La police turque a poursuivi jeudi sa vague d’arrestations dans les milieux de l’extrême gauche radicale après deux attaques meurtrières à Istanbul, qui ont nourri les tensions politiques à deux mois des prochaines élections législatives.
Au petit matin, les unités antiterroristes de la sûreté, soutenues par des blindés et un hélicoptère, ont investi le quartier stambouliote d’Okmeydani, un repère de la gauche radicale, et interpellé une dizaine de personnes proches du Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C), auquel les deux opérations ont été attribuées.
Cette descente de police intervient au lendemain de l’attaque qui a visé la direction de la police de la ville. En fin d’après-midi, une femme a ouvert le feu sur le bâtiment, provoquant la riposte immédiate des forces de l’ordre.
Porteuse d’un fusil automatique et deux grenades, elle a été tuée par la police.
Un homme, présenté par les autorités comme son complice, a été blessé et interpellé par les forces de l’ordre mais il s’est avéré n’être qu’un passant, a indiqué la chaîne d’information en continu CNN-Türk.
Les médias turcs ont identifiée l’assaillante comme Elif Sultan Kasem, 28 ans, une militante de longue date du DHKP-C connue des services de police.
Le groupe radical lui avait attribué un attentat-suicide à la bombe commis en janvier contre un bureau de police du quartier touristique de Sultanahmet, avant que les autorités n’identifient une femme russe mariée à un jihadiste de retour de Syrie comme la kamikaze. La jeune femme avait disparu depuis.
Mardi, deux militants armés du DHKP-C ont retenu pendant plusieurs heures un magistrat au palais de justice d’Istanbul et menacé de le tuer. L’intervention des forces de l’ordre s’est soldée par la mort des deux preneurs d’otages et du procureur Mehmet Selim Kiraz, dans des circonstances qui restent à éclaircir.
Les deux hommes exigeaient la mise en cause des policiers à leurs yeux responsables de la mort d’un adolescent, Berkin Elvan, mort des suites d’une blessure provoquée par une grenade lacrymogène tirée par les forces de l’ordre lors de la fronde antirégime de 2013.
– ‘Complot’ –
Chargé de l’enquête, le procureur Kiraz n’avait encore inculpé aucun policier.
Le décès du jeune homme en mars 2014, après 269 jours de coma, a provoqué des manifestations monstres dans tout le pays.
Pour l’opposition turque, son nom est devenu un symbole de la dérive autoritaire et islamiste qu’elle reproche au régime islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdogan, qui dirige sans partage la Turquie depuis 2003.
Le DHKP-C, qui a commis depuis les années 1990 de nombreux attentats contre des cibles représentant l’Etat, a clamé vouloir « venger » Berkin Elvan.
Une trentaine de ses militants ont déjà été arrêtés mercredi dans plusieurs villes du pays.
Les deux attaques d’Istanbul ont ravivé le souvenir des « années de plomb » turques et attisé les tensions politiques, déjà vives à la veille des législatives du 7 juin.
Jeudi, le ministre de l’Enseignement Bakan Avci a attribué les attaques du DHKP-C à un « complot ». « Nous avons l’habitude de ces méthodes à chaque élection », a déclaré M. Avci à l’agence de presse gouvernementale Anatolie, « c’est un plan pour nous renverser ».
La veille, le Premier ministre Ahmet Davutoglu a évoqué, après avoir assisté aux obsèques du procureur tué mardi, l’oeuvre d’une « alliance du mal », dans laquelle il a rangé pêle-mêle les « terroristes » et les manifestants antigouvernementaux de 2013.
Et il a menacé de la plus extrême fermeté tous ceux qui seraient tenté d’en profiter pour défier son gouvernement. « Si quelqu’un manifeste le visage caché ou avec des cocktail Molotov, je le préviens, ce ne sera pas toléré! », a-t-il tonné.
En réponse, l’opposition a dénoncé les ratés de la politique de sécurité du gouvernement.
Le Parti démocratique populaire (HDP, prokurde) a exigé « tous les détails » sur la mort du procureur, alors que le chef du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, a exhorté le régime à retrouver « calme et bon sens » pour ramener l’ordre dans le pays.
M. Erdogan s’est fixé comme objectif de rafler 400 des 550 sièges de députés lors des prochaines législatives, afin de pouvoir amender à son gré la Constitution.
Source: lepoint.fr