Cette décision a été prise hier par la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Bamako
C’est acté. Accusés «d’enlèvement et de complicité d’enlèvement, d’assassinat et de complicité d’assassinat» dans l’affaire dite des «bérets rouges», le chef de l’ex-junte de Kati, Amadou Haya Sanogo et ses co-inculpés recouvrent la liberté en attendant le procès. La chambre d’accusation de la Cour d’appel de Bamako en a décidé ainsi, hier.
Pour vivre l’instant, une poignée de partisans d’Amadou Haya Sanogo avaient effectué le déplacement à la Cour d’appel. Il y avait aussi de nombreux journalistes. À l’heure de l’audience, seuls les avocats de la défense (dont Me Cheick Oumar Konaré et Tiéssolo Konaré) et de la partie civile, notamment Me Amidou Diabaté, ont été autorisés à rester dans la salle. Les hommes de médias et les simples assistants ont été éconduits, sur ordre du président Amadou Hamadoun Cissé.
Une dizaine de minutes plus tard, Me Tiéssolo Konaré, avocat de la défense, est ressorti de la salle pour annoncer : «Ils sont libres. Amadou Haya Sanogo et co-accusés iront tous aujourd’hui à la maison». L’avocat précisera qu’il s’agit d’une mise en liberté provisoire qui, faut-il le rappeler, est accordée à la condition que l’inculpé prenne l’engagement de se représenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu’il lui sera demandé et de tenir le magistrat instructeur informé de tous ses déplacements. Cette décision de la Cour est bien plus qu’une lueur d’espoir pour les inculpés, privés de liberté depuis sept ans.
«C’est un pas concret vers la réconciliation, une preuve de sagesse du côté de la justice», a commenté le député Oumar Mariko. Et Mahamadou Tidiane Coulibaly, un autre fervent défenseur de l’ex-putschiste, ajoutera que «cette décision ne peut être que bénéfique pour le pays». Quid du sort des victimes ? «Elles seront indemnisées», a lancé Me Tiéssolo Konaré.
Me Moctar Mariko, avocat de la partie civile et président de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), s’est dit animé d’un sentiment mitigé. En défenseur des droits humains, il a reconnu que le «temps de détention préventive des accusés a été trop long». Mais, il a déploré le fait que les familles des victimes aient attendu sept ans, sans percevoir une quelconque indemnisation. Fort heureusement, a-t-il confirmé, un processus est en cours aux fins d’indemnisation des victimes. L’avocat, qui a indiqué que ce processus est en «très bonne voie», n’a pas souhaité donner des détails sur la nature des propositions qui seront faites aux victimes. «Je n’ai pas encore reçu le document final», a-t-il laissé entendre.
Dans un communiqué conjoint, l’AMDH et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ont déclaré avoir pris acte de la libération provisoire d’Amadou Haya Sanogo et co-accusés et appelé les autorités judiciaires à mener cette affaire à son terme.
Cette mise en liberté provisoire est le deuxième acte concret enregistré depuis le début de la bataille juridique qui oppose l’ex-homme fort de Kati aux familles des commandos parachutistes froidement assassinés et enterrés à Diago.
Tout a commencé le 30 avril 2012, quand des «bérets rouges» ont tenté un contre-putsch, qui a été sévèrement réprimé par les tombeurs du régime d’ATT. C’est ainsi que 21 soldats et officiers du 33è Régiment des commandos parachutistes seront enlevés et assassinés. Lorsqu’il a ouvert l’instruction du dossier, le juge Yaya Karembé du Pôle économique de Bamako a d’abord posé l’inculpation «d’enlèvement de personnes».
Le 10 avril 2015, il a requalifié les faits en assassinat. Infraction retenue par la Chambre d’accusation, la juridiction d’instruction du second degré qui, au passage, a mis hors de cause le général Sidi Alassane Touré, patron de la Sécurité d’État au moment des faits.
Parmi les accusés, l’adjudant-chef Fousseyni Diarra dit Fouss, Tiemoko Adama Diarra et Mamadou Koné sont déjà passés aux aveux depuis l’instruction du dossier.
Dans l’arrêt de mise en accusation et de renvoi devant la Cour d’assises, il est écrit : «Dans la nuit du 2 au 3 mai 2012, les 21 bérets rouges qui devaient être exécutés furent embarqués à bord d’un camion militaire, les mains attachées derrière le dos, les yeux bandés d’étoffe noire pour prendre la direction de Diago sous la garde de Fousseyni Diarra dit Fouss ou encore le «Boucher de Kati» et de Tiémoko Diarra, qui furent rejoints plus tard sur les lieux par Mamadou Koné. Et une fois à Diago, sur les lieux de leur exécution, les suppliciés furent attachés et jetés dans une fosse déjà préparée, avant d’être arrosés par des rafales». C’est par cette confession que ces inculpés ont reconnu formellement les faits d’assassinat reprochés à eux dans l’affaire dite des 21 bérets rouges.
Ont-ils commis ces crimes d’eux-mêmes ou recevaient-ils des ordres ? C’est la grande question à laquelle le procès devra répondre. Pour les juges qui ont signé, le 22 décembre 2015, l’arrêt de mise en accusation, il ne fait aucun doute que «la décision prise d’enlever et d’exécuter les 21 bérets rouges est une décision prise par les responsables» de la junte. Les yeux sont donc tournés vers Amadou Haya Sanogo même s’il est accusé de complicité d’enlèvement et d’assassinat.
Mais, Amadou Haya Sanogo, tout comme Oumar Sanafo dit «Kif Kif», Blonkoro Samaké, Soïba Diarra et Christophe Dembélé ont nié en bloc les faits de complicité d’enlèvement de personnes tant à l’enquête préliminaire que devant le magistrat instructeur. Cependant, le colonel Blonkoro Samaké aurait confirmé lors de son interrogatoire qu’Amadou Haya était régulièrement tenu informé de la situation des détenus.
Les généraux Yamoussa Camara, alors ministre de la Défense, et Ibrahima Dahirou Dembélé, chef d’état-major au moment des faits, sont également poursuivis pour complicité d’assassinat.
La Cour d’assises de Bamako en transport à Sikasso avait tenté, en 2016, de trancher l’affaire. De suspension en suspension, le procès avait finalement buté sur une irrégularité de taille, relative à l’expertise des corps enterrés à Diago.
La Cour avait alors ordonné une nouvelle expertise au niveau du Laboratoire Charles Mérieux de Bamako. Ainsi, Amadou Haya Sanogo et les autres accusés sont restés en prison, malgré les tractations menées par leurs avocats pour obtenir une mise en liberté provisoire.
Issa DEMBÉLÉ
Source : L’Essor