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Tribune: pourquoi pas une diaspora engagée ?

L’état de saturation et d’apathie de la vie politique dû à la gestion du court terme, au manque de projection et de pugnacité des acteurs a largement contribué à la naissance de groupes de pression au sein de la société civile. Face à cette donne qui préjuge d’un recadrage du jeu politique, la diaspora ne devrait-elle pas sortir des sentiers battus pour repenser son rôle et obtenir enfin la prise en compte de ses aspirations légitimes dans la gestion des affaires publiques ?

tiemoko sangare ancien ministre president adema pasj

LE MALI A PLUS QUE JAMAIS BESOIN
DU RETOUR D’EXPÉRIENCES DE SA DIASPORA
La diaspora malienne s’est constituée par vagues successives d’abord dans la sous-région ouest africaine, puis bien au-delà. La première vague s’est formée sous la première république (1960-1968) avec deux entités : celle regroupant des populations que la proclamation des indépendances a rattaché à un territoire autre que le Mali et celle des catégories sociales qui ont eu des difficultés de cohabitation avec le régime socialiste et la révolution active sous Modibo Kéita. La seconde vague (1969-1999) comprend elle aussi deux entités : celle essentiellement composée des étudiants et intellectuels qui ont eu maille à partir avec le régime militaire et celle des victimes de la sécheresse et des ajustements structurels de la Banque Mondiale et du FMI. La troisième vague enfin (2000-2017) est constituée des enfants nés à l’étranger de parents maliens. Si certains se sont intégrés dans les pays d’accueil, d’autres ont conservé la nationalité malienne, mais tous ont ensemble d’avoir un point d’attache avec le Mali. On peut y ajouter les migrants économiques de ces derniers temps (étudiants, commerçants et travailleurs en quête d’emploi), sur fond de féminisation du phénomène migratoire.
Estimés entre quatre et six millions d’âmes, les Maliens établis à l’extérieur investissent beaucoup au Mali. Pour s’en convaincre, il suffit de visiter certaines infrastructures socio-économiques réalisées par les migrants dans les régions de Kayes, Mopti ou Sikasso. En outre, le niveau des transferts financiers et de connaissances confirme leur impact sur l’économie nationale. Les transferts financiers sont passés de 475 Milliards en 2015 à 486 Milliards en 2016, avec une prévision de 500 Milliards environ pour 2017. Grâce au programme TOKTEN, l’intelligentsia expatriée dispense la formation et encadre des travaux de recherche dans les universités et grandes écoles. Devant le succès de l’opération, le TOKTEN est aujourd’hui élargi aux secteurs de la santé, l’agriculture, les PME-PMI, l’Administration publique. Sans le soutien de sa diaspora, certaines crises socio-politiques couplées avec les effets néfastes des changements climatiques auraient pu faire sombrer le pays. Ainsi, à l’éclatement de la crise du nord, la diaspora a réuni en quelques semaines la bagatelle de 925 Millions sur lesquels 221 Millions ont été affectés à l’aide aux populations du nord et le reste à l’armée nationale au titre de l’effort de guerre. Cependant, alors que le retour d’expériences de la diaspora a été identifié par la Conférence de Paris (9 Avril 2013) et celle des donateurs de Bruxelles (15 Mali 2013) comme l’un des piliers de la relance post-crise au Mali, il est difficile de comprendre qu’on s’évertue à confiner la diaspora dans le rôle de simple « bétail électoral » et de pourvoyeur de fonds, en créant même des rivalités intestines pour s’assurer qu’on va ainsi la contrôler.

DANS SES RAPPORTS AVEC LE MONDE POLITIQUE QU’ON PEUT COMPARER À
« L’ALLIANCE DU CAVALIER ET DU CHEVAL », LA DIASPORA DOIT CHANGER DE POSTURE
Au regard de sa population, de son poids intellectuel et économique, des investissements réalisés pour le développement des zones de départ de migrants, est-il sain de continuer à maintenir la diaspora malienne dans une hibernation politique avec une sous-représentation aussi criarde que révoltante ? Depuis la Conférence Nationale de 1991 et la Constitution de 1992, la diaspora n’est toujours représentée au Haut Conseil des Collectivités que par trois (3) membres et au Conseil Economique, Social et Culturel par quatre (4) membres. Elle ne dispose d’aucun représentant à l’Assemblée Nationale. Quel avenir peut avoir une démocratie qui choisit délibérément d’ignorer la représentation au Parlement du tiers de sa population active ? Quelle région du Mali, quel parti politique, quel regroupement de quelque nature que ce soit fait mieux que la diaspora ? Prendre prétexte de la création par l’Assemblée Nationale d’une commission dont la diaspora ne comprend rien au fonctionnement et à la désignation des membres est plus qu’une incongruité, c’est une imposture. En effet, pourquoi s’acharner à faire porter le chapeau par le genou au lieu de le poser simplement sur la tête ? La plupart des pays d’Afrique se sont inspirés du modèle d’organisation de la diaspora malienne en s’émancipant des lourdeurs et blocages grippant notre modèle. La preuve est faite depuis vingt-cinq ans qu’on ne veut rien céder aux Maliens établis à l’extérieur en dehors de quelques strapontins. Il leur revient donc, en tant que citoyens à part entière comme les autres, de prendre et au besoin d’arracher ce qui leur revient de droit. Pendant que leur contribution au développement national est clairement établie, combien d’opérateurs économiques et d’intellectuels de la diaspora sont sollicités lorsqu’il s’agit de marchés publics, d’exonérations fiscales ou de nomination à des postes de responsabilité ? Là, les intrigues politiciennes internes et la connivence des élites jouent à fond avec le résultat dramatique que tout le monde voit depuis un quart de siècle.
Nul n’ignore que la diaspora se trouve au centre de convoitises politiques soutenues, notamment à l’occasion de l’élection du président de la république. Elle est sollicitée pour le financement de la campagne électorale dans les pays d’accueil et au Mali. Des sommes faramineuses sont investies qui se chiffrent à plusieurs centaines de millions. Ses principaux leaders sont sollicités pour obtenir le vote des Maliens de l’extérieur parce que ce vote ne se limite pas aux seules voix dans les pays d’accueil, il concerne aussi celles des terroirs d’origine des migrants. Dans cette « alliance du cavalier et du cheval » au sein de laquelle les hommes politiques ont jusqu’ici choisi le confort de la selle, il faut inverser la tendance en créant un cadre de discussion des projets politiques, afin d’obtenir de chaque candidat des engagements précis assortis d’un mode opératoire réaliste. Cela permettra de juger chaque prétendant à la magistrature suprême sous le double spectre des intérêts vitaux du Mali (paix, sécurité, bonne gouvernance) et de la prise en compte effective de la diaspora dans le processus de développement économique, social, culturel mais aussi politique.
Les préoccupations essentielles de la diaspora sont la disponibilité des documents d’état civil, la protection civile et sociale ainsi que celle des biens dans les pays d’accueil. Elles concernent ensuite le retour et la réinsertion au Mali dans la dignité et le respect des droits. Les Maliens établis à l’extérieur ont besoin d’être correctement représentés au sein des instances de décision parce qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Le silence n’est plus une option et il doit être compris par tous que la diaspora représente plus qu’une vache à lait. Elle a aussi les moyens d’être le cheval qui tire la charrue.

Mahamadou Camara
Email : camara.mc.camara@gmail.com

 

Source: info-matin

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