Le Mali, à l’image de plusieurs autres pays de l’espace sahélo-saharien, connaît un boom minier qui se vit à la fois par l’exploitation industrielle et l’orpaillage dans plusieurs localités du pays. Si cette seconde activité constitue, jusque-là, la principale source de revenus pour certaines populations surtout rurales, des récentes études font apparaitre qu’elle serait une source de financement des groupes terroristes qui sévissent dans la zone.
En tout cas, c’est ce qui ressort du dernier rapport de l’International Crisis Group, rendu public le 13 novembre 2019 sur l’exploitation aurifère artisanale au Mali, au Burkina et au Niger.
Ces dernières années, plusieurs organisations de la société civile du Mali n’ont cessé de rappeler à nos autorités l’impératif d’un meilleur encadrement du secteur de l’orpaillage qui occupe plusieurs milliers de Maliens, en grande partie, des jeunes. Outre son impact sur la santé de ses exploitants et populations riveraines, l’orpaillage entraine la dévastation de l’environnement, l’alimentation de certains maux, tels que la consommation de la drogue, la prostitution… et le risque de son utilisation à des fins criminelles.
Le rapport de l’International Crisis Group vient renforcer la crainte longtemps exprimée par ces Maliens. Cette étude repose sur des entretiens conduits dans les 3 pays (Burkina, Mali, Niger) avec des acteurs gouvernementaux et internationaux, des responsables du secteur aurifère, des acteurs de l’orpaillage artisanal, des membres des groupes armés et des spécialistes du secteur aurifère et de l’économie des ressources extractives.
Ladite étude propose aussi des pistes pour identifier les modes publics et privés de sécurisation des sites, pour encourager la formalisation des activités aurifères et mieux contrôler les circuits de commercialisation de l’or.
« Le boom aurifère suscite la convoitise croissante de divers groupes armés. Les forces de sécurité peinent à contrôler les zones d’orpaillage dans des régions délaissées et parfois même abandonnées par l’Etat. A Kidal, par exemple des groupes armés, dont des djihadistes, trouvent dans l’exploitation aurifère artisanale, une nouvelle source de financement, voire un terrain de recrutement. On ne le sait pas toujours mais, réputé pour son insécurité, Kidal est aussi un haut lieu de prospection aurifère où se croisent groupes armés, acteurs économiques et aventuriers.
(…). Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, des groupes armés s’emparent depuis 2016 de sites d’orpaillage dans des zones où l’Etat est faible ou absent », affirme le rapport qui avertit que sans régulation du secteur, cela risque d’alimenter la violence au Sahel central (Mali-Burkina Faso-Niger).
Selon le document, des réseaux informels sont de plus en plus impliqués dans le transport de l’or. « L’orpaillage artisanal risque donc d’alimenter la violence et les réseaux criminels transnationaux », avertit le document qui estime que les Etats sahéliens devraient encourager la formalisation des activités aurifères, tout en veillant à ne pas s’aliéner les orpailleurs.
Kidal, depuis la fin de l’année 2017, la prospection artisanale de l’or s’est intensifiée, charriant un flux important d’orpailleurs locaux comme étrangers provenant de divers pays africains, équipés de détecteurs de métaux, de marteaux-piqueurs, de pioches, de pelles, de compresseurs, appâtés par cette nouvelle manne financière disponible à ciel ouvert.
Autour de Tessalit, à Talhandak, Abeibara, Tinzaouatène, dans le cercle de Tin-Essako et quasiment n’importe où quand le détecteur signale la présence de ce métal précieux, des centaines d’hommes s’affairent fiévreusement, scrutant parmi les grains de sable et de pierre des tamis, «l’éclat jaune or », qui leur donnera le signal de piocher, de creuser à quelques mètres de profondeur pour remplir leurs sacs de pierre, de sable, d’une terre qu’ils espèrent aurifère.
La publication affirme qu’à Kidal, des unités terroristes sont rémunérées par les orpailleurs pour effectuer des missions de sécurité sur les sites. Ce serait aussi en prélevant la zakat que des groupes affiliés à l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) ou au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) tireraient profit de l’exploitation aurifère dans la région.
« Une partie des orpailleurs compose avec les groupes djihadistes moins par conviction que par pragmatisme : ils se rangent du côté de ceux qui détiennent le pouvoir local et déterminent les conditions d’extraction de l’or, ou s’allient aux groupes djihadistes pour reprendre le contrôle de sites miniers disputés. Dans l’ensemble, les sites aurifères restent pour l’instant une source de financement secondaire pour les groupes djihadistes au Sahel. Les sites aurifères peuvent enfin servir de lieu de formation, notamment en matière d’explosifs, puisque l’exploitation aurifère en nécessite la manipulation. Plusieurs membres de la katibat (brigade) Khalid Ben Walid, branche sud d’Ansar Eddine, auraient reconnu avoir reçu une formation aux explosifs sur une des nombreuses mines d’or artisanales du Nord de la Côte d’Ivoire, près de la frontière malienne. Les filières aurifères constitueraient aussi une voie d’approvisionnement pour la fabrication d’engins explosifs improvisés (IED), en particulier dans le Centre du Mali et dans certaines régions du Burkina Faso où le nitrate d’ammonium, commercialisé par des entreprises dans le Sahel, est le principal composant des IED », décrit International Crisis Group.
Paul Y. N’GUESSAN
Source: bamakonews