Ce sera une guerre longue et nul désormais ne se fait plus d’illusions quant à un succès majeur de l’Ukraine avant les grandes pluies d’automne qui transformeront les fronts en un immense bourbier, la “raspoutitsa” (NDLR: “la saison des mauvaises routes”), paralysant les opérations militaires. Mais Kiev espère toujours faire en sorte que le conflit soit le plus court possible. Le voyage de Volodymyr Zelensky à New York, où il a pour la première fois parlé en personne vêtu de son éternel tee shirt kaki, à l’assemblée générale de l’Onu avant de se rendre à Washington, est à cet égard crucial.
Les deux volets du périple outre atlantique sont aussi importants l’un que l’autre après 18 mois de combats et la perspective d’une nouvelle année, voire plus, de poursuite d’un conflit qui était et reste bien évidemment existentiel pour l’Ukraine, mais qui le devient aussi toujours plus pour l’Europe elle même. La reconquête de l’intégralité du territoire ukrainien Crimée comprise, est un enjeu fondamental pour toute future architecture de sécurité sur le vieux continent. Il ne peut y avoir de prime à un agresseur qui a violé toutes les règles de la charte des Nations -Unies et du droit international.
“L’Ukraine fait tout son possible pour garantir qu’après l’agression russe, personne dans le monde n’osera attaquer une quelconque nation”, a rappelé Volodymry Zelensky devant l’Onu tout en dénonçant la déportation par la Russie de “dizaines de milliers d’enfants ukrainiens” ce qui est “clairement un génocide”.
Zelensky veut remobiliser les occidentaux
D’une part, Zelensky veut remobiliser une opinion publique américaine, mais aussi plus largement occidentale, dont le soutien s’érode avec l’enlisement de la guerre, mais aussi s’assurer de la continuation d’un soutien bipartisan au Congrès malgré les réticences d’une partie des Républicains, et obtenir les armes promises, dont les missiles à longue portée et les avions F 16, mais toujours pas livrées. De l’autre, il tente de muscler sa diplomatie côté sud afin de convaincre tous ces pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine qui pressent pour une paix de compromis afin d’en finir vite avec un conflit perçu avant tout comme une guerre entre Européens et dont ils seraient les victimes co-latérales. C’est à eux, que s’adressait, hier, le président ukrainien depuis la tribune de l’Onu, insistant à la fois sur les moyens de fortifier le principe du respect de l’intégrité territoriale et d’améliorer la capacité de l’Onu à déjouer, à arrêter une agression.”Pour la première fois dans l’histoire moderne, nous avons l’occasion de faire cesser cette agression selon les termes du pays attaqué” a-t-il martelé sous les applaudissements évoquant aussi un “sommet pour la paix”, dont l’ambition va bien au-delà de l’Ukraine. Cette initiative, il compte la présenter devant le Conseil de Sécurité.
Il faut remarquer que Joe Biden était le seul chef d’État ou de gouvernement des cinq pays membres permanents du Conseil de Sécurité présent à New York. Si Vladimir Poutine comme Xi Jinping boudent régulièrement ce grand rendez-vous de la diplomatie mondiale, les absences du président français, en raison de la visite du roi Charles III, et du premier ministre britannique étaient pour le moins inhabituelles. “Je suis frappé par l’érosion du Conseil de sécurité. Il est saboté par les Russes et les Chinois depuis de nombreuses années et son rôle est de plus en plus marginal. La France et le Royaume-Uni ont l’air de s’y résigner”, soupire Michel Duclos, ancien ambassadeur de France à l’Onu et conseiller spécial à l’Institut Montaigne.
Un discours assez peu audible par les pays du Sud
Au sein de l’assemblée générale, le soutien à l’Ukraine reste bien réel. En témoigne encore le vote le 23 février 2023, un an après le début de l’opération spéciale lancée par Vladimir Poutine, d’une résolution exigeant un retrait immédiat des troupes de Moscou, par 141 voix contre 7 (Russie, Biélorussie, Syrie, Corée du nord, Mali, Nicaragua, Erythrée, tous Etats “clients” de Moscou) et 32 absentions dont la Chine et l’Inde. “C’est une majorité écrasante de la communauté internationale” s’était félicité le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrel. Le texte était certes non contraignant comme toutes les résolutions de l’assemblée générale, mais il n’en montre pas moins l’isolement de la Russie, comme lors des trois votes précédents sur le sujet depuis un an avec des résultats comparables. Mais le rapport de force, lui, n’évolue pas. Les abstentionnistes sont toujours aussi nombreux et plus encore ceux qui ne respectent pas les sanctions.
Si le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres fustige à raison de présenter l’agression de l’Ukraine comme “un affront à notre conscience collective”, le discours de Zelensky reste néanmoins toujours aussi peu audible parmi ces pays du sud global, ensemble flou que Pékin et Moscou tentent de transformer en bannière politique d’un nouvel ordre mondial anti-occidental. On aurait pu imaginer qu’ils éprouvent une certaine solidarité avec l’Ukraine, victime d’une invasion aux relents colonialistes. “C’était sous-estimer l’ampleur du ressentiment anti-occidental, l’indignation face à ce qu’ils comprennent comme un deux poids, deux mesures, la survivance de liens tissés à l’époque soviétique et une sympathie de leurs dirigeants pour les thématiques conservatrices portées par Moscou ”, rappelle volontiers le politologue Jean-François Bayart.
Zelensky veut obtenir les moyens de la victoire
L’autre volet du voyage à Washington est à la fois plus facile, mais encore plus délicat, par ses enjeux vitaux sur le cours de la guerre. “On ne nous a pas livré les trois cent chars lourds et les dizaines d’avions F 16 que nous avions demandé dès janvier”, s’indignait fin août le président ukrainien expliquant ainsi le piétinement de la contre-offensive lancée le 4 juin. Sans support aérien, et avec un nombre insuffisant de missile à même de casser les lignes logistiques russes dans l’arrière, l’offensive piétine face à la puissance de la triple ligne de défense russe et de forces qui ont appris de leurs erreurs.
Certes l’avance continue, mais sur des objectifs symboliques comme les ruines de la ville Bakhmout ou plus stratégiques, au sud, pour tenter de couper les voies terrestres de ravitaillement de la Crimée. Les gains territoriaux sont néanmoins minimes- à peine 300 km²- ce qui alimente les doutes du Pentagone quant à la tactique suivie par Kiev tout en rappelant que la contre-offensive est encore en cours et qu’il est donc trop tôt pour en tirer un bilan.
Volodymyr Zelensky ne peut se montrer trop revendicatif sur les livraisons d’armes sans risquer d’irriter ses homologues américains qui déjà, au début de l’été, s’indignaient du manque de reconnaissance des autorités ukrainiennes. Les Etats-Unis ont consacré plus de 43 milliards de dollars (39,6 milliards d’euros) à l’Ukraine en aide militaire, équipements et munitions. Cet été, l’administration Biden a demandé une tranche supplémentaire de 13 milliards de dollars au Congrès, dans le cadre d’un paquet de dépenses d’urgences plus large de 40 milliards. Vétéran de la guerre froide et fort d’un demi siècle expérience aux commissions des affaires étrangère du Congrès, Joe Biden a saisi tout de suite l’enjeu de la guerre d’Ukraine. Mais, depuis le début, il reste prudent, voulant éviter toute mesure “escalatoire” qui pourrait rendre le conflit incontrôlable et porter à un affrontement direct avec la Russie. Les armes arrivent toujours trop tard et en trop petites quantités. Ce que Volodymyr Zelensky veut obtenir, ce sont les moyens de la victoire. D’une victoire la plus rapide possible.
Lors de son discours à l’ONU, le président ukrainien qui cherche à remobiliser les occidentaux n’a pas manqué de rappeler que le conflit s’annonçait long. Volodymyr Zelensky tente aussi de muscler sa diplomatie côté sud où beaucoup de pays pressent pour une paix de compromis.
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