C’est connu : les Maliens sont ceux qui maltraitent le plus les pièces de monnaies et les billets de banque. Et pourtant, au Mali, c’est un chemin de croix de pouvoir utiliser les vieux billets ou les vieilles pièces !
Mody Dembélé est vendeur de céréales au marché de Daoudabougou. Le commerçant se voit contraint depuis un certain temps d’être collectionneur de pièces de monnaies usagées, dont celles de 250 F CFA. Elles se retrouvent toutes sans preneurs dans son petit compteur. Cette situation lui porte des préjudices, affirme-t-il. “Les clients refusent de les prendre après les achats. Pourtant ce sont eux-mêmes qui nous les apportent. Sans oublier que certains refusent de prendre les pièces de 250 F CFA même si elle est en bon état”, s’inquiète le commerçant. S’il avait moins de soucis à prendre de telles monnaies, actuellement avec la quantité de monnaie en sa possession, Mody se met aussi dans le jeu de ping-pong.
Dans la capitale malienne, le cas de Mody est loin d’être isolé. Pompistes, commerçants, transports en commun sont tous concernés par ce phénomène. L’utilisation des pièces usagées et de billets mutilés est un véritable casse-tête. Personne n’en veut après avoir participé à leur détérioration.
Yacouba Samaké vendeur de condiments au marché de Daoudabougou dit vivre au quotidien cet accrochage avec ses clientes. “Les acheteurs refusent catégoriquement qu’on les leur retourne. Souvent, certains les jettent sur nous”, raconte-t-il.
Avant, le marchand échangeait ses pièces de monnaie auprès des particuliers qui passent dans leur marché. Aujourd’hui, il ne veut plus faire recours à leurs services à cause du taux usurier qu’ils imposent. “On échangeait souvent jusque 50 % du montant remis. Ce qui ne nous arrange pas du tout. Sous le régime d’ATT, nous avions bénéficié de deux jours d’échanges des pièces et billets au bord du goudron sans aucun intérêt. Depuis lors, ils ne sont plus revenus”.
En attendant une autre journée, le commerçant rejoint aussi le lot de ceux qui ne veulent plus recevoir ces pièces bien qu’il soit au courant que l’échange s’effectue à la banque sans problèmes. “C’est possible, mais ce n’est pas toujours transparent ni gratuit”, se justifie-t-il avant de donner sa solution, la simple selon lui. Mettre en place des points d’échanges dans chaque commune.
Mody et Yacouba ne sont pas les seuls d’ailleurs à trouver la solution du refus meilleure. Les chauffeurs et apprentis de Sotrama sont plus stricts sur le sujet. En montrant dans sa main des pièces lissées, le chauffeur Yacouba Samaké pense que ça ne sert à rien de les accepter, encore puisqu’il n’y a aucun moyen de les échanger sur place.
“On ne peut plus les accepter à moins qu’on nous les donne à notre insu. Beaucoup profitent de la nuit pour nous les glisser“, ajoute Mohamed Sidibé, chauffeur. Un peu pressé, l’apprenti Salif Diarra se manifeste aussi : “Ces pièces nous créent tellement de problèmes en longueur journée. On ne veut plus les prendre”.
A l’échec des nombreuses tentatives d’échanges de ces billets et pièces de monnaie, le dernier recours de bon nombre d’usagers restent généralement les stations d’essence.
Sauf qu’aujourd’hui beaucoup d’entre elles, à Bamako, se montrent de plus en plus méfiantes face aux billets marqués par une encre bleu ou rouge.
Moussa Bagayoko, gérant d’une station de la place s’explique, “nous avons de sérieux problèmes avec de tels pièces et billets auprès de nos banques partenaires. C’est pourquoi on ne prend plus n’importe quel billet tacheté”, dit-il, pour qui, il leur faut souvent aller dans des structures publiques pour pouvoir les réutiliser.
Pas un motif
Les billets déchirés, usés, tachetés par une encre ou des pièces de monnaie usées ne sont pas une raison de refus d’un billet, selon Abdoulaye Amara Touré, juriste de Banque, président de l’Association des juristes de banque du Mali. Il se réfère à un courrier, en date 21 décembre 2016, que la Bcéao a envoyé à tous les Etats membres.
“C’est inadmissible que des citoyens refusent des billets ou jetons parce que c’est usé“, dit-il. Il précise que seules les autorités monétaires peuvent demander que tels billets ou pièces sortent de la circulation, mais pas le citoyen. Dans son courrier, la Banque centrale donne des instructions claires par rapport à l’utilisation des billets maculés ou mutilés.
Le document précise que sont déclarés “sans valeur”, donc non remboursables “les billets mutilés dont l’ensemble des fragments présentés est inférieur aux deux tiers de la superficie de la vignette d’un billet entier”. Autrement dit, c’est quand vous perdez, par exemple, les deux tiers d’un billet 10 000 F CFA qu’il devient sans valeur.
Selon l’institution, les billets volontairement mutilés, les billets reconstitués graduellement à l’aide de fragments appartenant à plusieurs billets, et ceux endommagés par une encre provenant d’un dispositif antivol dont vous n’êtes pas propriétaire sont également déclarés sans valeur.
Que faire si vous en avez en votre possession ?
Ce n’est pas leur rôle ni une obligation pour les banques d’échanger les billets et pièces de monnaie mutilés ou lissés, souligne M. Touré. Le juriste de banque informera qu’un dispositif est spécialement mis en place à la Banque centrale de chaque pays pour gérer ses cas.
“La prise en charge est faite là-bas. Après vérification, on peut échanger le billet. Ça peut prendre du temps souvent parce que la gestion dépend du degré de détérioration du billet et il y a aussi beaucoup de cas de fraudes dans la gestion de ces billets“, a-t-il déclaré.
Certes, les banques ont un rôle à jouer, reconnait-il, mais ce problème ne peut pas se résoudre à leur niveau seulement, car “nous n’avons aucun moyen de pression sur elles. C’est au niveau de la banque centrale même que nos banques partent aussi échanger ces billets ou pièces de monnaie mutilées”, dit-il. Il ajoute qu’il faut une implication de l’Etat, garant, pour aider à sensibiliser les commerçants et citoyens sur le phénomène, qui n’est pas propre qu’au Mali seulement.
Service gratuit
Aux guichets de la Bcéao-Mali, l’échange de tels billets est gratuit, sauf des cas particuliers. Les demandeurs doivent, par ailleurs, se conformer à quelques exigences sur place. La demande de remboursement ou d’échange s’effectue en présence du présentateur qui doit être muni d’une pièce d’identité valide. Est-ce qu’il faut obligatoirement atteindre un montant précis avant d’aller échanger ? Non selon le juriste de Banque. Il explique que dans le texte il n’y a pas de barème pour l’échange.
Kadiatou Mouyi Doumbia
Hamadoun Touré (stagiaire)
Source: Mali Tribune