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Tunisie : quand le désir d’Afrique se fait de plus en plus fort

ENTRETIEN. Cofondateur du Tunisia-Africa Business Council (TABC), Anis Jaziri fait partie des personnalités du monde des affaires pour qui l’Afrique est un axe majeur à développer. Il s’est confié au Point Afrique.

« Vous tombez à pic, s’amuse Anis Jaziri, la quarantaine alerte. Nous fêtons nos trois ans. » Le 15 mai 2015, une poignée de chefs d’entreprise, d’économistes et d’experts lançait l’ONG TABC, pour Tunisia-Africa Business Council, afin d’apporter « une valeur ajoutée aux opérateurs économiques en Afrique ». Sans langue de bois : imposer le dossier Afrique aux dirigeants politiques. Trois ans plus tard, la mission de sensibilisation semble accomplie. Reste la consolidation. Ce consultant chevronné, ancien conseiller économique et social du président de la République Moncef Marzouki, tient un langage extrêmement volontariste.

Le Point Afrique : Peut-on dire que la Tunisie a découvert l’Afrique après la révolution ?

Anis Jaziri : Ben Ali, durant vingt-trois ans de règne, a complètement marginalisé l’Afrique. Il n’avait pas d’intérêt pour cela, n’a pas été conseillé en ce sens. Il avait oublié qu’on appartenait à ce continent. Il était comme toute l’élite tunisienne de l’époque : branchée sur l’Europe, les États-Unis, le Nord… Il faut dire que 75 % des échanges se font avec l’Europe. Nous devons consolider nos rapports avec nos partenaires traditionnels (France, Allemagne, Italie, Espagne…), mais nous devons nous diversifier, ouvrir d’autres brèches. Le marché européen, pour les entreprises tunisiennes, est arrivé à maturation. La marge de progression est limitée, il nous faut donc des bouffées d’oxygène.

L’écroulement de la Libye a-t-il joué un rôle dans cette prise de conscience ?

C’est un des grands acteurs avec qui la Tunisie échange. Il y a eu une coupure violente dès 2011 qui a eu beaucoup d’effets négatifs pour nos entreprises. Sans oublier l’Algérie qui, avec la baisse du prix du pétrole depuis 2015, a pris des mesures draconiennes pour limiter les importations. On a été touchés de plein fouet par nos deux voisins. Les entreprises exportatrices ont beaucoup souffert. À TABC, on a fait un grand travail de lobbying pour mettre l’Afrique dans l’orbite des dirigeants. Aujourd’hui, des ministres sont fiers de voyager en Afrique, le chef du gouvernement a fait une tournée dans plusieurs pays : il y a maintenant une très grande sensibilité au niveau de nos gouvernants sur le potentiel de l’Afrique.

Comment avez-vous procédé ? Quels pays avez-vous ciblés ?

On a commencé avec des pays qui nous paraissaient intéressants mais qui n’étaient pas très convoités par les puissances déjà présentes en Afrique. Le Mali, le Burkina Faso, le Cameroun, la Guinée-Conakry… Puis nous sommes allés à Djibouti, la porte d’entrée vers l’Afrique de l’Est avec ses sept ports, tout y passe pour alimenter l’Éthiopie… Après deux ans et demi, nous nous sommes rendus dans les deux destinations les plus prisées des Tunisiens : la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

Quels sont vos critères ?

Nous avons commencé avec la partie francophone, les Tunisiens étant très francophones. On a étudié le potentiel, la croissance et la stabilité. Nous avons choisi des pays où la démocratie commence à s’installer. Avec la révolution tunisienne, ce sont logiquement des pays qui nous intéressent.

Que représente l’exportation en Afrique pour les entreprises tunisiennes ?

Peu. En 2014-2015, il n’y avait pas beaucoup d’entreprises tunisiennes branchées Afrique. Cela représentait 600 millions de dinars d’exportation, ce n’est rien du tout, 200 millions d’euros. Après trois années de mobilisation, de communication, on ne peut pas dire que les chiffres ont augmenté, nous sommes peut-être à 800 millions de dinars, mais les gens s’installent, créent des plateformes commerciales. Des entreprises sont en train de s’implanter sur le plan industriel, comme le groupe Poulina. D’ici deux à trois ans, il faut qu’on triple ce chiffre en Afrique subsaharienne. C’est faisable.

Vous déroulez une stratégie long terme…

L’Afrique, c’est un potentiel. C’est notre continent et nous avons la responsabilité de contribuer à son développement dans une logique de coopération sud-sud. Certes, il y a la coopération nord-sud, sud-nord, mais la Tunisie doit jouer un rôle important dans les rapports sud-sud.

Quels sont les atouts de la Tunisie ?

Il y a un besoin énorme dans l’éducation. Nous devons développer la coopération entre les universités tunisiennes et celles des autres pays. Nous avions 12 000 étudiants africains avant 2015. À la suite de problèmes sécuritaires, nous sommes tombés à 7 000. L’objectif : 20 000 élèves subsahariens. Lors de nos missions exploratoires, nous nous sommes rendu compte que les cliniques et les docteurs sont les plus convoités. Il y a beaucoup de demandes (Mali, Niger, Guinée-Conakry, Djibouti) pour des mises à niveau de cliniques, de médecins. L’agrobusiness, le BTP, les services, les TIC sont aussi des priorités.

Qu’attendez-vous de l’État ? Des infrastructures ?

Avec Tunisair, nous avons travaillé pour obtenir des lignes directes. Conakry et Cotonou existent dorénavant au départ de Tunis. Nous espérons Douala, ce qui permettra à partir du Cameroun de se rendre au Gabon et en RDC. Pour l’Afrique de l’Est, on pousse. Tunisair, malgré ses difficultés, fait beaucoup d’efforts. Et les vols vers l’Afrique sont complets ! Pour la Côte d’Ivoire, nous sommes à six-sept vols chaque semaine. L’autre volet, logistique, concerne la CTN. Qui démarrera début juin une ligne maritime directe Tunis-Dakar-Abidjan. Et après le Ghana. Cela facilitera l’export et permettra de gagner de la rapidité.

Est-ce que le port de Radès, par lequel passent 80 % des importations et des exportations, est un problème ?

Radès est un problème. En termes de retard. Ce n’est pas normal que des navires restent en rade une semaine, voire deux. La situation était pire en 2011 avec des blocages d’un à deux mois. On se rabat sur les ports de Bizerte, Sousse, Sfax… C’est un blocage tuniso-tunisien qui doit être résolu. C’est une question de temps et de courage politique. Nous sommes en transition démocratique et les gouvernements, par essence, sont faibles. On a une centrale syndicale, l’UGTT, qu’on respecte, car elle a largement contribué au succès de la révolution. Mais aujourd’hui l’Ugtt pèse lourd sur pas mal de dossiers. Je pense qu’à partir des élections de 2019 (législatives et présidentielle) chacun reprendra sa place. Il faut un recadrage. Que ce soit pour l’Utica (le patronat), l’Utap (syndicat agriculture et pêche) ou l’UGTT.

Quid de la réglementation des changes ?

C’est un système très contraignant. Si vous êtes une plateforme commerciale, pour envoyer des fonds, c’est très compliqué. Il faut passer par des demandes qui prennent parfois six mois au niveau de la Banque centrale. On comprend qu’il y a un manque de devises, mais nous, on parle d’export, de sociétés qui rapportent des devises. Quand on demande de débloquer un million d’euros, vous allez en avoir deux ou trois en retour. Le nouveau gouverneur de la BCT est très réceptif. Mais il faut ouvrir les robinets pour les sociétés exportatrices.

Est-ce que les banques tunisiennes jouent leur rôle ?

Pas encore. Elles commencent à avoir de l’intérêt, mais, tant qu’une banque n’a pas eu le courage de s’installer dans un pays africain ou d’entrer en partenariat avec une autre banque, on ne peut pas dire qu’il s’est passé quelque chose. Il faut que ça s’accélère. La STB a créé une filiale avec Sonibank au Niger. Sans oublier AfricaInvest, un fonds d’investissement purement africain qui gère 2 milliards. 350 Tunisiens sillonnent l’Afrique pour voir les opportunités.

Est-ce que le Maroc est un modèle ? Un concurrent ?

Ce n’est pas un modèle. Le Maroc est un concurrent honorable. Nous sommes fiers de nos amis marocains qui nous ont devancés en Afrique. Depuis le début des années 2000, le Maroc a une vision et une stratégie qui lui ont permis de percer en Afrique. Nous félicitons nos frères marocains, mais la Tunisie a tous les atouts pour faire mieux. Dire que la Tunisie est en retard, c’est du n’importe quoi. L’Afrique, c’est énorme. Il y a un potentiel de développement immense. Il y a de la place pour tout le monde.

Quels sont les clichés véhiculés sur l’Afrique ?

Beaucoup de Tunisiens pensent que c’est « la famine, la pauvreté et l’histoire de l’esclavage ». Ça prend du temps d’effacer les idées reçues. Pour cela, il faut aussi expliquer qu’il n’y a pas que les affaires. Sans composantes culturelles, sociales et historiques, on ne peut pas gagner la bataille des affaires. Il faut démocratiser l’histoire et la culture de chaque pays africain. Le continent a devant lui un futur très important.

Source: lepoint.fr

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