« Chose promise, chose due », dit un adage bien connu. En septembre dernier, les autorités maliennes de la transition annonçaient le report des élections initialement prévues pour se tenir en février 2024, en promettant de fixer une nouvelle date « ultérieurement ».
Deux mois et demi après la prise de décision de ce qui était annoncé comme un « léger report », une coalition d’organisations de la société civile réunies au sein de la Mission d’observations des élections au Mali (Modele Mali), a brisé le silence le 5 décembre dernier, pour demander à connaître la nouvelle date de tenue de ces consultations populaires censées signer le retour du pays à l’ordre constitutionnel. Une sortie qui se justifie par le fait que pour eux, les conditions sont réunies pour organiser rapidement la présidentielle. Et ils ne manquent pas d’arguments. Morceaux choisis : « Quand on est de bonne foi, qu’on veut aller aux élections, en modifiant simplement l’article 152 de la loi électorale, on pourra aller aux élections. Pour le moment, les autorités n’ont pas prévu de session du Conseil national de transition pour modifier la loi électorale. Aujourd’hui, l’Autorité indépendante de gestion des élections est en place, on a un fichier électoral, les cartes électorales sont déjà là…c’est possible ! ».
La transition ne se résoudra à aller aux élections que lorsqu’elle jugera le moment opportun
Des propos qui traduisent d’autant plus l’impatience de ces acteurs de la société civile à sortir du régime d’exception qu’« en mars 2024, cela fera trois ans et demi de transition », ont-ils fait observer, tout en insistant sur le fait qu’«il va falloir qu’on quitte la transition pour revenir à l’ordre constitutionnel normal ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette vive interpellation du gouvernement par des acteurs de la société civile, ne manque pas de courage dans un contexte où l’expression d’opinions jugées tranchées sur la conduite de la transition, a parfois créé des ennuis pour leurs auteurs. Ce n’est pas l’activiste Adama Diarra alias « Ben le cerveau », leader du mouvement souverainiste « Yerewolo debout les remparts », qui dira le contraire. Lui qui a été interpellé en septembre dernier, parce qu’accusé de porter atteinte au « crédit de l’Etat » après avoir tenu des propos critiques sur la gestion de la transition, dans lesquels il appelait notamment les autorités au respect du chronogramme électoral. Il y a aussi les cas Issa Kaou Djim, ex-député du Conseil national de transition, Mohamed Youssouf Bathily dit Ras Bath, célèbre chroniqueur radio, ou encore Rokia Doumbia dite « Tantie Rose », une autre activiste de la société civile, qui ont tous connu des déboires judiciaires en raison d’opinions critiques sur la gestion de la transition ou sur la cherté de la vie. C’est pourquoi on se demande si cet appel des acteurs de la société civile à l’organisation imminente des élections, sera entendu de la bonne oreille par le pouvoir de la transition ou s’il fera sur…le béret du colonel Assimi Goïta, le même effet que de l’eau sur les plumes d’un canard. La question est d’autant plus fondée que tout porte à croire que la transition est dans son propre agenda et ne se résoudra à aller aux élections que lorsqu’elle jugera le moment opportun. D’autant plus que l’adoption de la nouvelle loi, en juin dernier, par un référendum qui a été soit dit en passant un véritable plébiscite, ouvre la voie à l’éventualité d’une candidature du locataire du palais de Koulouba à la prochaine présidentielle. Toujours est-il que c’est dans ce contexte qu’est intervenue, le 5 décembre dernier, la dénonciation, avec un délai d’effet de trois mois, concomitamment par le Mali et le Niger, des conventions fiscales sur la non-double imposition, qui les liaient à la France. Une démarche qui est la conséquence directe des relations de tensions entre les deux pays ouest-africains et l’ex-puissance coloniale. Et qui voit ces derniers emboîter le pas à leur voisin commun, le Burkina Faso, qui avait pris la même décision en août 2023.
La dénonciation des conventions fiscales apparaît comme un bien pour les Etats africains qui perdaient au change
Et ce, dans un contexte où « la partie française est demeurée silencieuse face à la requête » exprimée depuis janvier 2020 et réitérée un an plus tard par le pays des Hommes intègres, de renégocier ladite convention. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette décision du Mali et du Niger, engagés dans l’Alliance des Etats du Sahel (AES) avec le Burkina Faso, est loin d’être surprenante. D’autant que ces trois pays ouest-africains, engagés depuis bientôt une décennie dans la lutte contre le terrorisme sur fond de profondes brouilles avec la France devenue un partenaire indésirable, ne sont pas loin d’entretenir les mêmes relations exécrables avec l’ancienne puissance coloniale. Mais au-delà des discours souverainistes, la dénonciation de ces conventions fiscales qui dataient parfois de mathusalem et que les régimes précédents de ces trois pays n’avaient pas eu le courage de dénoncer, apparaît plutôt comme un bien pour les Etats africains qui perdaient au change. Et c’est tant mieux si cela peut avoir des retombées positives pour nos Etats qui, par cet acte, ne sont pas loin de s’ouvrir une nouvelle voie vers un peu plus de souveraineté et de dignité.
« Le Pays »