Au Congo Kinshasa, le président Joseph Kabila a le vent en poupe. Ce mercredi 30 octobre, dans l’est du pays, son armée s’est emparée de la dernière place forte des rebelles du M23. Par ailleurs, le 23 octobre, dans un discours à la nation, il a tendu la main à l’opposition politique. Comment celle-ci réagit-elle ? Selon les chiffres officiels, Vital Kamerhe est arrivé troisième à la dernière élection présidentielle de novembre 2011. Aujourd’hui, le président de l’Union pour la nation congolaise, analyse le situation (UNC).
RFI : Dans l’est du Congo vous avez l’habitude de dénoncer la politique de faiblesse du président Kabila. Est-ce que les dernières victoires militaires des FARDC ne prouvent pas le contraire ?
Vital Kamerhe : Je voudrais d’abord féliciter nos forces armées pour leurs prouesses ces derniers temps. Elles ont démontré que, quand elles sont prises en charge correctement, elles sont capables de victoire. Et nous voulons aussi féliciter la Communauté internationale qui s’est impliquée, notamment par la brigade spéciale.
La faiblesse de leadership à la tête de l’Etat est une réalité. Et le dernier discours du président de la République devant le Congrès est un aveu d’échec, parce qu’il a reconnu lui-même qu’il faut maintenant combattre la corruption, il faut mettre en place l’armée, la justice, dédoubler les institutions. J’ai entendu là un président de la République qui venait d’être élu pour la première fois et qui prononçait son discours d’investiture, alors qu’il est là depuis douze ans !
Mais si vous félicitez les forces armées, pourquoi ne félicitez-vous pas leur chef, Joseph Kabila ?
Je félicite le peuple congolais qui a soutenu nos forces armées. Il ne faut pas oublier que les habitants de Goma, de Rutshuru, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, étaient derrière nos forces armées congolaises ! Et je voudrais dire au président Kabila qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire !
En 2009, quand vous étiez président de l’Assemblée et que vous avez rompu avec Joseph Kabila, vous lui aviez reproché un manque de fermeté face au Rwanda. Aujourd’hui, est-ce que vous n’êtes pas obligé de dire : quatre ans après, finalement, je me suis trompé ?
Je ne me suis pas trompé à ce moment-là puisque justement, nous étions à genoux devant le Rwanda.
Mais aujourd’hui ?
Si le président Kabila peut s’élever aujourd’hui, comme nous tous, Tshisekedi et tout le monde, et que nous prenions tous le taureau par les cornes pour dire : donnons à notre peuple, l’image de politique et de politicien m’attire. Mieux vaut tard que jamais.
Kabila, Tshisekedi, Kamerhe… L’union sacrée autour des FARDC ?
C’est inévitable. En ce qui concerne la défense de la patrie il n’y a point d’opposition ni de majorité au pouvoir.
Malgré ses succès militaires, Joseph Kabila doit faire preuve de retenue pour ne pas faire échouer les négociations de Kampala, affirment les Américains.
Je n’ajouterais pas les négociations de Kampala, puisque ça choque un peu le peuple congolais. Nous avons notre façon de voir les choses. Je suis d’accord avec l’envoyé américain sur le fait que la solution militaire à elle seule ne suffit pas. Mais demander encore au gouvernement de la République démocratique du Congo d’aller s’asseoir dans une sorte de bilatérale avec le M23, ca serait un non-sens et aucun Congolais n’accepterait cela.
A l’issue des concertations nationales, le président vient de proposer la mise en place d’un gouvernement de cohésion nationale. C’est une main tendue. Pourquoi ne la saisissez-vous pas ?
Une main tendue ? C’est une contradiction, parce que le président de la République a dit qu’il a gagné les élections en 2011. Nous, nous avons dit qu’il n’avait pas gagné. Ces élections étaient chaotiques. Mais nous n’allons pas refaire l’histoire. Nous demandons au président Kabila de terminer calmement son deuxième mandat le 19 décembre 2016 à minuit, et que nous organisions les élections 90 jours avant, pour qu’il y ait alternance au pouvoir.
Donc aujourd’hui il ne sera pas question pour nous, la Coalition pour le vrai dialogue et mon parti l’UNC, de faire partie d’un quelconque gouvernement de quelque nature que ce soit. Sinon ce serait donner la voie royale au président Kabila de jouer les prolongations, que nous voulons éviter, puisque on a senti dans son discours cette subtilité de dire : on va instaurer une transition. Et on arrivera en 2021 pour organiser les élections qui auraient pu l’être en 2016. Et Kabila va renaître de nouveau et dira : « Au nom de quoi je ne peux plus me représenter ? Nous remettons le compteur à zéro ».
Vital Kamerhe, la Constitution est claire ! Les élections sont tous les cinq ans ! Donc, pourquoi soupçonnez-vous le président Kabila de vouloir reporter cette présidentielle ?
« Chat échaudé craint l’eau froide !» Parce que nous avons vu le président Kabila favoriser la prolongation d’un Sénat qui n’a plus de légitimité ni de légalité. Le président Kabila pourra dire : nous avons déjà un antécédent, pourquoi moi, je ne resterais pas ? Et ça, nous disons : non. Le 19 décembre 2016 à minuit, le mandat du président Kabila prend fin.
Quand votre successeur au perchoir, Aubin Minaku, dit : « Conformément à la Constitution le président partira après les prochaines élections ». Est-ce que cela vous rassure quand même ?
Oui, si nous comprenons la même chose, il doit savoir qu’il a dit quelque chose que le président de la République n’a pas osé dire. Je félicite Monsieur Aubin Minaku, puisque là il veut nous dire : le président Kabila doit être remplacé par un autre président qui sera élu. Il n’a pas été démenti deux jours après par le porte-parole du gouvernement, ni par le ministre des Affaires étrangères. Tous l’ont dit, sauf le président Kabila lui-même.
Nous aurions voulu qu’à l’occasion de son discours devant le Congrès qu’il puisse le dire à haute et intelligible voix. Comme ça on ne va pas lui prêter des intentions. Et donc pour nous, il n’est pas question de faire la chasse aux sorcières. Le président Kabila pourra circuler dans le pays ; le Congo, comme le font les anciens présidents etc. Et ca vous donne une certaine notoriété, ça vous agrandit, et nous pouvons pour cela imaginer une loi portant statut d’ancien président de la République, s’il veut être rassuré !
A l’issue des concertations, le président a annoncé une mesure collective de grâce. N’est-ce pas une bonne nouvelle pour tous les prisonniers qui vont être libérés ?
C’est de la poudre aux yeux, puisqu’on devait voir Diomi Ddongala, Eddy kapend, Chaloupa, tout ce monde-là sortir. Un chef ne peut pas rester en permanence en colère. Il faut savoir pardonner et sans nous diaboliser comme cela est devenu de coutume dans notre pays.
Christophe Boisbouvier
RFI