C’est désormais un secret de polichinelles. L’Etat du Mali, à travers l’Office malien de l’Habitat, est en passe de devenir vendeur de logements sociaux. Présenté à l’origine comme une initiative qui visait à soulager les maliens les moins nantis dans une solidarité légendaire qui a toujours caractérisée le Mali, le programme des logements sociaux, d’année en année, est en train d’exposer sur la place publique la vraie face de l’Etat Mali : un Etat qui lutte contre les pauvres.
Au moment où des milliers de maliens ont été déclarés inéligibles au programme des logements sociaux, à la faveur de la dernière attribution, l’Etat malien, toute honte bue, a décidé de proposer à la vente et à un prix exorbitant de 1200 logements sociaux, pour la plupart de type F4.
Pour des villas basses construites sur des terrains d’une superficie de 250 M2 et comprenant 4 pièces dont 3 chambres, les 1 200 logements sociaux sont proposés à 31 500 000 F CFA l’unité. Et, pour bien emballer cette opération, au regard de son immoralité, l’Office malien de l’habitat a choisi de se cacher derrière des Agences immobilières, qui pour la plupart ne sont pas celles qui ont été mises à contribution pour la construction de ces logements.
Une agence immobilière de la place qui est mise à contribution pour écouler les 1200 logements sociaux de type F4, ne se gêne pas pour diffuser des annonces du genre : « K30 à vendre 1200 logements sociaux F4 situés à Tabakoro Bamako Mali. Ville: Tabacoro. Prix : 48 091 €, soit 31 545 628 087 F CFA. Surface du terrain m²: 250. Nombre de chambres : 3. Nombre de pièces: 4. Descriptif: A vendre 1200 logements sociaux F4 Situés à Tabakoro. Prix F4 : (3 chambres salon) 31 500 000CFA (48.000€) ». Même si cette agence donne l’impression que « l’acquisition peut se faire au comptant ou à crédit », la réalité est qu’il n’y a pas de crédit. Sinon pourquoi l’Etat aura décidé de vendre directement 1200 logements sociaux, alors que tous les autres ont toujours été attribués à des acquéreurs qui les payent par échéances mensuelles ?
En réalité, la seule alternative qui est offerte aux éventuels acquéreurs, c’est le payement au comptant. Pour preuve lisez une partie de l’annonce : « Conditions pour acheter les maisons au comptant : directement par le client; Par crédit bancaire : Le client contracte un prêt au niveau d’une Banque (nationale ou internationale) de son choix. Celle–ci paie la totalité de la somme et convient des modalités de remboursement avec le client ». En français facile, l’Etat demande aux citoyens maliens qui le veulent d’aller s’endetter auprès des banques pour venir acheter à prix d’or des logements sociaux, sans oublier le coût du prêt. Au lieu de 31 500 000 F CFA l’acquéreur payera plus, parce qu’il doit faire face au payement des intérêts de la banque, jusqu’à épuisement de sa dette.
Selon nos informations, il se trouve que cette décision honteuse qui frise l’immoralité de vendre aux plus offrants 1200 logements sociaux à 31, 5 millions de FCFA, a été prise en Conseil des ministres le 31 mai 2018.
Selon un avis d’appel à manifestation d’intérêt de l’Office Malien de l’Habitat paru dans le journal « L’Essor », N°18893 du lundi 15 avril 2019, « le Conseil des ministres, en sa session du 31 mai 2018, a pris acte de la communication écrite présentée sur la situation des logements sociaux. Au cours de la même session, il a instruit notamment, la vente directe de 1200 logements, dont 78 de type F5 (R+l) à Samaya et 1122 de type F4 à N’Tabacoro, tous couverts en dalle ». Aujourd’hui, tout porte à croire que c’est grâce à cet avis de manifestation d’intérêt que l’OMH a sélectionné quatre sociétés immobilières qui ont reçu mandat pour vendre les 1200 logements sociaux.
L’Etat du Mali est-t-il obligé de devenir vendeur de logements sociaux ?
La question que bon nombre de maliens se posent aujourd’hui, est celle de savoir qu’elle est la bête qui a piqué l’Etat malien pour qu’il se décide de vendre cash 1200 logements sociaux ? Est-ce parce que le Programme des logements sociaux bat de l’aile ? Ou, est-ce parce que l’Etat veut renflouer ses caisses ? Dans tous les cas des logements ne sont pas construits pour être vendus cash et à un prix exagéré en terme de rapport qualité/prix.
Les autorités maliennes qui ont pris cette grave décision de vendre des logements sociaux aux plus offrants et rubis sur ongle, ont-ils mesuré la gravité de leur acte ? Destinés aux moins nantis dans un esprit de solidarité nationale, les logements sociaux déjà construits, sont aujourd’hui détournés de leur objet, pour être cédés aux riches qui peuvent payer cash.
Ou bien, en procédant ainsi, l’Etat a-t-il pensé avoir de l’argent frais. Si l’engouement des maliens pour les logements sociaux se transposait au niveau des 1200 logements de type F4 vendus à 31,5 millions de F CFA l’unité, ce sont environ 31,8 milliards de F CFA que l’Etat prévoit encaisser.
Aujourd’hui, il n’y a aucun doute. Cette opération de vente de 1200 logements sociaux à 31,5 millions de FCFA l’unité et cash, n’est rien d’autre qu’un détournement du programme des logements sociaux de son objectif premier. Mais, fort heureusement cette opération est partie pour être un fiasco. Les acquéreurs ne s’y bousculent pas. La raison est toute simple : tous les maliens qui ont la possibilité de mobiliser 31,5 millions de FCFA dans leur canaris ou auprès d’une banque, ne vont pas les utiliser pour acheter ce type de logement. Ils vont préférer acheter leur terrain pour bâtir eux-mêmes leur maison, avec la garantie du matériel de construction de leur choix.
Sauf si les autorités maliennes en prenant cette décision ont voulu faire un appel aux réseaux de blanchiment d’argent. En tout cas, seuls les détenteurs de biens mal acquis vont se bousculer dans les agences immobilières sélectionnées pour cette opération de la honte.
Enfin, en nous référant à la définition selon laquelle le logement social est un logement destiné, à la suite d’une initiative publique ou privée, à des personnes à revenus modestes qui auraient des difficultés à se loger sur le marché privé, nous disons sans gêne que l’Etat du Mali par sa décision de vendre cash 1200 logements sociaux, s’est installé dans le détournement de la vocation d’un programme phare d’expression de la solidarité nationale. Et, du coup, il donne raison à tous ceux qui disent qu’ « au Mali on ne lutte pas contre la pauvreté, on lutte contre les pauvres ».
Assane Koné
Arc en Ciel