A rebours de la politique africaine menée par Trump, celle de son successeur s’inscrira vraisemblablement dans la continuité des années Obama.
En quatre années à la Maison Blanche, Donald Trump n’a pas effectué un seul voyage officiel en Afrique. Tout juste l’ex-président américain a-t-il laissé à son épouse Melania le soin de visiter en une semaine de promenade touristique et glamour le Ghana, le Malawi, le Kenya et l’Egypte, autant de nations qu’il aurait sûrement rangées dans sa liste de « pays de chiotte ».
« Trump n’avait pas d’intérêt pour l’Afrique. Sa seule obsession était la menace de la Chine. Biden aura pour priorités la gestion de la crise du Covid, l’économie, les divisions raciales du pays. La politique étrangère, et l’Afrique en particulier, viendra bien après, mais ce qui est sûr c’est que le ton va changer et il ne faut pas sous-estimer cela en diplomatie », se réjouit Jeffrey Hawkins. Cet ancien ambassadeur américain, aujourd’hui professeur à Sciences-Po, note que le continent africain n’a évidemment pas été un thème majeur du candidat Joe Biden, mais que celui-ci a publié lors de sa campagne un document à destination des diasporas. « Il y parlait d’une relation plus équitable, de la relance du programme Yali – Youth African Leaders – instauré sous Obama et de la fin de la restriction des visas » qui touchait les ressortissants du Nigeria, de la Somalie et du Soudan.
Dans l’administration qui s’installe, deux enfants de la diaspora nigériane tiendront justement une place particulière. Adewale « Wally » Adeyemo, conseiller économique sous la présidence Obama avant de prendre la tête de la Fondation de l’ex-président, doit occuper le poste de secrétaire adjoint au Trésor. Osaremen Okolo, 26 ans, a, quant à elle, été nommée conseillère au sein de l’équipe chargée de lutter contre la pandémie de Covid-19.
Renouer avec son histoire d’ouverture
Au-delà de ces symboles d’une Amérique prête à renouer avec son histoire d’ouverture, la politique africaine de Washington s’inscrira vraisemblablement dans la continuité des années Obama. Même si le premier président afrodescendant a davantage suscité d’espoir que légué des réalisations, « son approche est une feuille de route pour l’avenir avant que Biden impose sa marque », juge Jeffrey Hawkins.
Dans l’attente de la désignation d’un diplomate de carrière pour remplacer Tibor Nagy au poste de secrétaire d’Etat adjoint aux affaires africaines, la première figure visible pour le continent africain sera Anthony Blinken, le nouveau chef de la diplomatie. Pour ce francophone passé par les administrations Clinton et Obama, le premier dossier africain à traiter devrait être le conflit intérieur qui agite l’Ethiopie.
Se posera également rapidement la question de la suite à donner aux deux « coups » diplomatiques de l’administration Trump sur le continent : le processus de normalisation engagé avec le Soudan et la reconnaissance en décembre 2020 de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Cette dernière pourrait-elle être menacée ? « Ce n’est pas encore très clair, mais à partir du moment où la décision n’a pas encore été ratifiée par le Congrès, elle peut être reprise. Le plus probable cependant est que l’on ne touche à rien, car le Maroc et Israël sont de solides alliés », explique Christopher Fomunyoh, directeur pour l’Afrique centrale et de l’Ouest du National Democratic Institute, une organisation proche du Parti démocrate.
En dehors des propos à l’emporte-pièce, de quelques coups de menton et d’une poignée de décisions inattendues, la politique africaine de Donald Trump aura été marquée par le maintien de fondamentaux tels que la lutte à tout prix contre l’expansionnisme commercial de la Chine, la poursuite – à contrecœur – du combat contre les djihadistes au Sahel et la défense du principe d’élections pluralistes – mais sans grand souci pour la qualité du résultat ou pour le respect des droits humains.
L’un des changements attendu sous Joe Biden sera un retour au multilatéralisme. Une promesse que sera chargée de mettre en œuvre Linda Thomas-Greenfield en tant que représentante des Etats-Unis à l’ONU. L’ancienne sous-secrétaire d’Etat pour l’Afrique de Barack Obama, qui a notamment travaillé au Kenya, en Gambie et au Nigeria avant de prendre les commandes de l’ambassade au Liberia, est une diplomate chevronnée, proche de Madeleine Albright. La France et les Etats concernés vont notamment guetter ces prochains mois sa décision sur l’avenir de la force G5-Sahel. Paris, dans l’espoir d’alléger son engagement militaire sur place, et les cinq Etats de la région, soucieux de donner à leurs soldats l’assurance financière d’une opération de l’ONU et des règles d’engagement moins contraignantes, plaident depuis longtemps pour que cette coalition régionale soit placée sous chapitre VII de la charte des Nations unies.
Alors que Donald Trump a ordonné le départ en janvier des soldats américains de Somalie et qu’il envisageait de faire de même au Sahel, un dirigeant de cette région estime que la priorité de Washington devra être de « réinvestir diplomatiquement le dossier libyen », un pays qui continue de déstabiliser ses voisins.
Facilités commerciales
Avocate des interventions « humanitaires » et du « devoir de protéger », Samantha Power, qui fut l’une des principales promotrices de l’opération militaire en Libye sous Obama, sera elle aussi l’un des visages importants de la nouvelle administration américaine. Après avoir été l’ambassadrice de Washington aux Nations unies, l’ancienne journaliste s’est vue confier la tête de l’USAID, l’agence américaine pour le développement international. « Peut-être n’aura-t-elle pas tout de suite les moyens d’agir comme elle le veut car les budgets annuels ont été votés en octobre, mais Samantha Power a l’avantage d’avoir connu le continent avant d’accéder à une position décisionnelle. Elle ne devrait donc pas avoir la naïveté de certains de ses prédécesseurs alors que l’agence est un acteur de poids dans les relations entre les Etats-Unis et l’Afrique », estime Christopher Fomunyoh.
Enfin, l’une des personnalités chargées de synchroniser les actions des différentes agences gouvernementales américaines est un visage moins connu. Passée par les ambassades à Haïti, en Thaïlande et en Tanzanie, bonne connaisseuse de l’Afrique de l’Ouest, la diplomate Dana L. Banks a été nommée directrice pour l’Afrique du Conseil de sécurité nationale.
Au-delà des aspects sécuritaires, ses discussions avec ses interlocuteurs africains devraient porter sur les facilités commerciales octroyées à la plupart des Etats du continent. Instauré par Bill Clinton, l’AGOA – African Growth and Opportunity Act, la loi sur la croissance et les opportunités africaines – qui permet aujourd’hui à 39 pays d’exporter vers les Etats-Unis sans droit de douane, s’achève en 2025. S’il paraît peu probable que celui-ci ne soit pas reconduit, des renégociations devraient être opérées notamment du fait de l’entrée en vigueur en janvier de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).