Un Carrosse d’or pour saluer la carrière inédite d’un des visages du cinéma africain. Le Malien Souleymane Cissé reçoit la distinction décernée par la Quinzaine des cinéastes le 17 mai à Cannes.
Le Carrosse d’or de l’édition 2023 de la Quinzaine des cinéastes est attribué à un pionnier dans son domaine au Mali, le cinéaste Souleymane Cissé. Né le 21 avril 1940, il est devenu l’une des figures patriarcales du cinéma produit en Afrique de l’Ouest. Reconnu par les siens et à l’international, il compte parmi les réalisateurs africains qui tentent d’écrire, parfois dans la douleur, l’histoire semée d’embûches d’une industrie cinématographique qui peine encore à exister chez elle et au-delà de ses frontières.
Cependant, c’est sans compter la pêche légendaire du jeune octogénaire qu’est Souleymane Cissé, croisé encore mardi 16 mai dans le Palais des Festivals de Cannes, à quelques minutes de la cérémonie d’ouverture de la 76e édition du Festival de Cannes, alors qu’il prenait quelques clichés avec sa famille, à la veille de l’un des grands moments de sa carrière.
Mais pourquoi “Le Carrosse d’or” est-il attribué à Souleymane Cissé ? La réponse est dans la lettre envoyée à Souleymane Cissé par le Conseil d’administration de la Société des réalisateurs et réalisatrices de films (SRF) qui décerne le Carrosse d’or : “À la croisée du poétique et du politique, de la critique sociale et de la mythologie, de l’ancrage dans la culture pluriséculaire de votre pays, le Mali, et de l’ouverture au monde dans toute sa dimension pluriverselle, votre filmographie a marqué notre cinéphilie en profondeur”, explique la lettre. “Votre courage, admirable si l’on songe au climat politique dictatorial dans lequel vous avez réalisé vos trois premiers longs métrages, Den Muso (La Jeune fille, 1975), Baara (Le Travail, 1978) et Finyè (Le Vent, 1982), force notre admiration. Dénonçant l’oppression des pauvres, des femmes et des opposants, confrontant le joug du conservatisme sous toutes ses formes – religieuse, économique et patriarcale –, vous vous êtes cependant toujours gardé de l’idéologie pour créer de l’Art”, poursuit le texte. Souleymane Cissé a voué sa vie au septième art, une cinéphilie qui remonte à l’enfance. Voici quelques clés pour aller à la découverte du cinéaste et producteur.
Enfant cinéphile
“Quand j’avais 5 ans, je pleurais pour que mon grand-frère m’emmène au cinéma. Ce qu’il a fait. Cela a été un déclic”, confiait le cinéaste à Franceinfo en 2022 à l’occasion de la présentation à Cannes Classics du documentaire Hommage d’une fille à son père réalisé par sa fille Fatou Cissé. Ce métier “fou” a donné chez lui naissance à une filmographie florissante et engagée.
Formé en Union soviétique
“Si je n’avais pas appris ce métier-là à Moscou, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui”, confie-t-il dans le documentaire Hommage d’une fille à son père (2022). Après l’indépendance du Mali en 1960, il est l’un des jeunes que le nouvel Etat envoie à l’étranger pour se former afin de servir la future nation. En Union soviétique, il cède à sa passion pour le cinéma. “Je n’avais jamais eu de diplôme quand je suis arrivé en Russie”, se souvient-il. “Je n’ai pas eu le bac ni le certificat. Je suis parti parce que nous appartenions à une jeunesse qui voulait sortir du colonialisme et Modibo [premier président malien, NDLR] a eu la présence d’esprit d’envoyer ceux qui voulaient faire quelque chose faire des stages à l’étranger (..) J’ai appris la langue russe et je me suis orienté vers le cinéma qui était ma passion”. Aguerri par cette formation pendant laquelle il a appris “à se débrouiller seul”, il se découvre une vocation : réaliser des films dans un pays qui n’en a pas les moyens et dont le personnel politique peut s’averér susceptible.
Une filmographie courageuse et adoubée
Quand on parle de liberté d’expression, Souleymane Cissé sait exactement de quoi il en retourne. Sa première œuvre, Den Muso, dont l’actrice principale n’est autre que sa future compagne et mère de ses enfants, Dounamba Dany Coulibaly, lui vaudra d’être envoyé en prison. Le film, qui sera interdit, évoque le drame d’une jeune femme muette qui sera violée, puis rejetée par les siens à cause de sa grossesse. Den Muso est également le premier film en bambara.
C’est pour des longs métrages tout aussi engagés que le Malien a décroché deux fois l’Etalon d’or du Yennenga, récompense suprême du Fespaco – le plus grand festival de cinéma organisé sur le continant africain – pour Baara en 1979 et, en 1985, Finyé, récit de la révolte des jeunes contre le pouvoir militaire au Mali, une thématique très actuelle depuis les coups d’Etat de 2020 et 2021 qu’a connus le pays. Avec Yeelen (La Lumière), un conte initiatique sur la quête éternelle de connaissance de l’être humain, Cissé décroche le Prix du jury ex-aequo au Festival de Cannes en 1987. “Je n’ai jamais pensé qu’un jour un de mes films serait sélectionné au Festival de Cannes. Quand je suis arrivé, je me suis dit que tout est possible”, souligne Souleymane Cissé.
Cissé, un habitué de la Croisette
Son Prix du jury en 1987 a fait de lui l’un des membres de la grande famille cannoise. Depuis des décennies, sa silhouette longiligne habillée du savoir-faire malien en matière de boubous (vêtement traditionnel que l’on retrouve dans plusieurs pays en Afrique de l’Ouest) fait presque partie du paysage cannois tant il est régulier sur la Croisette depuis des décennies. Sa première présence en sélection officielle date de 1982 où il présentait Finyé (Le Vent) à Un Certain Regard. Après Yeelen, il revient en compétition avec Waati en 1995. En 2009, son film Min Yé est programmé en Séances spéciales, section dans laquelle sera projeté Oka en 2015. Souleymane Cissé a été également membre du jury de la 36e édition du Festival de Cannes en 1983. En 2006, il a participé au jury de la sélection Courts métrages et de la Cinéfondation.
Un leitmotiv : développer le cinéma au Mali et en Afrique
Souleymane Cissé a toujours milité, dans son pays et à l’échelle du continent, pour le développement de l’industrie cinématographique. Il préside l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma et de l’audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest qu’il a fondée en 1997. “Dans nos pays, tant que la culture ne sera pas à sa place, on ne bougera pas“. “Les pays les plus développés l’ont compris et c’est pour cela qu’ils n’ont jamais lâché leur industrie culturelle. Les Américains ne lâchent rien, idem pour les Européens”. “Il faut que le cinéma bouge d’abord à l’intérieur du continent pour pouvoir ensuite s’exporter”, plaide-t-il encore.
Source : francetvinfo