Depuis le 27 août dernier, les magistrats maliens sont en débrayage. Un mois après le lancement de cette manifestation d’humeur syndicale, le constat est alarmant, les conséquences sont catastrophiques et souvent irréversibles pour plus d’un justiciable.
Outre les chercheurs de Casier judiciaire et de Certificat de nationalité, les citoyens attendant une décision de référé (main lever sur une saisie fantaisiste, déblocage d’un compte), ou une levée d’écrou qui ont du mal désormais à prendre leur mal en patience, engorgement des centres de détention, le dépassement des délais de garde à vue, le gel des procédures pendantes devant des juridictions qui fonctionnent au ralenti… sont autant de violations des droits des citoyens dont Amnesty International s’est préoccupé dans un communiqué daté du 26 septembre dernier.
Toutes choses qui interpellent, au-delà de sa légalité (parce qu’au Mali aucun texte n’interdit aux juges d’aller en grève), sur la légitimité de celle déclenchée le 27 août dernier par les aiguilleurs de la Justice malienne. Le libre exercice du droit de grève constituant une revendication légitime, y compris au sein de la magistrature, et représente un levier d’action parfaitement compatible avec l’éthique du juge.
Tout comme la liberté syndicale, le droit de grève qui est inscrit dans la Constitution du 25 Février 1992 comme dans toutes celles qui sont d’inspiration française est reconnu au Mali, mais limité. Contrairement à plusieurs pays (comme le Sénégal, le Bénin), au Mali ce droit n’est pas interdit pour les Magistrats.
Le juge au-dessus des normes
Toutefois, aussi curieux que cela puisse être, le juge malien est l’un des rares à être au-dessus des normes et règles en matière de droit de grève. Rien, effet, n’empêche les juges maliens de débrayer comme cela leur chante contrairement à leurs homologues français, burkinabés, sénégalais, ivoiriens… Pour cause !
Nulle tentative de dénier aux juges maliens la spécificité de leur corps.
Ce sont des agents de l’État d’un genre un peu particulier, avec des droits et devoirs qui leur sont propres. Toutes choses qui font qu’ils ne relèvent pas du Statut général de la Fonction publique, qu’ils ont un Statut particulier. Ne sont-ils pas le troisième pouvoir de l’État républicain et démocratique ? Un statut qui devrait impliquer des droits, mais aussi des devoirs.
Mais voilà, dans notre pays, les juges n’ont que des droits, point de devoirs.
Dans le Statut de la Magistrature de notre pays (Loi N°02-054/ du 16 Décembre 2002 Portant Statut de la Magistrature), comme cela est le cas ailleurs, il leur est interdit, ‘’toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions’’.
En effet, contrairement à la France, au Burkina, au Sénégal, la Côte-d’Ivoire… le Statut de la Magistrature énonce clairement : ‘’toute délibération politique est interdite au corps judiciaire. Toute manifestation d’hostilité au principe et à la forme du Gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. Est également interdite, toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions’’.
A titre illustratif, l’article 14 de la Loi organique sénégalaise N° 2017-10 du 17 janvier 2017 portant Statut des magistrats, stipule : ‘’les magistrats, même en position de détachement, n’ont pas le droit d’adhérer à un parti politique et toute manifestation politique leur est interdite.
Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de même que toute démonstration politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions, leur sont également interdites.
Ils sont inéligibles aux assemblées politiques.
Ils ne peuvent ni se constituer en syndicat, ni exercer le droit de grève.
Il leur est également interdit d’entreprendre une action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions ou d’y participer’’.
Conséquences ?
Toutefois, comme les aux autres agents de l’État (les fonctionnaires de la santé, de l’administration d’État, ou de l’enseignement), les magistrats maliens ont, contrairement à leurs homologues sénégalais par exemple, bizarrement le droit de grève. Ils peuvent donc refuser de tenir une audience.
Plus que les activistes des réseaux sociaux, le juge malien qui n’a aucun devoir de réserve et qui jouit d’une insolente liberté d’expression peut s’exprimer avec démesure, tenir des propos à l’emporte-pièce ou de formuler des critiques de nature à compromettre la confiance que leurs fonctions doivent inspirer aux justiciables. Ils peuvent donc se permettre, ce qu’un journaliste ne peut, dénoncer un ministre sans avancer la moindre preuve, exercer un chantage magistral sur les membres de l’Exécutif comme ils l’ont fait dans leur communiqué.
Une déontologie à minima
Se complaisant dans un Code de déontologie à minima, nos magistrats ne sont donc tenus à aucune espèce d’’obligations générales de délicatesse, loyauté et dignité’’. Aux oubliettes donc le Serment prononcé au moment de la prise de poste: ’’je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat’’’.
Parce qu’il ne faut pas s’attendre dans notre Maliba que ’’tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire’’. Or, dans cette affaire, la grève illimitée des magistrats pendant plus d’un mois avait eu clairement pour effet d’entraver le fonctionnement des juridictions et de compromettre dans ses attributions essentielles l’exercice de la fonction judiciaire.
Donc la sanction est de droit. Sous ce régime qui semble opter pour le silence, face à cet intolérable excès syndical, peut-on s’attendre à des sanctions contre les magistrats grévistes ? Déjà, le tollé provoqué par l’ordre de recette émis par le ministre de l’Économie et des finances, à bon droit, a provoqué ce que ça provoqué…
Que diantre ! Pas de réglementation, et alors tout est permis ?… Diable, non : ‘’en l’absence de cette réglementation, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public’’.
Hypothèse de conflit de droits, et nécessité d’arbitrer. À moins qu’on ne veuille au Mali d’une République des juges hors normes ! Dans ce cas bonjour les excès et les abus de toutes sortes.
Sur la question, le Conseil d’État (30 novembre 1998, n° 18335) est très clair : ‘’il revient aux chefs de service, responsables du bon fonctionnement des services placés sous leur autorité, de fixer eux-mêmes, sous le contrôle du juge, en ce qui concerne ces services, la nature et l’étendue des limitations à apporter au droit de grève en vue d’en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l’ordre public ou aux besoins essentiels de la Nation’’.
C’est l’usage abusif qui peut justifier la remise en cause de ce droit constitutionnel, et la perturbation qu’est la grève devient illicite si elle remet en cause la continuité du service public.
Ne sommes-nous pas dans cette hypothèse avec cette grève illimitée ? Il ne s’agit, en effet, pas de report des audiences non urgentes ou dans lesquelles il n’y a pas d’enjeu pour la liberté. Ce qui se passe dans nos tribunaux et cours c’est une entrave sérieuse pour la double raison que tous les dossiers sont reportés, systématiquement, et que l’affaire n’est pas renvoyée à la semaine prochaine, mais au premier jour des audiences libres, soit à Saint Glin-glin… En tout cas jusqu’à la fin de la grève !
Par Bertin DAKOUO
Info-matin