Là est le cœur du nouveau dilemme sahélien : parvenir à concilier la position difficile des États africains, celle de leurs partenaires internationaux, l’impératif de gestion des urgences sécuritaires et la nécessité d’un changement de paradigme face à l’échec patent du tout-militaire.
« Quand la case du voisin brûle, il faut mouiller ta barbe », dit le proverbe moré. De fait, cela fait bien longtemps que l’incendie a gagné les pays limitrophes du Burkina Faso.
Bien avant que des groupes islamistes armés profitent de la rébellion touarègue pour prendre le contrôle du nord du Mali, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) avait multiplié attaques et prises d’otages dans la sous-région, démontrant la preuve de son influence croissante au Mali aussi bien qu’au Niger. Le Pays des hommes intègres a eu tout le temps de voir le danger grandir à sa porte et de réfléchir à une approche globale de la montée de l’extrémisme violent.
Insécurité dans l’Est
Hélas, les circonstances particulières d’une transition politique à tout le moins chaotique, doublées d’une culture du déni d’un risque pourtant évident, l’en ont empêché, jusqu’à ce que les attentats de Ouagadougou, en 2016, signent la fin de l’exception pour faire entrer tous les pays de l’Afrique de l’Ouest dans l’ère de l’absurdité même de la prévision.
Le Burkina Faso, qui, jusqu’en 2015, était l’un des rares à pouvoir encore faire prévaloir une approche préventive et prospective, fait désormais partie des États sous haute pression sécuritaire – le risque étant aussi celui d’une extension du théâtre des opérations terroristes vers cette Afrique côtière jusqu’ici globalement épargnée.
L’insécurité, qui était au départ limitée au septentrion burkinabè et au Liptako Gourma, s’est progressivement étendue à d’autres régions du pays, et singulièrement à l’Est, dans cette zone forestière que se partagent le Burkina Faso, le Bénin et le Togo.
Entre la mi-août et la fin du mois de septembre 2018, 21 attaques terroristes ont été répertoriées, dont 14 dans la seule région de l’Est (particulièrement dans les provinces de la Kompienga et de la Komandjari). Dans ces zones, les symboles de l’État sont directement pris pour cible.
Pas plus tard que le 15 novembre, des agents de l’État sont tombés dans un guet-apens sur l’axe Fada-Pama, jusque dans la zone de la réserve présidentielle. L’insécurité est telle que, depuis le début de novembre, le personnel du Tribunal de grande instance de Fada N’Gourma est en grève illimitée pour protester contre l’absence d’un dispositif sécuritaire minimum dans l’Est.
« Un nouveau Mali » ?
Aujourd’hui, la communauté internationale s’inquiète de voir cette partie du Burkina Faso et ses forêts devenir le nouveau refuge des groupes terroristes. D’autant que la proclamation de l’état d’urgencedans le sud-ouest du Niger, dans les départements de Say, Torodi et Téra, dans la région de Tillabéri, va indéniablement faire de l’Est burkinabè une zone naturelle de repli stratégique.
Au rythme où sont menées les attaques, il ne fait aucun doute que les groupes terroristes sont plus que jamais déterminés à transformer le verrou burkinabè en véritable passoire vers les régions côtières (l’attaque perpétrée en mars 2016 à Grand-Bassam, loin de l’épicentre traditionnel du jihadisme, avait, à cet égard, valeur d’avertissement).
AU MALI, L’APPROCHE PUREMENT MILITAIRE DÉVOILE CHAQUE JOUR SES INSUFFISANCES, ET LES GROUPES TERRORISTES CONTINUENT DE PROLIFÉRER ALORS QUE LE RECOURS À LA FORCE ÉTAIT CENSÉ PERMETTRE D’EN VENIR À BOUT
La récente déclaration de la ministre française des Armées, Florence Parly, sur la disponibilité de Paris à intervenir en cas de sollicitation burkinabè fait déjà penser à « un nouveau Mali ». Là-bas, pourtant, l’approche purement militaire dévoile chaque jour ses insuffisances, et les groupes terroristes continuent de proliférer alors que le recours à la force était censé permettre d’en venir à bout. La France le sait, ses alliés sahéliens aussi, et les opinions publiques doutent de plus en plus de la pertinence d’une nouvelle guerre à l’issue forcément incertaine.
Mais peut-être que, tel un « mal nécessaire », cet enlisement permettra un jour de réduire, ne serait-ce qu’un peu, le fossé qui s’est creusé entre les approches internationales et les perceptions locales d’une crise qui perdure.
Là est le cœur du nouveau dilemme sahélien : parvenir à concilier la position difficile des États africains, celle de leurs partenaires internationaux, l’impératif de gestion des urgences sécuritaires et la nécessité d’un changement de paradigme face à l’échec patent du tout-militaire.
Jeune Afrique