La situation sécuritaire au Mali ne laisse pas certaines puissances militaires indifférentes. Si la France, présente depuis 2013 avec son intervention pour la lutte contre le terrorisme dans le pays et au Sahel s’y maintient, c’est au tour de la Russie et de la Turquie de lancer des signaux de coopération militaire accrue avec Bamako. Un intérêt grandissant pour le Mali qui suscite des interrogations.
Début septembre, le ministre de la Défense Sadio Camara était en déplacement pour une visite de travail d’une semaine en Russie. Ce n’était pas son premier séjour dans ce pays depuis qu’il tient les commandes de la Défense nationale et cela a coïncidé avec le premier déplacement hors de l’Hexagone, au Mali, du chef d’État-major des armées françaises, le général Thierry Burkhard, qui a pris fonction en juillet dernier.
Ce dernier avait pour objectif de lever toutes les ambiguïtés sur la fin de l’opération Barkhane « qui ne signifie aucunement le désengagement français au Mali et au Sahel ».
Sirènes russe et turque
Le récent voyage du colonel Sadio Camara au pays de Vladimir Poutine a réconforté une partie de l’opinion nationale qui souhaite un rapprochement stratégique militaire entre Bamako et Moscou depuis la prise de pouvoir des militaires de l’ex-CNSP.
Et cela résonne singulièrement depuis les informations de l’agence Reuters du lundi 13 septembre, faisant état, selon des sources diplomatiques, de la signature imminente d’un contrat avec la société militaire privée russe Wagner pour la formation de militaires maliens.
La Turquie de Recep Tayip Erdogan est aussi pour sa part loin d’être attentiste concernant le cas malien. Pour preuve, le dimanche 5 septembre, le Numéro un turc s’est personnellement entretenu avec le Président de la Transition, Assimi Goïta, et indiqué être prêt à « partager son expérience dans la lutte contre le terrorisme avec son ami et frère Mali », à travers le renforcement des relations dans les industries militaires et de défense, selon un communiqué de la Présidence de Turquie.
Quels intérêts ?
Selon le sociologue Dr. Aly Tounkara, spécialiste de l’extrémisme violent et de l’Islam politique, cette « ruée » des puissances militaires occidentales vers le Mali s’inscrit en partie dans une posture de positionnement de ces pays, la position même du Mali en termes de proximité avec les sept pays qui l’entourent le faisant devenir à la limite un « centre de gravité » pour ces puissances.
« Lorsqu’un État est fragile sur le plan sécuritaire et qu’au-delà de cette fragilité il présente aussi des enjeux sur les plans géopolitique et géostratégique, rien d’étonnant à ce qu’on assiste à une sorte d’enchevêtrement d’interventions des puissances militaires. Le Mali est un peu dans cette posture aujourd’hui », explique-t-il.
Au-delà, Baba Dakono, Secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité, pointe pour sa part des intérêts plutôt économiques. Pour lui, la Turquie, par exemple, veut non seulement « vendre ses équipements militaires » mais a aussi besoin d’exporter son savoir-faire dans le domaine militaire. Et la situation actuelle du Mali en fait un « bon client ».
« La Turquie, déjà présente au Mali sur les plans commercial et religieux, a aussi besoin de matières premières. Son intervention au plan militaire au Mali ne serait que pour des visées économiques », renchérit le géopolitologue Dr. Abdoulaye Tamboura.
Mais l’objectif turc est aussi diplomatique, selon M. Dakono. « La Turquie peut profiter de la gestion de la crise sécuritaire malienne pour obtenir des opinions favorables du côté du Mali et faire mieux entendre sa voix au niveau des organisations internationales pour la prise de certaines décisions », ajoute-t-il.
Le Mali est donc, dans une certaine mesure, l’objet d’intérêts militaires affichés mais également, à en croire les analystes, d’autres visées sur le plan diplomatique mais surtout économique. C’est pourquoi il lui faut être « stratège » en termes de définition des domaines d’interventions de ses partenaires, souligne Dr. Aly Tounkara.
« L’intérêt du Mali, c’est d’accepter de former son armée, d’acheter des armes et aussi de réarmer moralement et psychologiquement ses soldats pour gagner des batailles. Je pense que ce n’est que par cette voie que le Mali s’en sortira », préconise par ailleurs Dr. Tamboura.
Mohamed Kenouvi