs (algériens, nigériens, tchadiens, maliens) qui ont investi la région, le prix du gramme reste très fluctuant en fonction bien sûr de l’offre et de la demande. Il varie entre 15 000F CFA et 17 000 F CFA. Il faut bien dire qu’avec la vente de cet or, il y a eu des retombées financières non négligeables pour les populations de la région. Les prix des animaux ont grimpé sur le marché de Kidal ville ; le mouton passe de 40 000FCFA à 80 000F CFA au mois de mars dernier. Aussi, les « appâts » ont provoqué une euphorie généralisée, une ruée, notamment des jeunes combattants des groupes armés sans emploi sur les sites aurifères. Ces jeunes qui s’entretuaient sauvagement hier seulement dans des conflits tribaux se côtoient aujourd’hui pacifiquement sur les sites, transformés pour certains en carrières avec des profondeurs des puits allant jusqu’à dix (10) mètres voire plus. Sur les sites, il y aurait dit-on, malheureusement déjà quatre personnes qui ont perdu la vie et des blessés suite à l’éboulement des trous hâtivement creusés.
Dans cette ruée à la recherche de l’or, ce qui est réconfortant, c’est la diminution des braquages, des vols depuis que l’exploitation de l’or a capté la jeunesse de la région. Mais, il faut être prudent et craindre le revers de la médaille. Car, quand il y aura suffisamment d’argent en circulation sur les sites, on pourrait voir apparaître rapidement la criminalité, les holdups, la drogue, la fabrication de fausses monnaies grâce au mercure. Très vite on assistera à des scènes de violence dignes de films westerns et la région va retomber dans une autre forme d’insécurité dont elle n’a que faire en plus de celle dont elle souffre déjà.
Sans verser dans un alarmisme excessif, on peut penser qu’aujourd’hui, le phénomène est inquiétant dans la mesure où le mercure est utilisé encore de façon timide sans aucune précaution au moment de l’extraction de l’or. Les eaux utilisées pour laver le minerais trouvé et tous les résidus sont rejetés inconsciemment dans les lits des oueds qui alimentent la nappe phréatique – chose qui fait planer sur la région une menace réelle – une menace sur la vie des hommes, du bétail, de la faune et de la flore. Tout l’écosystème pourrait en être affecté. Il faut rappeler qu’à Kidal, il y a déjà une insuffisance notoire d’eau. Dans tous les programmes et projets présentés pour aider au développement de la région, le problème majeur évoqué par les populations et qui revient régulièrement lors des planifications est celui de l’insuffisance de l’eau. Et aujourd’hui, si le peu d’eau qui existe est pollué par le mercure et d’autres substances, qu’adviendra-t-il des populations ? On se rappellera, au sujet de la pollution de rares eaux de la région, que des stocks de pesticides «anti-acridiens» ont été entreposés dans les villages de Tinessako, d’Aguelhock et d’Anefis. Ils étaient supposés porter la lutte contre les acridiens du Telemsé et du Tamasna qui menaçaient périodiquement les cultures du pays et de la sous-région. Aujourd’hui, la contamination par ces produits toxiques mal gérés a atteint la nappe phréatique à Tinessako, d’où la décision des responsables politiques et administratifs de déplacer le chef-lieu du cercle vers un autre site, celui de Tinézé. On dira simplement que la seule alternative qui reste aux populations, serait en fait de migrer vers d’autres régions pour ne pas mourir à petit feu des effets du mercure et de l’uranium, le jour où l’on commencera l’exploitation de celui-ci. Par rapport à l’uranium, le cas du Niger doit être une bonne source d’inspiration pour tous ceux qui peuvent prendre des décisions. Mais d’ores et déjà, on peut se demander, si face à l’extraordinaire pouvoir économique et d’influence politique dont disposent les compagnies internationales, un pouvoir que tout le monde leur reconnait– compagnies actuellement présentes dans la sous-région et qui sont certainement intéressées par l’exploitation des minerais, les autorités locales à elles seules, ont une quelconque capacité de leur dire non, « vous ne venez pas » ? A regarder le rapport de force, les chances de réussite de cette résistance ne semblent pas du tout évidentes.
Les populations ont certes besoin de l’argent tiré de la vente de l’or et bien d’autres ressources, mais la protection de la santé humaine et de l’écosystème en général doit en principe être une préoccupation majeure pour tous. Exploiter l’or oui, mais il faudrait déjà réfléchir et prévoir toutes les stratégies pouvant permettre la protection de l’environnement où l’on vit.
Face donc à la menace dont on est encore peu conscient, il est urgent d’anticiper l’alerte. Et faute d’arrêter le phénomène, il faudrait organiser rapidement des grandes campagnes de sensibilisation pour limiter et prévenir les dégâts écologiques en perspective. C’est véritablement là qu’est vivement attendue l’action citoyenne des responsables de la région et de toutes les bonnes volontés. Les campagnes organisées sur le court et moyen termes s’adresseront aux leaders communautaires, aux responsables des groupes armés, aux élus et aux exploitants auxquels on doit expliquer tous les aspects néfastes du mercure sur l’environnement et surtout sa toxicité. Les populations devront savoir que l’utilisation du mercure est dangereuse. En effet, le mercure peut aider les exploitants de l’or à se procurer beaucoup d’argent, mais il peut aussi être mortel. Le mercure est toxique sous toutes ses formes ; il est neurotoxique et écotoxique. Il pollue les sols, les eaux, les aliments non protégés et provoque chez l’homme la toux, la pneumonie, l’angine du fait de l’inhalation des poussières.
La sagesse et la volonté de survie recommandent par conséquent aux habitants de cette région d’entrer, pendant qu’il est encore temps, dans la logique de l’adage qui dit : « mieux vaut prévenir que guérir ».
Rousmane Ag Assilaken Tél: 60777977/70346212
Ong Azhar – Kidal
Email: ongazhar2008@gmail.com
Tamoudre