Alors que la durée de la suite de la transition n’est toujours pas déterminée, les acteurs continuent d’afficher leurs divergences. Le torchon brûle entre les «pro-militaires », résolument soudés derrière le pouvoir transitionnel en place, et les acteurs du mouvement démocratique de mars 1991. Déjà mises à mal par des visions opposées depuis le début de la transition, les relations entre les deux camps semblent avoir pris une nouvelle tournure depuis quelques semaines.
L’ADEMA-PASJ tient à rappeler qu’aucune menace, aucune intimidation, aucun chantage n’entamera la ferme détermination des acteurs du mouvement démocratique à sauver la démocratie et à s’opposer aux tentatives de falsification et de réécriture de l’histoire de la démocratie au Mali par des nostalgiques de la période révolue de la dictature et du parti unique constitutionnel », a clamé le parti de l’Abeille dans un communiqué de mise au point diffusé le 4 avril dernier. Une réponse ferme à la déclaration faite la veille par le Collectif pour la défense des militaires (CDM) dans laquelle, suite au panel des principaux acteurs de l’avènement de la démocratie multipartite au Mali organisé par l’ADEMA le 2 avril, ce regroupement avait qualifié de « honteux » et de « trahison nationale » des propos sur la célébration de l’indépendance de l’Azawad attribués au Président du PARENA, Tiébilé Dramé, l’un des participants aux discussions. Le parti du Bélier blanc n’a d’ailleurs pas manqué de réagir à son tour, évoquant une ficelle « trop grosse pour être avalée par les Maliens » et taclant sévèrement un collectif « animé par des gens qui n’ont même pas le courage de défendre l’armée à visage découvert ».
Pour le PARENA, il apparait clairement que la réunion des acteurs du 26 mars au CICB a provoqué des « démangeaisons chez les nostalgiques du CLMN / UDPM et chez les nouveaux parvenus qui se croient tout permis ». Le Collectif pour la défense des militaires a également réagi aux propos du Président de SADI, le Dr. Oumar Mariko, toujours lors du même panel, les qualifiant de « haineux », « mensongers » et « diffamatoires ». En effet, prenant la parole lors des échanges, Dr. Oumar Mariko, introuvable depuis, alors qu’il serait convoqué à la gendarmerie, s’était insurgé contre les conditions de certaines opérations menées par les FAMAs contre le terrorisme. « … Je dis qu’aujourd’hui, en ce moment-là, le Comité stratégique du M5 et le CNSP ont leur responsabilité dans ce qu’on appelle les débordements militaires sur le terrain. Qu’on ne se voile pas la face », avait lâché le numéro un de SADI. FAMAs, la ligne rouge Le Collectif pour la défense des militaires est intransigeant. Dans son soutien aux Forces armées maliennes, le regroupement met en avant une ligne rouge dont le franchissement serait « inacceptable » et « intolérable ».
« Dans un État de droit on doit permettre à chacun de s’exprimer, dans la légalité et le respect des lois. Que vous soyez avec ou contre les autorités de la transition, dès l’instant que vous êtes citoyen malien vous devez avoir la liberté de vous exprimer.«
Le mouvement dénonce des « hommes politiques se proclamant du mouvement démocratique » et ayant décidé de « prendre la relève en accusant nos FAMAs d’exactions, d’exécutions sommaires », suite à la suspension des « médias de propagande français » France 24 et RFI. Il demande d’ailleurs aux autorités de la transition de mettre fin à ce qu’il appelle une cabale médiatique contre l’armée malienne. «Chacun de nous a des parents, des frères ou sœurs dans l’armée. Cette dernière doit être au-dessus de cette mêlée. Nous, nous ne faisons pas d’amalgame ni de confusion », clarifie Yaya Sangaré, Vice-président de l’ADEMA. «Nous, en tant que parti, nous ne pouvons qu’appuyer et soutenir toutes les actions qui se situent dans le combat contre le terrorisme sous toutes ses formes. Mais ce que nous demandons à notre armée, c’est d’essayer d’intervenir avec plus de professionnalisme. Il ne faudrait pas que dans sa montée en puissance des exactions viennent ternir l’image de ces braves soldats qui sont en train de se battre pour le peuple malien. Nous voulons que tout ce qu’elle fait le soit dans le respect des droits humains et des droits inhérents aux conflits armés », ajoute l’ancien ministre, qui reconnait la difficulté de faire la différence entre les civils et les terroristes en l’absence d’une franche collaboration entre les FAMAs et la population.
Jean-François Marie Camara, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences administratives et politiques (FSAP) de Bamako, de son côté, met l’accent sur le respect des règles. Pour lui, une armée, dans un État de droit, doit respecter les principes, qu’elle monte en puissance ou pas, et, d’une manière générale, la liberté d’expression devrait être sauvegardée vis-à-vis des opinions des uns et des autres sur les actions des FAMAs. « Je pense que dans un État de droit, on doit permettre à chacun de s’exprimer, dans la légalité et le respect des lois. Que vous soyez avec ou contre les autorités de la transition, dès l’instant que vous êtes citoyen malien vous devez avoir la liberté de vous exprimer », tempère celui pour lequel la liberté d’expression prend relativement du recul sous la transition. Vers la création de nouveaux blocs politiques ? Le 9 avril dernier, une coalition regroupant 16 associations et partis politiques, dont entre autres le Collectif pour la défense des militaires, le Collectif pour la refondation du Mali (COREMA), le Front africain pour le développement (FAD) de Nouhoum Sarr ou encore le Pôle politique du consensus de Jeamille Bittar a signé une déclaration commune, « Sursaut patriotique de soutien aux FAMAs ». Dans celle-ci, elles demandent aux autorités de la transition de procéder à la fermeture de la Radio Mikado FM, « qui ne cesse d’entretenir la haine entre les différentes communautés du Mali », le « cantonnement de la MINUSMA et le non renouvèlement de son mandat ». Au-delà du soutien sans faille aux FAMAs dans la lutte contre le terrorisme, les nouvelles dynamiques et prises de positions sous la transition pourraient, selon certains observateurs, aboutir à la création de nouveaux blocs politiques et d’un nouveau rapport de forces.
« Du début de la transition jusqu’à maintenant, on a par exemple vu certains partis se regrouper au sein d’un cadre avec pour objectif de créer un contre-pouvoir à cette transition. Mais pour moi, si contrepouvoir il doit y avoir, il doit être exercé par le peuple lui-même », affirme l’analyste politique Ballan Diakité. Selon lui, c’est sur le terrain économique que tout pourrait finalement se jouer, car « force est de constater que beaucoup de citoyens ont un à-priori plutôt favorable vis-vis des militaires, même si une bonne partie de la population crie également à la flambée des prix d’un certain nombre de produits de première nécessité ». Si les autorités de la transition échouaient à diminuer les prix de certains produits et que les conséquences des sanctions se faisaient d’avantage sentir, les acteurs politiques qui veulent créer un contre-pouvoir à cette transition seraient tentés de surfer sur le mécontentement qui serait ainsi généré. Quoi qu’il en soit, « les hostilités» semblent déclenchées, dans un camp comme dans l’autre.
Déjà, le 26 mars, dans une déclaration commémorative des 31 ans de la démocratie, la CNASFaso Hèrè donnait le ton contre les autorités transitoires et les « pro-militaires ». « Aujourd’hui, les attaques frontales contre la liberté d’opinion et d’expression, les efforts de caporalisation à peine déguisée des médias d’État ou étrangers et d’une large partie des médias privés politiquement ou alimentairement orientés, ainsi que la tendance à vouloir judiciariser les débats et controverses politiques, visent à imposer la « pensée unique » et le culte de la personnalité des dirigeants militaires et civils actuels, alors même qu’aucun progrès significatif n’est enregistré dans le sens d’une transition réussie ouvrant la voie à un retour sans délai et sans atermoiements à un régime démocratique normal, issu d’élections libres et transparentes », fustigeait la déclaration, dénonçant par ailleurs un « fond de manipulation populiste et révisionniste de l’opinion alimentant un ultranationalisme revanchard de droite ». Certains dénoncent le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, présenté comme « rancunier » et qui règlerait de vieux comptes avec plusieurs politiques qui ont combattu l’ex Président Moussa Traoré, dont il se réclame.
« Il y a des gens aujourd’hui qui ont fait de cette transition leur fonds de commerce, sinon les acteurs du mouvement démocratique ne sont pas contre les militaires.«
Le Mali au-dessus Mais même étant dans le camp des acteurs de la démocratie, à l’ADEMA, le ton semble modéré. À en croire Yaya Sangaré, dans le contexte actuel, on ne pourrait opposer « des prétendus pro-militaires » à des « démocrates », parce que, soutient-il, le combat des Maliens est de faire en sorte qu’il y ait beaucoup plus d’espaces d’expression et que le pays s’épanouisse dans la sécurité. « Il y a des gens aujourd’hui qui ont fait de cette transition leur fonds de commerce, sinon les acteurs du mouvement démocratique ne sont pas contre les militaires », affirme-t-il. Pour autant, souligne l’ancien Secrétaire à la communication de l’ADEMA, la démocratie malienne est aujourd’hui en danger. « Le sentiment partagé par les Maliens aujourd’hui c’est qu’on est en train de tout faire pour revenir à la dictature dans notre pays, ce que nous n’allons jamais accepter, parce que du sang a été versé le 26 mars 1991 pour que la démocratie soit irréversible au Mali », prévient-il. Selon Ballan Diakité, cet antagonisme qui ne dit pas son nom serait de bonne guerre entre « deux camps qui aspirent à conquérir et à exercer le pouvoir». Des années 90 à maintenant, rappelle l’analyste, le mouvement démocratique est resté au pouvoir et donc aujourd’hui le fait de voir les militaires prendre le dessus est très mal vu de la part de ces acteurs de mars 1991, même si de chaque côté on prétend placer l’intérêt supérieur du Mali au-dessus de toute autre considération. En somme, pour arriver aux mêmes résultats, les deux camps semblent s’être mis d’accord pour ne jamais s’entendre sur la voie à emprunter.
Mohamed Kenouvi
Source : Journal du Mali