Qu’elle soit qualifiée de départ héroïque ou d’un limogeage en douceur, la démission du gouvernement du ministre en charge des Mines, l’Energie et de l’Eau n’en était pas moins attendue de sa part même si le fait est rarissime dans l’histoire politique du Mali. Elle est intervenue le 31 mai sous la forme d’une lettre (adressée au Premier ministre, chef du gouvernement) suffisamment explicite des raisons pour en arrondir l’angle des interprétations. Ce qui est surprenant dans le clap de fin de ce feuilleton, c’est moins le fait de partir que le moment choisi pour s’en aller ayant quasiment réussi à retourner en sa faveur le vent de la contestation qui menaçait de l’emporter.
Dans la grande édition télévisée du soir de l’ORTM du vendredi 2 juin 2023, l’opinion nationale et internationale apprenait, via la lecture d’un communiqué par le secrétaire général adjoint de la présidence, la démission du ministre des Mines, de l’Energie et de l’Eau. Cette démission, acceptée par le Premier ministre, chef du gouvernement (selon une note du cabinet de la Primature), datait pourtant de 48 h auparavant, à savoir le 31 mai. Les termes de la lettre de démission donnent une idée nette des motivations du ministre à jeter l’éponge et laissent apparaître clairement que Lamine Seydou Traoré n’avait pas toutes les cartes en main pour une gestion efficiente des dossiers brûlants du département notamment dans les domaines minier et de l’énergie. Domaines, en plus de celui de l’eau, dans lesquelles ses missions étaient bien définies et il y a travaillé (depuis 2020) comme il l’écrit dans sa lettre.
“En charge du portefeuille des Mines, de l’Energie et de l’Eau depuis plus de 2 ans et demi, j’ai travaillé à : Dans le secteur mines : renforcer le contrôle de l’Etat, mettre en place une unité d’affinage certifiée LBMA, lutter contre le dragage et l’exploitation illégale, organiser la filière de l’orpaillage artisanal, valoriser les contenus locaux, relancer la recherche pétrolière et affirmer la souveraineté de l’Etat sur nos ressources par la création d’une société d’Etat de recherche et d’exploitation des ressources minérales.
Dans le sous-secteur de l’eau : améliorer la qualité de la desserte de nos populations en eau potable, attirer l’investissement privé dans le secteur de l’eau par la recherche de l’atteinte de l’équilibre financier du secteur, relancer la construction du barrage de Taoussa.
Dans le domaine de l’énergie : redresser la situation financière de la société Energie du Mali (EDM-SA) par la mise en œuvre d’une politique de maîtrise des coûts et de revenue assurance, mettre en place un plan de développement essentiellement axé sur des investissements structurants (en solaire, éolien et hydroélectricité) visant à transformer le mix énergétique d’EDM-SA”.
Cependant, dans la réalisation de ces différents chantiers, le ministre partant dit avoir été confronté à des difficultés administratives, révélateurs de dysfonctionnements institutionnels qui amenuisent considérablement sa capacité à relever les défis et/ou opérer les changements attendus par le peuple malien.
Plusieurs fois, Lamine Seydou Traoré dit avoir pris le président Assimi Goïta à témoin. Mais, en vain : “Mes différents entretiens et demandes d’arbitrage auprès de son Excellence le président de la Transition, chef de l’Etat n’ont malheureusement pas suffi à faire aboutir ma proposition de réorganisation de la société EDM et de déblocage des projets majeurs miniers et énergétiques recalés auprès de la présidence ; lesquels projets portent sur le renforcement du contrôle de l’Etat sur le secteur minier, la relance de la recherche pétrolière et gazière, la transformation du mix énergétique d’EDM-SA se matérialisant par la substitution des énergies renouvelables au thermique. Je reste, pour ma part, convaincu que le salut pour le peuple malien en matière d’inclusion énergétique et minière viendrait de la mise en œuvre de ces initiatives”.
“A l’impossible, nul n’est tenu”, dit-on. Et Lamine rend le tablier. Mais, non sans au préalable adresser au président de la Transition et au Premier ministre, chef du gouvernement ses sincères remerciements pour l’honneur et la confiance faits à sa modeste personne de pouvoir servir son pays en qualité de ministre de la République.
Le hic, c’est que rien ne laissait entrevoir la démission du ministre Lamine Seydou Traoré à ce moment précis. Car, contesté de tous depuis plusieurs mois à cause des délestages, une situation qui menaçait de créer des remous sociaux, les derniers événements ont basculé la balance en faveur du ministre. Le président de la Transition avait tout compris décidé de prendre en main le dossier de l’électricité après s’être imprégné de la gestion chaotique de l’EDM-SA, confrontée à un problème de gouvernance.
En effet, à un moment donné, le ministre en charge en charge de l’Energie était carrément écarté de la gestion de l’EDM-SA puisque tous les dossiers étaient directement gérés à Koulouba à travers le directeur général Koureissi Konaré. Raison pour laquelle, le ministre avait pris ses distances dans tout ce qui concerne la société. Ce qui fait que la société est plongée dans une crise sans précédent.
Donc, Lamine Seydou Traoré était dans la dynamique de reprendre les choses en main. D’où sa sortie médiatique sur l’ORTM pour expliquer les raisons des délestages et présenter les excuses des autorités de la Transition au peuple malien.
D’ailleurs, dans notre parution du mercredi 24 mai 2023, nous titrions à la manchette : “Pour soulager la population face aux délestages : Assimi débloque 6 milliards de FCFA pour ravitailler l’DEM en carburant”. Dans l’article de fond, nous écrivions ceci : “Face aux délestages intempestifs d’électricité, le président de la Transition, le colonel Assimi Goïta vient de débloquer une enveloppe de 6 milliards de F CFA pour soulager la population malienne. Consigne ferme a été donné au ministre de l’Economie et des Finances, Alousséni Sanou, de faire le nécessaire.
Cette enveloppe a servi à la société Energie du Mali (EDM-SA) de se ravitailler en carburant auprès de certains opérateurs économiques puisque le délestage est dû en partie à un manque de carburant. Voilà pourquoi, les coupures d’électricité ont connu ces derniers jours une diminution dans certaines localités, notamment dans la capitale.
Malheureusement, ce carburant ne pourra tenir que durant quelques semaines. Selon nos sources, la consommation en carburant pour alimenter les groupes électrogènes varie entre 900 000 à 1 million de litres par jour. Ce qui coûte banalement 600 à 700 millions de F CFA par jour. Là aussi, un jeune opérateur économique se taille la part du lion en fixant ses conditions. A prendre ou à laisser ! C’est dire que le gouvernement sera obligé de mettre de nouveau la main à la poche dans la mesure où l’EDM-SA doit plusieurs milliards de nos francs aux fournisseurs. On parle déjà de 258 milliards F CFA, rien qu’en carburant”.
Est-ce que cette démission va résoudre le problème de délestages et de crise énergétique au Mali ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, l’acte restera gravé dans les annales de l’histoire politique du Mali.
El Hadj A.B. HAIDARA
Source : Aujourd’hui-Mali