Ces établissements pourraient surmonter leurs handicaps actuels si l’Etat les extraie d’une tutelle inadaptée
L’ONG Enda-Mali a fait construire une école coranique pilote à Taliko en Commune IV du district de Bamako. Cela pour mieux encadrer les apprenants du Coran. D’autres salles de classes ont été également érigées par la même ONG au Quartier Mali, au Point-G, à Lassa et à Daoudabougou. Dans toutes ces écoles, les enfants talibés étudient dans des conditions qui n’ont plus rien à envier à celles de leurs camarades écoliers du système éducatif classique. Les sites d’implantation ont été soigneusement choisis, les salles de cours correspondent aux normes exigées. Les classes, suffisamment aérées, ont reçu l’équipement idoine en mobilier et en tableaux noirs. Les nouvelles installations n’ont plus rien de commun avec ces classes en plein air les rues ou avec ces pièces récupérées dans des bâtiments délabrés. Les élèves eux non plus n’ont plus rien à voir avec ces enfants assis à même le sol nu et lisant leurs textes à tue-tête.
Cette initiative de Enda-Mali démontre que l’intégration de l’école coranique dans le système éducatif classique est bien possible. Longtemps considéré comme relevant purement de la pratique religieuse, l’enseignement coranique était donné dans les écoles dénommées avec un certain dédain « Bulon kono Kalan » (enseignement de vestibule) ou « duguma kalan » (enseignement par terre). Ces établissements, tels que la plupart d’entre eux se présentaient, n’avaient aucune chance d’être considérés par l’Etat malien comme des centres d’apprentissage et d’éducation. Et pourtant, au regard de leurs programmes d’enseignement, ces écoles ont bien un rôle de formation intellectuelle, culturelle et religieuse. Pour de nombreux observateurs, elles auraient donc dû relever du département en charge de l’Education comme les autres structures de l’éducation non formelle.
Paradoxalement, les écoles coraniques se trouvent sous la tutelle du département de l’Administration territoriale dont les services locaux n’ont pourtant aucun lien institutionnel avec elles. En effet, aucun centre ne peut exhiber un récépissé ou une autorisation d’ouverture délivrés par son département de tutelle. Conséquence de cette situation paradoxale, l’Administration territoriale ne dispose d’aucune information statistique sur ces structures qu’elle est supposée superviser. En raison de cette lacune d’encadrement, les écoles coraniques semblent s’écarter de leur objectif initial au point de susciter une inquiétude légitime et un réel malaise social. L’opinion la plus répandue est qu’elles sont inadaptées aux réalités du monde moderne et que l’avenir des jeunes talibés s’avère des plus incertains.
UNE PASSERELLE FONCTIONNELLE. Ces deux faiblesses ont été soulignées dans plusieurs études, dont certaines réalisées par l’UNICEF et Enda-Mali. Dans les écoles coraniques, les enfants sont soumis à des principes d’apprentissage archaïques dominés par la mémorisation et le châtiment corporel. Les conditions pratiques et matérielles d’apprentissage sont très difficiles à cause de la faiblesse pédagogique des enseignants, mais aussi de l’insuffisance d’appuis techniques, matériels et financiers. Pour remédier à toutes ces lacunes, il devenait impérieux de mettre les écoles coraniques sous la tutelle du département chargé de l’Education nationale.
Le coordinateur de l’ONG Enda-Mali Soumaïla Diarra (équipe de Bamako), explique qu’à l’analyse des contraintes et des difficultés de fonctionnement des écoles coraniques, il a été proposé d’ouvrir le débat sur leur insertion dans le système éducatif et sur un recentrage de leurs orientations techniques et institutionnelles. Il a donc été proposé de réglementer leur ouverture et de soumettre celle-ci à un certain nombre de critères dont les compétences techniques et pédagogiques du maître, le contenu et la forme de la formation et enfin un cadre géographique approprié pour l’implantation des écoles.
Selon Soumaïla Diarra, il a été recommandé à l’Etat de considérer les écoles coraniques comme des structures d’éducation non formelle et de leur accorder par conséquent des appuis techniques, matériels et financiers. Cela afin de leur permettre de jouer pleinement leur rôle traditionnel d’éducation religieuse, culturelle et sociale, mais aussi d’offrir à leurs apprenants la possibilité de développer des compétences professionnelles utiles à leur promotion socio-économique. Il fallait également voir dans quelle mesure on pourrait faire de l’école coranique une passerelle fonctionnelle vers la pratique de métiers et de compétences.
Le responsable du bureau bamakois de Enda-Mali insiste tout particulièrement sur les résultats d’une étude initiée par son organisation et l’UNICEF en 2007. Il ressort de ce document la nécessité d’ouvrir le débat sur les centres coraniques et mettre ceux-ci dans un environnement institutionnel qui sied à leur mission. C’est dans ce dessein qu’a été organisé le Forum national sur les écoles coraniques en 2008. L’une des recommandations de cette rencontre qui a regroupé plus de 200 participants était le maintien des deux types d’écoles à court terme et l’évolution à moyen et long termes vers l’école coranique moderne. A cela s’ajoute la définition d’une passerelle entre l’école coranique moderne et la médersa.
METTRE FIN AU CALVAIRE DES TALIBÉS. Comme recommandé par le Forum, un comité de suivi a été mis en place sous l’égide du Haut conseil islamique pour la mise en œuvre de cette résolution. Comité qui a saisi le ministère de l’Education nationale pour lui faire part de ses préoccupations. Ce qui a permis que la problématique des écoles coraniques soit posée lors du Forum national sur l’Education toujours en 2008. Là, également, il a été demandé aux autorités politiques, administratives et religieuses du pays de conjuguer leurs efforts afin d’évaluer correctement les ressources de ces écoles et de chercher les meilleurs moyens d’y améliorer les conditions d’enseignement. Le ministère de tutelle a donné suite à ces recommandations en lançant une étude en 2010 et mettant en place une commission de réflexion pour l’intégration des écoles coraniques dans le système éducatif national.
Cette commission était notamment chargée de définir les orientations pertinentes et de proposer des moyens d’intégration ou de mise en cohérence de ces écoles avec le système éducatif national. Les résultats des travaux de cette commission de réflexion ont été soumis aux différentes parties prenantes et ont été validées en septembre dernier. Parmi les points majeurs retenus, figure le rattachement par décret des écoles coraniques au ministère en charge de l’Education. Cette évolution nécessite de restructurer et de renforcer en moyens et en personnels arabisants compétents dans les services centraux, décentralisés et déconcentrés de l’éducation en vue de leur permettre d’apporter de meilleurs appuis à l’enseignement en langue arabe.
Pour encadrer la rénovation des écoles coraniques, il est indispensable de faire prendre un décret d’application de l’article 8 de la Loi d’orientation fixant les modalités pratiques d’organisation de l’enseignement religieux dans les établissements d’enseignement privés. Et de déterminer les conditions et les moyens de la rénovation des écoles coraniques en vue de leur arrimage au système éducatif. Un document a été élaboré et soumis à l’appréciation du gouvernement pour adoption et opérationnalisation. Plusieurs partenaires attendent qu’aboutisse cette étape décisive pour mettre fin au calvaire des enfants talibés. Notamment de ceux qui sont obligés de mendier afin de se nourrir. Un phénomène qui constitue une épine supplémentaire dans le pied de l’enseignement coranique.
M.A. TRAORÉ
source : L Essor