L’homme agissait vite et efficacement. Comme quelqu’un qui connaissait parfaitement les habitudes de ses victimes et la configuration des lieux
Dire que les voleurs n’ont dйsormais plus froid aux yeux revient à formuler une banale йvidence. Les malfrats ont en effet la conviction bien ancrйe qu’avec un minimum d’organisation, il n’y a plus de vol d’impossible. Il suffit seulement savoir exploiter les circonstances et adapter sa manière de procйder en fonction de celles-ci. Par exemple, en cette pйriode de très fortes chaleurs, c’est le vol de deuxième partie de nuit qui a les faveurs des petits malfrats. Ceux-ci mettent à profit les nouvelles habitudes de vie auxquelles la canicule contraint nombre d’habitants. La majeure partie de ceux qui n’ont ni la possibilitй d’installer un climatiseur, ni les ressources pour s’acquitter de la facture font le choix de dormir dans leurs cours. Ou mieux encore sur la terrasse de leurs toits lorsqu’ils en ont une.
Pour eux tous, les nuits sont courtes. Puisque l’obscuritй reste longtemps йtouffante et c’est aux approches de l’aube que la tempйrature devient plus clйmente. C’est aussi à cette pйriode que le sommeil des dormeurs à la belle йtoile se fait le plus profond. Tout naturellement, c’est йgalement le moment que choisissent les voleurs pour passer à l’action et pour essayer de trouver leur bonheur dans les maisons dйsertйes.
Dans le secteur est du quartier populaire de Sйnou, ce type de vols nocturnes s’est produit à plusieurs reprises au cours des dernières semaines. Toujours selon le même mode opйratoire, toujours avec la même rйussite. Pour les victimes, il n’y a pas de doute. Soit le voleur est un habitant des parages, soit il bйnйficie des informations fournies par un complice logeant dans le secteur. Car l’assurance avec laquelle il opère laisse sentir qu’il connaоt bien les habitudes des familles qu’il visite. Pour les faits qui nous intйressent, les soupзons portent un voisin. Mais aucune preuve vйritable n’a encore йtй produite contre l’intйressй. En attendant que les prйsomptions (très sйrieuses) йvoluent en йlйments plus consistants, appelons l’intйressй X.
UN PHYSIQUE DE BOXEUR. Le voleur en question ne perdait pas trop de temps à fouiller les maisons. Il y cherchait en prioritй des objets ayant une certaine valeur, peu encombrants et relativement faciles à liquider, c’est-à-dire des bijoux divers, des tйlйphones portables et du petit йquipement informatique. Cela lui permettait de se diriger en des lieux bien prйcis où les appareils avaient de grandes chances d’être soit branchйs, soit mis à la charge. Il a ainsi pu voler un nombre relativement important de tйlйphones portables dans diffйrentes familles pendant que leurs propriйtaires dormaient encore dans la cour de leur maison. L’homme, qui à chacune de ses opйrations s’est montrй très audacieux, est toujours parvenu à s’йclipser tranquillement après son forfait. Ce fut sa dernière opйration en date (elle remonte à une dizaine de jours) qui a йtй la plus mouvementйe.
Les йvйnements se sont dйroulйs aux environs de quatre heures du matin. X. terminait sa nuit de chasse. Ceux à qui il a eu affaire cette nuit là le dйcrivent comme un homme d’une corpulence impressionnante (un tйmoin a carrйment йvoquй un vrai physique de boxeur). Il йtait accoutrй de manière particulière pour, semble-t-il, laisser le moins d’indices possibles à ceux qui arriveraient à l’apercevoir. Il resterait torse nu et ne porterait qu’une simple culotte pour tout vêtement. Contrairement à ce que font certains malfrats, l’homme ne dissimulerait pas son visage sous une cagoule. Il se serait tout simplement contentй de se nouer un morceau de pagne autour du bas de la figure. Pour se dissimuler entièrement, le suspect serait coiffй d’une casquette et porterait des lunettes sombres ( !).
Cette nuit là, X. avait ciblй le domicile du vieux H., situй dans une ruelle obscure. Comme à son habitude, il avait choisi pour se mettre à l’oeuvre un moment où tout le secteur йtait totalement endormi. Il n’usa pas de fioritures pour pйnйtrer chez sa victime. Escalader le mur d’enceinte lui suffit pour être dans la place. Un coup d’œil lui permit de s’assurer que les occupants de la concession s’йtaient regroupйs l’un près de l’autre pour dormir dans un coin de la cour. L’obscuritй ne lui permettait pas de les dйcompter, mais il estima peu probable l’йventualitй de tomber sur un dormeur solitaire qui se serait isolй ailleurs. Par prйcaution, X jeta un deuxième regard circulaire sans rien dйtecter qui aurait pu le mettre sur ses gardes.
Les renseignements certainement collectйs par le voleur n’йtaient pas complets, sinon il aurait su que le chef de famille avait pour habitude de se faire amйnager une couchette à l’йcart des siens et dans l’ombre d’une des maisons de la concession. Pour H., la position qu’il occupait йtait stratйgique. Elle lui permettait de voir de surveiller les allers et venues des siens, et au besoin de dйtecter l’entrйe d’un inconnu. H. avait non seulement le sommeil lйger, mais en outre il se rйveillait très tфt, bien avant les appels pour la prière de l’aurore, pour faire ses ablutions et entamer ses obligations religieuses. Un sixième sens lui avait fait donc ouvrir l’œil malgrй toutes les prйcautions que X avait prises pour se dйplacer silencieusement. Le vieux avait donc vu X surgir dans son champ de vision. Mais il se garda de rйagir aussitфt. Il se doutait des intentions de l’inconnu, mais ne savait pas si ce dernier йtait armй ou non.
Pendant ce temps, le voleur prenait ses repères dans la cour. Il tournoya quelques secondes pour identifier la pièce où il voulait se rendre et alluma brièvement sa torche pour s’assurer de sa destination. Lorsqu’il entra dans le local qu’il avait identifiй, il vit deux tйlйphones branchйs à une prise йlectrique et posйs sur une tablette. X. s’empara des appareils et juste au moment où il se redressait, il entendit un bruit suspect provenant de la cour. Il comprit qu’un des dormeurs s’йtait levй et sortit rapidement de la pièce. H. avait en effet dйcidй d’interpeler l’intrus en pariant que celui-ci n’avait pas d’arme. « Qui êtes vous et que faites vous chez moi à une telle heure ? », lanзa le vieux H. Le malfrat se raidit et se garda bien de rйpondre. « Parlez, mais surtout ne bougez pas. Sinon je tire », insista le vieil homme.
Pas assez de volontaires. En relatant plus tard ce qui s’йtait passй, le chef de famille indiqua qu’il avait йtй dйsagrйablement impressionnй par le sang-froid dont avait fait preuve l’intrus. H. n’avait pas du tout senti le voleur troublй par ses interpellations. Figй sur place, X. semblait dйfier son interlocuteur d’aller plus loin. H. fut tellement perturbй par cette attitude très inattendue qu’il ne pensa même à crier pour rйveiller les siens et alerter les voisins. En fait, le voleur avait choisi de ne pas bouger pour se donner le temps de prendre une option. Son principal souci йtait de savoir si le maоtre de maison avait effectivement une arme ou s’il essayait un coup de bluff. Après une courte rйflexion, X. tenta le tout pour le tout. Rallumant brusquement sa torche, il en braqua le faisceau vers l’endroit d’où venait la voix qui l’avait interpelй. Le bref йclair de lumière lui permit de constater que le seul objet que le sexagйnaire tenait en main йtait la bouilloire qui lui servait pour les ablutions.
X. gйra alors rapidement et tranquillement la situation. Il fonзa vers le mur d’enceinte qu’il escalada avec une dйrisoire facilitй. Atterrissant en souplesse de l’autre cфtй, il prit le large en quelques secondes. Pour le voleur, cette nuit comptera pourtant parmi les mauvais souvenirs. En effet, la tentative de vol perpйtrйe chez le vieux H. constituait sa seconde opйration de la nuit. Le bandit avait dйjà fait un tour dans une prйcйdente famille, habitant au bout de la même ruelle quelques instants plus tфt. Il avait pu voler dans cette concession des tйlйphones et un ordinateur portable. Avant de pйnйtrer chez H., il avait dйposй l’ordinateur au pied du mur d’enceinte. Comme il n’йtait pas ressorti exactement par le même trajet « empruntй » pour entrer, il n’avait pas pu rйcupйrer son butin. L’ordinateur, dйposй cфtй rue, a йtй retrouvй par des passants au lever du jour.
Le bouche à oreille permis aux deux familles victimes de s’apercevoir qu’elles avaient « accueilli » le même visiteur. Les chefs de concession confrontèrent leurs informations et donnèrent une description assez prйcise de l’allure gйnйrale du malfaiteur. Ce fut d’ailleurs cette description, notamment les dйtails relevйs sur le physique et l’accoutrement du malfrat, qui fit porter les soupзons sur le dйnommй X. Un membre de la première famille victime, un nommй B., est venu ajouter son grain de sel. Pour lui, l’identitй du voleur ne faisait pas de doute. Lorsque le vol de l’ordinateur avait йtй йtabli, B. avait même tentй de rameuter ses colocataires – dont le propriйtaire de l’ordinateur – pour aller traquer le voleur prйsumй. Mais il n’avait pas trouvй de volontaires assez courageux pour tenter une pareille expйdition. Il faut se rappeler que X. n’est pas loin d’être un vrai colosse. Donc aucun homme normalement constituй n’accepterait d’aller le dйfier.
En attendant, les habitants du secteur se sont en alerte maximale. Le suspect numйro un, le nommй X., n’a pas jusqu’à ce jour rйapparu dans la concession où il se trouvait en location. La rumeur des soupзons pesant sur lui a dû lui parvenir et il a certainement jugй plus prudent de ne pas dйfier le sort. Ce qui est sûr, c’est que pour les habitants du secteur l’absence de X. a transformй en convictions ce qui n’йtait que de simples prйsomptions. Le voisinage attend le « fugitif » de pied ferme et ne fait pas mystère de sa volontй d’en finir avec lui si jamais il avait le culot de refaire surface.
MH.TRAORE
Source : L’Essor