La crise profonde qui frappe l’unité industrielle aurait poussé la direction à arrêter la production, privant de salaire beaucoup de travailleurs. Le chef du gouvernement, en tournée dans la région récemment, a laissé entrevoir la reprise des activités sous peu
Jeudi 5 août dernier à Ségou. Matinée de retrouvailles, d’espérance pour des travailleurs de la Compagnie malienne de textile (Comatex-S.A), en arrêt de travail depuis juillet 2020.
Presque déserte depuis longtemps, la cour de cette ex-société d’État, inaugurée en 1968, recouvre le temps d’une visite son ambiance habituelle. Salutations d’usage et cordiales. Les visages affichent optimisme et envie réelle de reprendre le travail. Une foule en liesse accueille le ministre de l’Industrie et du Commerce, Mahmoud Ould Mohamed, en visite d’imprégnation de quatre jours dans les unités industrielles implantées dans la région.
Ce patrimoine industriel malien est la colonne vertébrale de l’économie de Ségou. Il nourrit directement ou indirectement des milliers de Ségoviens. La Comatex est pour la Cité des Balanzan ce que les usines sucrières de Sukala S.A représentent pour Dougabougou et Siribala, également implantées dans la région. Elle rythme la vie économique. Malgré la présence aujourd’hui de plusieurs autres unités industrielles qui tirent l’économie locale vers le haut.
La direction de l’entreprise a entretenu les lieux pour accueillir le ministre Mahmoud Ould Mohamed. Cet effort de dernière heure n’a visiblement pas suffi pour camoufler l’état de déliquescence de l’unité industrielle. La Comatex vit actuellement un des pires moments de son existence. La délégation ministérielle, conduite par des travailleurs, visite les coins et recoins.
L’état des magasins et machines vieillissantes est peu reluisant. Le premier magasin inspecté est dans un état dramatique. Les vieilles machines sont couvertes de poussière. Rats et souris sont devenus les maîtres des lieux. Les eaux de pluies suintent à travers les plafonds. Des débris de coton et d’étoffes de tissus jonchent le sol. À vu d’œil, tout est à refaire.
Comment en est-on arrivé là ? Le porte-parole des ouvriers, Adama Traoré, pointe du doigt « la mauvaise gestion et l’opacité » des responsables de l’entreprise. La mauvaise gouvernance aurait entraîné des difficultés de paiement des salaires des ouvriers.
Pour d’autres, c’est le départ des partenaires chinois qui ont décidé d’arrêter la production en libérant les travailleurs pour cause de Covid-19 qui aura été le coup fatal. La campagne cotonnière catastrophique qui a vu la production nationale dégringoler, n’est pas non plus étrangère à la situation.
ARRIÉRÉS DE SALAIRES- Considérant la méthode utilisée pour les mettre en chômage comme un abus voire un mépris, les travailleurs ont intenté un procès contre la direction au niveau du Tribunal du travail de Ségou pour obtenir le paiement des arriérés de salaires. «Nous avons gagné le procès, nous attendons d’entrer en possession de nos dus », explique Adama Traoré.
Pendant ce temps, des ouvriers viennent chaque jour au travail, excepté les dimanches. Car, pense le porte-parole, le chômage technique des travailleurs décidé par la direction est sans fondement légal. «Nous sommes toujours des employés de la Comatex. Nous trouvons cette décision de chômage technique illégale. Certains responsables qui sont à l’origine de cette situation, bénéficient toujours de leurs salaires et primes. Cela est illégal», fustige le syndicaliste.
Cette injustice, insiste Adama Traoré, est d’autant inacceptable que la grande majorité des ouvriers peine à trouver de quoi faire bouillir la marmite et subvenir aux besoins de leurs familles. « Chacun se débrouille. À cause des difficultés liées au chômage, certains couples ont fini par divorcer. Leurs épouses n’arrivant pas à comprendre ou à supporter la situation », déplore Adama Traoré.
Rencontré sur place, un ouvrier qui a souhaité grader l’anonymat, raconte son calvaire quotidien. « Chaque jour, des petites disputes troublent la quiétude dans mon foyer. Je ne m’entends plus avec ma femme, ni avec mes enfants », souffle celui qui dit être obligé de faire de petits travaux champêtres pour autrui afin de pouvoir joindre les deux bouts. « Parfois, je n’en trouve même pas. J’ai hâte que les travaux reprennent afin de travailler et gagner de l’argent pour subvenir aux dépenses familiales », s’exclame-t-il.
Les souhaits de ces employés pourraient être une réalité dans les jours et mois à venir. L’assurance a été donnée par le Premier ministre, Dr Choguel Kokalla Maïga, en visite récemment dans la région. Le chef du gouvernement a assuré qu’un autre partenaire stratégique a été identifié pour la reprise des travaux. En attendant, « le paiement dans les jours et mois à venir des 2 milliards de Fcfa d’arriérés de salaires » pourrait soulager et stabiliser les familles, a promis le chef du gouvernement.
D’autres entreprises industrielles vivent la même situation. Elles sont en arrêt de production faute de matière première à cause des effets pervers de la pandémie de Covid-19. Balanzan est une usine qui produit des sacs pour riz et sachets plastiques de couleur noire. Elle employait 200 ouvriers à ses débuts en 2018. La pandémie ayant tout bouleversé, l’unité industrielle tourne avec seulement 70 personnes.
La production est passée de plus de 12 millions de sacs par an à moins de 6 millions, selon le responsable de service. À l’usine Ba Mariama, qui produit de l’huile alimentaire, tout le personnel est au chômage. Les gardiens assurent le service minimum.
Tout comme eux, des centaines d’ouvriers d’autres industries implantées dans la Région de Ségou fondent beaucoup d’espoir sur la reprise rapide des travaux. Afin, disent-ils, de mettre fin à leur angoisse.
Envoyée spéciale
Fadi CISSÉ
Source : L’ESSOR