Abdoulaye Mounkoro, le secrétaire général de la mairie de Sitakily au moment des faits, a été le premier à donner sa version des faits. Après avoir nié les faits d’atteinte aux biens publics, fractionnement de marchés publics, délit de favoritisme et complicité, il a rappelé qu’en tant que secrétaire général, il était chargé de préparer les réunions du conseil, dresser les procès-verbaux des différentes sessions, puis assister le maire dans sa gestion administrative et règlementaire.
“Il est vrai que les régisseurs des recettes et dépenses me présentaient l’état de leurs activités annuelles et on élaborait un document de synthèse appelé compte administratif. Je donnais aussi des conseils au maire défunt concernant les conditions d’attribution des marchés qui n’étaient pas respectées”, a-t-il expliqué.
Le président l’a interrogé s’il ne siégeait pas au conseil communal ? Il a répondu : “En ma qualité de secrétaire général je siégeais aux différentes commissions, mais je n’avais ni une autorité de conclusion ni d’approbation. J’étais présent uniquement pour dresser les procès-verbaux”.
Quant à Mamadou Bobo Cissé, régisseur des dépenses au même moment, il a été le deuxième accusé à passer à la barre. Il a également rejeté toutes les accusations en son encontre. Il a mentionné qu’il était régisseur des dépenses avant d’être chef de service des finances depuis le 1er janvier 2009. Il a dit être initialement chargé de l’exécution des dépenses ordonnées par le maire principal.
“J’assurais les mandatements et participais à l’élaboration des documents financiers et comptables. En ma qualité de chef comptable, je veillais à la préparation et à l’exécution du budget communal, à la production des documents financiers et comptables en assurant la mobilisation des ressources financières et la prise en charge des dépenses obligatoires“, a-t-il souligné.
Au sujet de la somme incriminée, il a reconnu qu’il recevait des factures visées par le maire dont les mandats étaient établis par lui. Un conseiller l’a questionné sur la manière dont ils recevaient du carburant. “Moi j’ai utilisé du carburant pour les missions du service et le paiement était effectué sur la base des reçus individuels rassemblés pour en faire une seule”. Le conseiller de continuer : “Que dites-vous sur l’irrégularité du décaissement de 1 433 847 643 F CFA au bénéfice de 20 villages”. Il a répondu qu’il n’en a aucune idée et confirmé cependant l’achat des motos. Quant aux dépenses de 164 536 200 F CFA pour les matériels et mobiliers, il a soutenu l’effectivité de ces contrats par des supports archivés. Il a confirmé le coût d’entretien des 3 centres d’état civil d’un montant de 40 875 000 F CFA ainsi que les frais d’études des projets de faisabilité et de formations pour 229 520 442 F CFA.
En tant que membre de la commission de dépouillement, le président de s’interroger comment les marchés d’appels d’offre étaient attribués. Il a précisé qu’il n’est jamais intervenu dans le processus d’attribution. L’accusé principal, Alfousseyni Sissoko, pour sa défense, a expliqué qu’il a remplacé le maire défunt Fatamba Sissoko courant février 2021 et qu’il était auparavant 1er adjoint et président de la commission des finances. A ce titre, il concluait sous l’autorité d’approbation du maire défunt les marchés publics dont le seuil de passation est de 25 à 50 millions F CFA et qu’il n’entretenait aucun rapport avec les régisseurs des recettes et des dépenses. Au sujet du chef d’inculpation sur les frais de carburant de 5 véhicules, 3 tracteurs, 2 camions Ben et un groupe électrogène, il a atteste leur bien-fondé pour un montant total de 225 952 246 F CFA. “Le défunt maire, ses trois adjoints et les régisseurs des recettes étaient bénéficiaires desdits engins dont les différentes factures étaient rassemblées pour en établir une seule à la fin de chaque exercice annuel“, a-t-il indiqué.
Concernant la dotation de 20 villages en fournitures, il a expliqué que la conclusion et l’exécution ont été faites sous forme de consultation restreinte, qui ne relève pas de sa compétence comme énoncé ci-haut.
Quant aux achats de 208 motos pour les exercices de 2017, 2018 et 2019 pour un montant de 83 254 259 F CFA, il a déclaré ne pouvoir se prononcer que sur l’exercice 2018 d’un coût de 38 235 800 F CFA pour lequel le maire avait usé de son pouvoir discrétionnaire pour leur répartition.
Par ailleurs, il a confirmé l’acquisition des véhicules, tracteurs, camions et groupes électrogènes qui sont disponibles à la mairie. Pour les travaux d’acquisitions de matériels et mobiliers de bureau, il a affirmé n’en être nullement informé et ne saurait dire mot sur l’équipement des bureaux rénovés de la préfecture par la mairie.
A propos du coût d’entretien de 3 centres d’état civil et les frais d’étude de projets de faisabilité de construction de la route Sitakily-Baboro-Boribanta, il a dit ignorer le paiement et noté que le second ne pouvait se faire sans appel d’offre requis comme mode de passation des marchés publics.
Concernant les contrats attribués à l’entreprise Falaye Sissoko, Fadiga et Frères de janvier 2017 au 1er trimestre 2021 portant sur 15 marchés dénoncés, il a déclaré avoir été l’autorité qui a servi de conclusions de 2 contrats dont celui relatif au marché n°058 portant sur les travaux de construction des salles de classes et murs de clôture en 10 lots pour un montant de 14 999 962 F CFA et le marché relatif aux travaux de réalisation de 7 magasins d’un coût de 13 871 789 F CFA. Sur l’entreprise Fadiga et frères, il a déclaré que ces contrats ont été attribués pendant qu’il était conseiller municipal et qu’il n’en est pour rien. Contrairement aux dénégations des inculpés Alfousseyni Sissoko, Abdoulaye Mounkoro et Mamadou Bobo Cissé, il ressort des investigations de la brigade économique et financière et des interrogatoires du juge d’instruction qu’il n’a pas été contesté par les inculpés, que suite à la vérification des dépenses de la mairie de Sitakily de la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019, des irrégularités et manquements constatés, s’élevant à 2 095 731 831 F CFA sont estimés détournés et non-justifiés.Les nommés Falaye Sissoko, Daouda Diallo, Moustapha Sylla, Bandiougou Drabo, Hamidou Abdoul Kadri Diallo, Hamidiata Cissé, Bakary Camara, Sékou Diepkilé, Oumar Diouara, Brahima Koné, Mahamé Fofana, Dioncounda Sissoko, Bakary Cissé et Mady Sanga Kéita, tous entrepreneurs ou prestataires de services ayant bénéficié des marchés publics de la mairie de Sitakily, étaient inculpés également pour des faits de complicité d’atteinte aux biens publics par soustractions frauduleuses, par production de faux procès-verbaux de réception et d’attestation de service fait en leurs qualités de bénéficiaires des marchés de la mairie.
Ils ont nié systématiquement leurs responsabilités respectives. Ils ont soutenu avoir entièrement exécuté leurs obligations, et mieux, ils ont affirmé être même créanciers de la mairie pour n’être pas entièrement mis dans leurs droits après exécution de leur part de prestation.
Après 3 jours de débats, le dernier jour a été consacré au réquisitoire du parquet, à la plaidoirie des deux parties et au délibéré.
Le Contentieux de l’Etat a déclaré que les agissements des accusés ont laissé un trou dans les finances de la mairie en spoliant l’Etat des fonds. “L’accusé principal Alfousseyni Sissoko a rejeté toutes les accusations concernant l’octroi des marchés alors que les débats ont montré le contraire. Il a participé à toutes les irrégularités qui ont permis de dilapider les fonds. S’agissant des fournisseurs, certains ne savent même ce que c’est qu’un marché. Ils ont simplement été embarqués par les malfaiteurs. L’atteinte aux biens publics est établie parce qu’ils n’ont pas pu fournir des pièces justificatives concernant la disparition de plus de 2 milliards de F CFA”, a-t-il martelé.
L’un des conseils de la partie civile a rappelé que Sitakily était méconnu, mais c’est grâce à l’exploitation de deux sites miniers qu’il est devenu l’objet de ruée. “C’est une commission qui siège à la mairie concernant les marchés publics. Le maire n’est jamais seul signataire. Il signe au nom des membres du conseil qui ont délibéré sur une situation. La mairie de Sitakily n’a pas de commissaire aux comptes ni de comptabilité-matières. Il y a juste un compte administratif qui ne répond pas aux normes”, a-t-il répliqué. Parlant de la cheville ouvrière de la mairie, à savoir le secrétaire général, l’avocat a souligné qu’il s’est déchargé sur le maire défunt. “C’est une honte, car celui-ci ne peut plus se défendre. Il a dit en tant que 2e adjoint, n’avoir jamais été associé à quoi que ce soit. Un analphabète ne doit pas être maire parce qu’il ne sait ni lire ni écrire les lois qui régissent sa fonction”, a-t-il déclaré.
Pour sa part, le parquet a d’abord salué le professionnalisme de la Cour face à la gestion de toutes les questions techniques soulevées lors des débats. Il a rappelé qu’ils sont tous là pour aider la Cour à dire le droit. “En tant qu’autorité poursuivante, nous ne jugeons pas. Le procureur général est chargé de veiller à l’application de la loi dans l’intérêt de la population. Au regard de certaines irrégularités constatées à la barre, tous les accusés ont contesté le rapport d’audit. Laquelle des deux versions est-elle à retenir ?”, s’est-il interrogé.
Selon le ministère public, tous les entrepreneurs ont indiqué avoir obtenu leur contrat suite à un appel d’offres lancé par le défunt maire. “Les avis d’appels d’offres ont été lancés et les entrepreneurs ont soumissionné leurs dossiers et ont bénéficié des marchés. Certains ont totalement exécuté leur contrat ; d’autres sont en cours d’exécution. Pourquoi le contrôleur financier n’a pas été inculpé, mais il a juste été entendu à l’enquête préliminaire. A la suite des débats contradictoires, je vous demande d’acquitter simplement tous les complices”, a requis le parquet. Concernant Abdoulaye Mounkoro, le secrétaire général, le ministère public a signalé qu’il n’a attribué aucun marché. “Il n’a signé aucun contrat. Il n’a nullement pas sa place ici. Il nous revient de rectifier le tir par l’acquittement de ce monsieur”, a-t-il déclaré. Parlant de Mamadou Bobo Cissé, le régisseur des dépenses, le procureur a fait savoir qu’il intervenait en tant que technicien. “Il n’a nullement été établi qu’il votait le budget communal. Il n’était qu’un simple exécutant, nous nous posons la question pourquoi il est là et celui qui payait, où est-il ? Nous vous demandons de l’acquitter“, a-t-il requis.Aux dires du parquet, pour le cas de Alfousseyni Sissoko, aucun fournisseur n’a pu fournir de pièces contenant sa signature. “Tous les contrats des différents fournisseurs ont été signés par le défunt maire. Aucun entrepreneur ne s’est plaint avoir été discriminé par le maire intérimaire Alfousseyni Sissoko, concernant un marché au profit de Falaye Sissoko, son petit frère. Le simple fait d’être lié par le sang ne constitue pas le délit de favoritisme”, a-t-il soutenu.
Par ailleurs le parquet dit avoir constaté que les marchés étaient créés parce qu’il y avait de l’argent dans la Commune rurale de Sitakily. Il s’est posé la question de savoir qui est réellement l’auteur de ces malversations. “En termes d’observation, toute cette histoire est partie d’une substitution à la tête de la mairie de Sitakily. Les acteurs politiques doivent régler leurs différends, sans impliquer la justice et la justice aussi ne doit pas s’interférer dans la gestion des affaires politiques”, a-t-il conseillé.
Après quatre jours d’instance débat, la Cour a reconnu Alfousseyni Sissoko des faits de favoritisme. De ce fait, il a été condamné à 5 ans d’emprisonnement et au payement de 3 millions de F CFA d’amende. Tous les autres accusés ont été acquittés.
Rappel des faits
La Commune rurale de Sitakily, région de Kayes, est dirigée par un conseil communal composé de 23 membres et présidé en l’occurrence par un maire. Ainsi, suite aux élections municipales ou communales de 2016, le conseil communal de Sitakily a été renouvelé et avec comme maire Fatamba Sissoko et comme 1er adjoint Alfousseyni Sissoko. Malheureusement, le maire Fatamba Sissoko est décédé en cours de mandat le 20 septembre 2020 et son 1er adjoint, Alfousseyni Sissoko assurait l’intérim de cette date jusqu’au 11 février 2021, date à laquelle il a été installé maire de la Commune rurale de Sitakily. A peine installé dans ses fonctions de maire, certains conseillers communaux, à la tête desquels, Sylvain Makan Kéita, ont saisi le parquet près le Tribunal de grande instance de Kayes, d’une plainte contre Alfousseyni Sissoko, M’Bemba Sissoko, Abdoulaye Mounkoro, Mamadou Bobo Cissé, Diawoye Sacko, Niamady Cissé et Mamadou Fadiga pour des faits d’atteinte aux biens publics par fractionnement des dépenses et délit de favoritisme et complicité portant sur un montant de 2 693 008 072 F CFA.
Sur la base de cette plainte, le procureur a diligenté l’ouverture d’une enquête sur les faits qui ont été dénoncés contre Alfousseyni Sissoko, M’Bemba Sissoko et autres en date du 7 octobre 2019. En retour, le parquet a été saisi du PV n°01 du 20 janvier 2020 par la brigade économique et financière de Kayes, dont l’enquête révélait sur la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019, le montant total des recettes mobilisées à 9 456 322 508 F CFA contre un coût global de dépenses de 8 620 496 215 F CFA, soit un montant différentiel de 768 338 852 F CFA.
De la vérification de ces dépenses, des irrégularités et manquements ont été constatés ; ces irrégularités s’élevaient à 2 095 731, 831 F CFA. Ce montant non justifié par les protagonistes a été considéré comme utilisé à des fins non éligibles et relevant du coup aux infractions ci-dessus visées. En vérité, les montants non élucidés se rapportaient notamment à ce qui suit : Les frais de carburants et d’entretien de 5 véhicules, 3 tracteurs, 2 camions bennes, un groupe électrogène, la dotation de 20 villages en fournitures scolaires, les achats de matériels et d’équipements de bureaux ; l’entretien de 3 centres d’état civil ; les frais d’étude et de faisabilité des ouvrages et de formation de certains élus dont les rapports font défaut. Il y a également de nombreuses dépenses injustifiées ou qui l’ont été faussement avec des pièces justificatives fabriquées sont à la base de la dénonciation des faits en cause.
Marie Dembélé