L’écrivaine Zehira Houfani-Berfas répond, à travers les lignes qui suivent, au président français Emmanuel Macron qui, le 26 août 2022 lors d’une visite en Algérie, a accusé la Chine, la Russie et la Turquie de téléguider des réseaux « en sous-main » pour répandre une propagande anti-française en Afrique. Pour Zehira Houfani-Berfas, l’Afrique n’a pas besoin de la manipulation des Chinois et des Russes « pour ressentir le désarroi et la misère que la Françafrique fait subir à nos pays à l’ombre des indépendances truquées ».
Le 08 février 2013, dans le cadre de l’opération Serval, sur l’aéroport de Bamako. Arrivée d’un avion de l’armée de l’air italienne transportant les 70 premiers membres de l’European union training mission (EUTM). Constituée de militaires de nombreux pays européens, l’EUTM a pour but d’apporter son expertise à l’armée sénégalaise dans le domaine militaire.
Une fois de plus , l’Afrique reçoit un président français missionné pour ramener au bercail les Africains séduits par d’autres horizons que la Françafrique. Pour ce faire, Emanuel Macron « s’épargne un douloureux examen de conscience » vis-à-vis de l’Afrique et s’emploie à accuser les puissances rivales que sont la Chine, la Russie et la Turquie d’alimenter le sentiment anti-français chez les Africains. Non Monsieur Macron, répondent les Africains, la France n’a besoin de personne pour faire ce travail, elle s’en charge très bien depuis des siècles en perpétuant les crimes françafricains sur le continent. En fait, toute l’histoire africaine de la France est ponctuée des plus atroces crimes contre l’humanité, si bien que l’Africain, même dans le ventre de sa mère peut ressentir la souffrance subie par les siens.
Françafrique, un logiciel déphasé
Il aurait été de bon augure, voire un minima de correction pour ses hôtes, que Monsieur Macron se livre à une remise en cause de la Françafrique, de ses pratiques criminelles et leurs retombées dévastatrices sur la vie de millions de personnes, au lieu de cela, il la disculpe grossièrement en mettant en avant la thèse de la manipulation des Africains, et du coup ferme la porte à toute version qui n’est pas sienne. Il refuse de voir la réalité choquante et quotidienne de ces Africains qui lui crient « Dégage ! » sans que les Chinois, les Russes, ou encore les Turcs leur soufflent à l’oreille.
Que l’on soit à Alger, Bamako, Libreville, Abidjan ou Ouagadougou, d’un bout à l’autre de l’Afrique francophone, le bilan des 60 ans de partenariat avec la France est un véritable fiasco pour les populations africaines. Personne n’ignore ce que fait la France en Afrique et ces crimes débordent le continent avec les vagues successives de boat-peoples fuyant leur pays, comme le montrent les accusations de la France par un grand pays de l’Union Européenne. En 2019, l’Italie, à travers les déclarations de son vice-président du Conseil italien et ministre du travail Luigi Di Maio et de son ministre de l’intérieur Matteo Salvini ont accusé ouvertement la France « d’appauvrir l’Afrique en empêchant son développement et en exploitant ses richesses comme au temps de la colonisation » Ils ont, en outre reproché à la France de bâtir sa puissance sur le dos des Africains. Ces deux hommes politiques étaient outrés par l’hécatombe des milliers d’Africains migrants qui meurent dans les eaux de la méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe. « Si aujourd’hui il y a des gens qui fuient c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser leurs pays. » Malheureusement, c’est encore le cas aujourd’hui, surtout après que la France ait détruit la Lybie.
D’ailleurs, il n’y a pas que les étrangers qui blâment le rôle de la France en Afrique, rappelons au président Macron les déclarations de son prédécesseur Jacques Chirac : « Nous avons saigné l’Afrique pendant des siècles […] Ensuite, nous avons pillé ses matières premières ; après, on a dit : ils (les Africains) ne sont bons à rien. Au nom de la religion, on a détruit leur culture et maintenant, comme il faut faire les choses avec plus d’élégance, on leur pique leurs cerveaux grâce aux bourses. Puis, on constate que la malheureuse Afrique n’est pas dans un état brillant, qu’elle ne génère pas d’élites. Après s’être enrichi à ses dépens, on lui donne des leçons ! » C’est édifiant, n’est-ce pas, de la part d’un homme d’État français, qui plus est président ? Les responsables français auraient dû écouter ses conseils et avoir le bon sens comme il l’a demandé en 2008 , dans une autre entrevue ignorée par les médias propagandistes : « On oublie une chose : une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation depuis un siècle de l’Afrique. Alors, il faut avoir un peu de bon sens, je ne dis pas de générosité, de bon sens, de justice, pour rendre aux Africains ce qu’on leur a pris. » Bien sûr, lui non plus n’a pas dérogé aux pratiques de la Françafrique et s’en est servi pour renflouer sa carrière comme les autres, en détournant les yeux du sort tragique des Africains pour empocher les enveloppes de la corruption venants de leurs gouvernants.
L’époque de Jacques Foccart et Felix Houphouët Boigny est révolue
C’est scandaleux qu’après toutes ces années de chaos entretenu par la France et dont les Africains veulent se libérer, Monsieur Macron débarque, porteur comme tous ses prédécesseurs de ce discours rétrograde qui sous-entend que les Africains ont besoin de tutelle pour leur dicter quoi faire et avec qui le faire. Une tutelle dont la France, il faut le dire, avait l’exclusivité et qui maintenant lui est disputée par la Chine, la Russie et la Turquie, pour le grand bien des Africains, qui peuvent désormais choisir leurs interlocuteurs selon leurs propres intérêts. Un changement radical dans la perspective africaine, loin de la coopération tronquée avec l’ex. Puissance coloniale et son partenariat dominant-dominés. Parce que c’est cela que ressentent les Africains à travers les relations malsaines de la Françafrique, qu’ils sont encore colonisés, et de façon scandaleuse en Afrique subsaharienne, comparativement à l’Afrique du Nord, ou sa malfaisance est plus discrète, mais tout autant préjudiciable pour les populations.
L’impossible partenariat gagnant-gagnant avec la France
Qu’est-ce que l’Afrique a gagné durant ces soixante années de partenariat privilégié avec la France ? Pratiquement tous les pays concernés sont rongés par le sous-développement, le chômage endémique, la misère et le désarroi des populations soumises par des administrations profondément corrompues. De quels droits de l’Homme parlent les Occidentaux quand ils reprochent à la Chine et à la Russie de faire affaire avec les dictateurs ? Ça frise l’indécence, quand on sait que ces mêmes occidentaux, avec en tête la France, n’ont cessé de grossir les rangs des dictateurs et de bouffer à leurs tables depuis plus de 50 ans !
En fait, le partenariat France-Afrique peut se résumer au virus de la corruption qui a gangréné tous les systèmes de gouvernance et enfermé les dirigeants africains dans une logique d’abus de toutes sortes sur leurs peuples et de pillage sans fin, dont l’usufruit est blanchi en Occident, surtout en France. Ce qui au final fait de ces dirigeants les obligés de l’Élysée dans une sorte de deal « on vous tient- on se soutient » qui enrichit les uns et les autres au détriment des intérêts africains. C’est cet alliage malsain élaboré par la France en guise de partenariat, que les jeunes élites africaines remettent en cause, en choisissant d’autres partenaires comme la Chine et la Russie.
Non Monsieur Macron, disent les Africains, nous n’avons pas besoin de la manipulation des Chinois et des Russes pour ressentir le désarroi et la misère que la Françafrique fait subir à nos pays à l’ombre des indépendances truquées. Effectivement, force est de constater que la jeunesse africaine est ouverte sur le monde, elle est instruite et sait fort bien faire la différence entre un partenariat gagnant-gagnant comme celui que la Chine, la Russie et la Turquie proposent et le partenariat dominant-dominés imposé par la Françafrique et qui a fait du continent un enfer pour ses populations. N’est-ce pas légitime que les Africains veuillent couper les liens avec cette relation françafricaine héritée des temps sombres de la colonisation ?
Que le président français, maquille cette volonté africaine de rompre avec la Françafrique en objet de manipulation d’autrui n’a rien de surprenant. Ça rappelle aux Africains un autre épisode de leur histoire, quand les oppresseurs coloniaux des années 1950 ont usé des mêmes procédés pour discréditer les contestations anticoloniales et les mouvements des indépendances, en les traitant de complots des ennemis de la France. Mais la roue de l’histoire a tourné en la faveur des peuples opprimés et l’empire colonial français a perdu son combat en Afrique. Certes, on l’a rafistolé et rebaptisé Françafrique avec l’aide de quelques renégats africains, mais aujourd’hui en 2022, il a largement dépassé sa date de péremption et ses codes sont invalides auprès des jeunes élites africaines, résolues à changer le sort de leurs pays.
Aucune haine pour le peuple français
Malgré tous ces griefs retenus contre la France, les Africains ne cultivent aucune haine à l’endroit du peuple français. Les liens profonds tissés entre les peuples dépassent de loin les envolées politiques dictées par les intérêts économiques et géostratégiques. Les Africains savent que la France ce n’est pas que l’Élysée, Dassault, Bolloré, ou ELF, c’est aussi, des femmes et des hommes de grandes valeurs humaines épris de justice, dont voici 2 exemples que je cite personnellement avec reconnaissance, l’illustre François-Xavier Verschave qui a pourfendu les tenants de la Françafrique aux temps des indépendances, et son compatriote, le martyre de la Révolution algérienne, l’anticolonialiste Maurice Audin, qui a épousé la cause du peuple algérien et qui fut assassiné en 1957 sous la torture des tenants de la colonisation française.
Zehira Houfani-Berfas
Écrivaine