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Coups d’État au Sahel : À qui le tour ?

Le nouveau coup d’État au Burkina Faso montre, après ceux du Mali et de la Guinée, qu’un renversement de pouvoir dans les États du Sahel, confrontés à l’insécurité et à la mauvaise gouvernance, ne tient qu’à un fil. Faut-il craindre un effet domino ?

 

Les indicateurs ne trompent presque jamais : mouvements de protestation civile contre le pouvoir la veille à Bobo-Dioulasso, multiplications des rumeurs sur les réseaux sociaux, interruption du signal de la télévision nationale. Le vendredi 30 septembre, le Burkina Faso a connu un nouveau coup d’État. Son deuxième en moins de neuf mois.

Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, accusé d’avoir relégué au second plan « la dégradation de la situation sécuritaire » de son pays, au profit « d’aventures politiques malheureuses », a été démis de ses fonctions de Président de la Transition du Burkina par des militaires du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), avec à leur tête le capitaine Ibrahim Traoré. Ceux-là même qui, huit mois auparavant, l’avaient aidé à chasser du pouvoir le président démocratiquement élu du pays, Roch Marc Christian Kaboré.

De même que le Burkina, le Mali a connu en moins d’un an deux coups d’État et la Guinée Conakry a rallongé son nombre en la matière à trois le 5 septembre 2021. Selon une étude menée sur la période 2011 – 2021 par les chercheurs américains Jonathan Powell et Clayton Thyne, 214 coups d’État ont eu lieu en Afrique depuis la fin des années 1950 (dont 106 réussis). Le continent devance au classement l’Amérique latine (146, 70 réussis) et l’Asie de l’Est (49, 27 réussis).

L’université de Kentucky et l’université centrale de Floride (États-Unis) ont dénombré entre 1960 et 1999 un peu plus de 158 projets de coups d’État en Afrique. 82 ont réussi et 76 ont échoué. « À partir des années 2000, cette tendance a fortement changé. D’abord parce que le nombre de tentatives a diminué et ensuite parce que les coups d’État avaient plus tendance à échouer qu’à réussir », explique le doctorant Oumar Sidibé, professeur assistant en relations internationales à l’Université RUDN de Russie. En effet, les calculs des universités américaines font état de 41 tentatives de coups d’État militaires en Afrique depuis le début de ce siècle. 24 ont échoué contre 17 réussis, auxquels s’ajoute celui intervenu tout récemment au Burkina Faso. Le Pays des Hommes intègres enregistre d’ailleurs le plus grand nombre de tentatives réussies, avec 7 pour 1 seul échec.

Persistance

64 ans après le 1er coup d’État africain (Soudan, 1958) le phénomène persiste toujours sur le continent. Les raisons ? Pour la chercheuse Ornella Moderan, il est lié à la culture politique des pays africains, qui n’ont pas pleinement intégré les valeurs démocratiques. Ceci est dû, selon elle, à la prégnance de problématiques de gouvernance importantes, telles que la corruption, le népotisme et la culture de l’impunité, qui n’ont pas permis aux institutions démocratiques de s’ancrer réellement.

« Nombre de pays en sont restés à des démocraties de façade, qui n’ont pas réussi à délivrer de services publics de meilleure qualité pour les gens. Les compétitions électorales ont eu beau se succéder, leur crédibilité est restée incertaine et, surtout, elles n’ont pas donné lieu à des améliorations de la gouvernance qui auraient pu permettre d’améliorer la vie des gens. Dans ce contexte, il y a une certaine impatience qui se manifeste », explique-t-elle. La culture politique de nombreux pays africains, marquée par une forte politisation du secteur de la sécurité, en particulier de l’armée, qui interrompt le processus constitutionnel lorsqu’elle l’estime nécessaire, est aussi pointée du doigt. Au Sahel, outre l’aspect sociopolitique, les récents coups de force des hommes en uniformes s’expliquent également par l’insécurité qui y sévit. Depuis 2011, avec la chute de l’ex dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, le terrorisme s’est implanté dans la région. Du Mali, il s’est métastasé vers les pays voisins, notamment le Niger et le Burkina.

« Depuis 2012, et même bien avant, les régimes successifs de ces pays, malgré leur engagement, n’ont pas pu apporter une réponse satisfaisante à la question du terrorisme et à l’insécurité grandissante de manière générale. Dans le cas du Mali, par exemple, sous Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), en plus des difficultés sociales, les massacres successifs de civils et de militaires par des terroristes ont contribué à sa chute », rappelle Oumar Sidibé.

Effet domino

Au Mali, tout comme au Burkina Faso, lors des dix dernières années l’insécurité a été l’un des motifs principaux avancés par les militaires pour expliquer le renversement d’au moins trois chefs d’État démocratiquement élus : Amadou Toumani Touré (2012), IBK (2020) et Roch Marc Christian Kaboré (2022). Même si la situation ne s’est pas améliorée après ces intrusions des militaires dans le champ politique. Alors que d’autres pays du Sahel, principalement le Niger, partagent les mêmes difficultés sécuritaires qu’eux, le spectre d’un effet domino s’installe. Au Tchad, la situation qui prévaut a aussi été considérée comme un coup d’État, même si la forme diffère. Après la mort, officiellement au front, d’Idriss Deby Itno, c’est son fils Mahamat Deby qui lui a succédé, alors que le président de l’Assemblée nationale devait assurer l’intérim. Ce dernier s’était désisté.

Urgence

Dans l’espace CEDEAO, si des institutions jugées comme fortes par certains observateurs semblent protéger pour l’heure des pays comme le Ghana ou le Nigeria, l’actuel président en exercice de l’instance, Umaru Sissoco Embaló, a échappé de peu en début d’année (1er février) à une tentative de coup d’État.

Les regards se tournent souvent vers le Niger, le pays partageant certaines similitudes avec ses voisins sous pouvoir militaire. La venue au pouvoir de Mohamed Bazoum, en avril 2021, n’a pas pour l’instant contribué à enrayer les offensives terroristes dans son pays. Blabrine, Waraou, Tillabéri… les localités nigériennes attaquées sont légion depuis le début de l’année. Interpellé en mai dernier à l’Assemblée nationale du Niger, le ministre de la défense nationale, Alkassoum Indatou, a dressé un « bilan macabre » : 1 200 (700 civils et 500 militaires) Nigériens tués dans les attaques terroristes depuis 2013.

L’insécurité est telle qu’à la reprise de l’année scolaire, lundi dernier, 800 écoles sont restées fermées « à cause de l’insécurité », indique un rapport de l’Unicef. En sus, le chef de l’État nigérien doit faire face à la prolifération du sentiment anti-français dans son pays, lui qui a accueilli les soldats français de Barkhane qui ont quitté le Mali en août. Le 18 septembre dernier, des centaines de personnes ont manifesté à Niamey contre leur présence dans le pays, tout en encensant la Russie.

Sur le plan politique, les conditions de son élection irritent toujours certains opposants, en l’occurrence le député Omar Hamidou Tchiana, pour lequel « Bazoum demeure illégitime. Et c’est d’ailleurs cette illégitimité qui l’empêche de prendre à bras le corps les vrais problèmes du pays. Il n’a suscité aucun espoir sur aucun des grands défis que connaît le Niger : corruption, santé, insécurité, économie… », a fustigé l’opposant politique le 28 septembre sur le site web d’information Mondafrique. Les contextes du Mali et du Burkina sont similaires. Les difficultés aussi. « Cela dit, la culture politique de chaque pays est unique », indique Ornella Moderan. « Il ne faut pas tomber dans le piège de penser qu’il y a un effet domino automatique. Les acteurs politiques et militaires de chaque pays observent ce que font leurs voisins et il peut donc y avoir des effets d’inspiration mutuelle ou de mimétisme ».

Selon l’analyste, le Niger, qui a connu des nombreux coups d’État depuis son indépendance (le dernier en 2010), a enclenché depuis 2010 un processus pour consolider sa trajectoire démocratique. « Il n’est pas à l’abri d’une remise en cause de cette trajectoire, mais les autorités sont, je crois, conscientes du risque et exercent une vigilance accrue », pense-t-elle. La tentative de coup d’État survenue le 31 mars 2021, deux jours avant l’investiture du président élu Mohamed Bazoum, en est une illustration.

Au Tchad, aussi habitué aux coups d’État, l’inquiétude est aussi de mise depuis l’annonce cette semaine de la prolongation de deux ans de la transition dirigée par Mahamat Idriss Deby et le fait que ce dernier pourra briguer la magistrature suprême ensuite.

Source : Journal du Mali

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