La France et ses alliés (16 pays européens sur les 27 que compte l’Union européenne plus deux institutions européennes, le Canada, 8 pays africains non membres de Barkhane et Takuba et la Commission de l’Union Africaine) ont annoncé, ce jeudi, en marge du sommet Afrique-Europe à Bruxelles le retrait de notre pays de leurs opérations militaires, Barkhane et Takuba. Poussés dehors par les autorités maliennes et la rue qui demandait de plus en plus leur départ, la France et ses partenaires européens ont officialisé ce jeudi leur retrait militaire au terme de neuf ans de fiasco antidjihadiste, tout en affirmant vouloir rester engagés auprès des pays sahéliens et du golfe de Guinée.
La France, qui est militairement présente depuis 2013 dans notre pays, était intervenue pour enrayer la progression des groupes islamistes radicaux et aider l’État malien à se reconstituer. Pour y parvenir, la France a mis en place l’opération Serval qu’il recyclera en Barkhane en juin 2014. Malgré le déploiement de plus 5000 hommes au Sahel, dont la majorité au Mali, les djihadistes ne sont pas vaincus, le terrorisme explose hors des frontières du Mali et s’étend à toute la région. En proue aux représailles des moudjahidines, Paris annonce dès janvier 2020 son désir de plier bagage si les opinions africaines notamment maliennes ne taisent pas leurs frustrations quant à l’inefficacité des forces françaises. La rencontre de Pau est passée par là où les présidents du G5 Sahel ont été convoqués par Macron pour « clarifier leur position ».
Arcboutée sur son agenda, prenant prétexte de la rectification de la Transition intervenue sans son onction et sa bénédiction le 24 mai 2021, la France annonce unilatéralement la suspension de son engagement militaire avec les FAMA avant de revenir sur la pointe des pieds deux mois plus tard.
Paris qui est revenue sans être suppliée presse ses valets africains de chasser les autorités maliennes de la Transition auxquelles elle livre depuis une forcenée guerre des mots pour non-allégeance et liberté de ton. Ne digérant pas la diatribe choguelienne à la tribune des Nations unies en septembre dernier, la France et ses principaux dirigeants versent dans l’invective et l’injure envers les autorités maliennes qu’ils traitent d’illégales et d’illégitimes, et enfants issus de deux coups d’État.
De son côté, les autorités de la Transition ne font pas aussi l’économie des mots pour réagir. Un véritablement ping-pong d’attaques verbales entre les différents leaders français et maliens.
Pour couvrir cette déconvenue diplomatique, qu’elle prend comme une véritable claque dans une Afrique, qu’Emmanuel Macron et Jean Yves Le Drian considèrent toujours comme une possession française, l’ex-puissance colonisatrice s’empresse de s’inventer des arguments pour blanchir son départ. Elle prend prétexte des divergences que la CEDEAO instrumentalise avec notre pays sur le chronogramme des élections. Les divergences stratégiques et sur les objectifs mis en avant par Macron ne sont en vérité que poudre aux yeux.
Les raisons du divorce
Les trois raisons majeures qui expliquent le divorce entre Bamako et Paris :
Primo, le rejet de la condescendance et du paternalisme français par les autorités de la Transition. La France postcoloniale s’est toujours comportée en Afrique comme en territoire conquis. L’Afrique c’est sa chose, elle y a installé et maintenu et son bon vouloir a toujours voulu. Sans jamais procéder à un aggiornamento de son logiciel. On comprend aisément qu’elle ne puisse pas comprendre, intégrer, accepter que les dirigeants du Mali (qu’elle considère encore comme sa propriété) ne lui fassent la déférence et la révérence dues à son rang de maitre et lui tiennent tête par-dessus le marché.
Assimi Goîta refuse d’aller accueillir Macron à l’aéroport, d’être trimbalé et de gambader avec lui à Gao comme le ferait tous les autres présidents « sages » et « respectueux » de la puissance française.
Le problème de la France, c’est de n’avoir pas réussi à imposer ses principes et ses vouloirs aux autorités de la Transition. La France qui a du mal à comprendre que le contexte a changé, et s’adapter par conséquence, veut toujours par la fuite en avant maintenir sa domination et sa tutelle sur le Mali.
Donc, il ne s’agit point de coup d’État, de double coup d’État, de volonté de confiscation de pouvoir… Mais de domination, de sujétion, pardon d’assujettissement, de contrôle que Paris peine à avoir sur les nouvelles autorités maliennes. Sinon certains sont à la tête de leurs pays depuis plus de 20-30, de père en fils depuis des décennies, certains avec des distorsions constitutionnelles pour se maintenir au-delà des deux mandats prévus…
Secundo, les négociations avec les djihadistes : fidèle à la politique hypocrite des occidentaux qui disent ne pas négocier avec les preneurs d’otages, mais fournisseurs des armes aux terroristes, la France s’offusque du choix souverain du Mali et ses dirigeants de prendre langue et pactiser avec leurs compatriotes djihadistes. Pour la France qui a toujours un otage au Mali, la ligne rouge c’est de dialoguer avec les chefs terroristes qu’elle est incapable de combattre depuis neuf (9) ans. Or depuis 2017, la Conférence d’entente nationale, qui est une recommandation de l’accord pour la paix et la réconciliation, a prôné la négociation avec les djihadistes maliens Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa. Le Dialogue national inclusif (DNI) de décembre 2019 et les Assises nationales de la refondation (ANR) de décembre dernier recommandent la même chose : dialoguer avec les djihadistes maliens pour trouver une issue malienne à la crise.
Pour la France c’est inacceptable. Si les Maliens s’entendent entre eux, quelles seraient son utilité et sa raison sur le sol malien. Encore, il ne s’agit pas de chasser la France pour permettre aux djihadistes de prendre sa place. Mais quelle différence y a-t-il entre garder la France et vivre en insécurité et trouver un pacte de non-agression avec les djihadistes comme l’ont fait d’autres pays avec lesquels la France coopère et les cite même en exemple de réussite dans la lutte contre le terrorisme ? Il s’agit en clair de la Mauritanie.
Les autorités de la Transition refusent cette duplicité française et décident de prospecter toutes les voies de dialogue avec ceux que la France a été incapable de défaire neuf (9) ans durant. Les balises ont-elles été posées récemment entre le Mali et les djihadistes à Nouakchott ? C’est ce que croit savoir notre confrère Wassim Nasr de France 24. Pourquoi le président de la Mauritanie n’était pas invité par Macron au sommet Afrique-Europe pour parler de la lutte contre le terrorisme ?
Enfin, la décision des autorités maliennes d’élargir leur partenariat dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et l’économie criminelle. Paris qui considère l’Afrique comme sa chose, sa possession, ne peut souffrir de « partager » avec d’autres (russes, turcs et chinois) son influence, son terrain conquis depuis la colonisation. Accusant le Mali de pactiser avec des mercenaires, la nation qui accepte de louer et d’assembler les services de plusieurs nationalités sous le fanion de la Légion étrangère voudrait mettre notre pays au banc des nations pour avoir traité avec une société de sécurité privée, Wagner, comme d’autres pays avant lui.
L’indignation vertueuse de la France pourrait ainsi être décortiquée : moi je suis incapable de vous aider, mais je ne veux pas que quelqu’un d’autre vous aide à sécuriser vos populations et à restaurer votre souveraineté à l’intérieur de vos frontières. Au Mali, cela a un nom ; « Bougouni examen » !
Aujourd’hui l’armée malienne amorce véritablement sa montée en puissance avec l’aide de ses partenaires stratégiques. Les résultats sont éloquents sur le terrain et reconnus par un expert indépendant des Nations unies.
Elle traduit ses états d’âme dans un verbiage diplomatique : «la lutte contre le terrorisme ne peut pas tout justifier. Elle ne doit pas, sous prétexte d’être une priorité absolue, se transformer en exercice de conservation indéfinie du pouvoir. Elle ne peut pas non plus justifier une escalade de la violence par le recours à des mercenaires dont les exactions sont documentées en République centrafricaine et dont l’exercice de la force n’est encadré par aucune règle ni par aucune convention ».
Alors dans une duplicité innommable la France et les alliés bernés osent dire que « les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali » ! Mogo be Allah ye ni ma i djan !
PAR SIKOU BAH
Source : Info-Matin