Une ONG de défense des droits humains accuse le chef de l’Etat de « retourner dans les bras » de l’ex-autocrate afin de se maintenir au pouvoir lors de l’élection du 4 décembre.
A deux mois de l’ouverture de la campagne pour l’élection présidentielle en Gambie, l’alliance entre le parti du président Adama Barrow et celui de son prédécesseur, Yahya Jammeh, accusé de violations des droits humains, agite ce petit pays d’Afrique de l’Ouest. L’accord entre le Parti national du peuple (NPP, de M. Barrow) et l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (APRC, de M. Jammeh) en vue de l’élection du 4 décembre a ainsi ulcéré le Centre gambien pour les victimes de violations des droits humains.
« Cette alliance survient au moment où la commission Vérité, Réconciliation et Réparations [TRRC] est sur le point d’achever sa mission et de remettre son rapport final et ses recommandations au président », a souligné cette ONG dans un communiqué. Elle y voit une « menace pour l’application par le gouvernement des recommandations de la TRRC » et accuse le chef de l’Etat d’« abandonner les citoyens gambiens éplorés pour retourner dans les bras de ce tyran meurtrier et violeur et son parti terroriste », dans le seul but de se maintenir au pouvoir.
En deux ans d’auditions devant la TRRC, plus de 370 témoins ont raconté des assassinats, des tortures, un massacre de migrants ouest-africains pris pour des mercenaires ou encore des viols, tous imputés à Yahya Jammeh et à son règne de vingt-deux ans sur cette ancienne colonie britannique. M. Barrow a fait savoir de longue date qu’il attendrait les recommandations de la commission pour éventuellement demander des poursuites judiciaires contre M. Jammeh.
« Notre objectif est que l’ancien président Jammeh revienne dans ce pays de manière pacifique et dans la dignité », a déclaré début septembre le secrétaire général de l’APRC, Fabakary Tombong Jatta, laissant entendre qu’en cas de réélection, M. Barrow faciliterait son retour d’exil. Un partisan de l’APRC, Ansumana Gibba, a déclaré à l’AFP approuver la décision du parti de « soutenir le président Adama Barrow à l’élection » de décembre. « Cela ouvrira la voie au retour de notre chef suprême, Yahya Jammeh. Il ne peut pas y avoir de paix, de sécurité et de réconciliation dans le pays tant que M. Jammeh n’est pas autorisé à rentrer », a-t-il affirmé.
« Des considérations de sécurité nationale et de réconciliation »
Parvenu au pouvoir par un putsch sans effusion de sang en 1994, Yahya Jammeh s’était fait largement élire et réélire sans interruption jusqu’à sa défaite en décembre 2016 face à Adama Barrow, candidat d’une coalition d’opposition. Après six semaines d’une crise à rebondissements provoquée par son refus de céder le pouvoir, il avait finalement dû quitter le pays pour la Guinée équatoriale à la suite d’une intervention militaire ouest-africaine et d’une ultime médiation guinéo-mauritanienne.
Le Parti démocratique uni (UDP), l’ancienne formation de M. Barrow – qui s’en est éloigné pour créer son propre parti –, lui a reproché de montrer « son incompréhension et son absence de reconnaissance de la raison d’être de l’union des forces démocratiques pour mettre fin à la dictature de Jammeh ». Une sympathisante de l’UDP, Fatoumata Ceesay, a dit s’étonner que « le NPP s’associe à l’APRC, dont le chef, Yahya Jammeh, est responsable de meurtres et de tortures subies par de nombreux Gambiens ».
Quant à Lamin Tamba, un partisan de Yahya Jammeh, il accuse les dirigeants de l’APRC d’« hypothéquer le parti auprès du président Barrow pour leurs intérêts égoïstes ». « Nous devons participer à cette élection en tant que parti, assène-t-il. C’est un mensonge de dire que Yahya Jammeh soutient la candidature de Barrow. »
Face aux critiques, le parti du chef de l’Etat a invoqué la nécessité de l’unité nationale, faisant valoir dans un communiqué que « l’alliance NPP-APRC est fondée sur des considérations de sécurité nationale et de réconciliation, contrairement aux mensonges circulant sur les réseaux sociaux ». « Il s’agit d’une alliance entre deux partis politiques légalement déclarés et non entre individus », souligne-t-il à propos de cet accord dont le contenu n’a pas été rendu public.
Source : Le Monde avec AFP