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[Tribune] Éducation malienne : comment la refonder sans financement ?

L’école malienne traverse une crise profonde, mettant en péril l’avenir de toute une génération. Dans une analyse percutante, Moussa Mara expose les défis de la refondation de l’éducation sans financement adéquat et l’urgence de trouver des solutions concrètes.

L’école malienne est en panne. S’il y a une affirmation qui fait bien l’unanimité dans notre pays, c’est bien celle-là ! Les Maliens sont unanimes sur la dégringolade de l’école malienne et sur la qualité de plus en plus défaillante du niveau de ses produits. L’une des illustrations symboliques de cette déchéance est l’aveu de l’ancien chef d’État Alpha Oumar Konaré, au terme de son mandat, exprimant le regret de n’avoir pu redresser l’école, lui, pourtant enseignant de son État ! Nos compatriotes sont également certains que c’est clairement l’avenir du pays qui est ainsi hypothéqué. Tous estiment qu’il faut se réveiller et prendre à bras-le-corps ce défi, qui est le plus important pour notre pays, au moins aussi important que la sécurité !

Les grandes rencontres

C’est pour cela que plusieurs forums et assises, une multitude de rapports et quelques grands programmes majeurs ont servi de réponse par l’État au recul significatif de notre système éducatif pendant les dernières décennies. Le dernier acte emblématique en la matière porte sur les États généraux de l’éducation (EGE).

Dans la foulée des Assises nationales de la Refondation, il a été institué une commission d’organisation composée de personnalités expérimentées du secteur. Celle-ci a organisé des rencontres préparatoires, procédé à des auditions de personnalités, reçu et traité des dizaines de contributions. Elle a ensuite établi dix-huit (18) thématiques de discussions à soumettre au grand public réuni à travers vingt (20) rencontres régionales organisées à l’intérieur du pays et sept (7) à l’extérieur, ainsi que quatre (4) jours d’échanges sur les thématiques de la fonction enseignante (2 journées) et de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique (2 journées). La commission d’organisation a effectué des visites de terrain avant la conduite de l’atelier national de synthèse tenu en début d’année 2024.

De grandes recommandations

Ce processus méticuleux a permis d’effectuer un diagnostic exhaustif du système éducatif malien et, surtout, d’esquisser des pistes de solutions à travers neuf (9) piliers de réformes proposés. Il y a d’abord les sept (7) piliers du changement que sont : la promotion des valeurs comme soubassement, la professionnalisation des formations à tous les niveaux de l’enseignement, l’éducation inclusive partout sur le territoire, la promotion des langues officielles, la construction des programmes basée sur les savoirs traditionnels ainsi que les sciences et technologies, la formation et la gestion des enseignants, et enfin la recherche scientifique comme fondement du développement.

Quant aux deux (2) derniers piliers, ils portent davantage sur le soutien et le support du dispositif à travers les institutions et le financement. Ils abordent ainsi le cadre institutionnel performant, la gestion axée sur le résultat, la démarche qualité, la primauté du public sur le privé, l’intégration des écoles coraniques, et le financement souverain du dispositif. Au niveau de ce dernier chapitre, il est évoqué de renforcer le financement national en provenance de l’État, des collectivités, de la diaspora et du secteur privé, mais on parle également du financement des Partenaires techniques et financiers. Ce qui paraît en décalage avec la souveraineté indiquée.

Des difficultés dans la mise en œuvre des recommandations

Les États généraux proposent ensuite un plan d’action prioritaire 2024 – 2026 pour prendre des mesures urgentes de redressement et de relance, assorti de budgets (65 milliards de FCFA pour 2024, 440 milliards de FCFA pour 2025 et 248 milliards de FCFA pour 2026), pour un montant total de 753 milliards de FCFA.

Quid de la mise en œuvre des conclusions de ce processus ? Nous savons tous que c’est cette étape qui est la plus importante, car c’est l’action, plus que les mots, qui permet de réformer.

Et, malheureusement, c’est souvent là où le bât blesse au Mali !

Pour l’année 2024, il est évident que ce qui a été proposé n’a pas pu être mis en œuvre, car au moment de la conclusion des EGE (février 2024), le budget de 2024 était déjà voté et en cours d’exécution ! Il n’y a pas eu de collectif budgétaire pour allouer des ressources à l’éducation, comme cela fut le cas pour la défense et la sécurité en 2024. Il est de ce fait certain que peu ou aucune de ces recommandations des États généraux de l’éducation n’a pu être mise en œuvre.

Le budget de l’éducation pour 2025

Et 2025 ? Notamment au moment où le budget de cet exercice est soumis au parlement de transition ?

À l’examen du budget de l’éducation pour 2025, ce sont environ 228 milliards FCFA qui sont prévus en dehors des salaires, soit moins de la moitié de ce qui est nécessaire selon les EGE. Autrement dit, même si l’ensemble des dépenses était engagé pour la réalisation des activités des États généraux, elles n’auraient couvert qu’un peu plus de la moitié de celles-ci ! Évidemment, on sait que cela est impossible, car ces dépenses représentent en réalité des engagements de l’État comme la construction de salles de classe, les achats de matériels pédagogiques, les frais de fonctionnement des établissements du primaire, du secondaire et du supérieur, les paiements de factures de consommation d’eau et d’électricité, le versement des bourses aux élèves et étudiants, les paiements de frais aux établissements privés, etc.

En conséquence, il restera très peu de moyens pour véritablement mettre en œuvre les recommandations des États généraux de l’éducation. En 2025 également, il y aura peu de chances de voir ces suggestions prises en compte. On peut craindre évidemment, de même, pour 2026.

Adapter les actions à mener en recourant à la priorisation et à la conduite

Finalement, on est en droit de se poser la question du pourquoi organiser ces rencontres quand on ne met pas en œuvre leurs recommandations ? Et surtout quand on sait qu’on ne dispose pas de moyens pour appliquer leurs conclusions.

La question des moyens et du financement est évidemment la clé. Il faut l’intégrer dans la formulation de nos politiques et la conduite de nos initiatives publiques. On ne peut pas et on ne doit pas s’engager dans des démarches de réformes sans savoir a priori les moyens disponibles pour les mettre en œuvre.

Nos plans et stratégies ne doivent plus multiplier les activités à mener sans aucune idée des disponibilités budgétaires. Il faut partir des ressources disponibles, aussi bien sur le plan national qu’au niveau de nos partenaires pour le secteur. Il conviendra ensuite d’adapter les actions à mener en recourant à la priorisation et à la conduite de ces réformes sur cette base.

Renforcer le dispositif de gestion, de promotion de transparence

L’étape suivante devra consister au renforcement du dispositif de gestion, à la promotion de la transparence et du suivi-évaluation à chaque étape. Nous devons préciser plus clairement les résultats visés, les impacts attendus et les indicateurs les plus pertinents, par région, cercle, commune et même par école, université ou autres types d’acteurs. La conduite du dispositif devra être assurée sans aucune complaisance. Cela évitera les faiblesses indiquées dans le rapport du Vérificateur général relatif à l’évaluation du PRODEC, notamment, par exemple, la non-fiabilité des données.

Le cadre de gouvernance de l’éducation doit être partagé avec le peuple et notamment les acteurs du secteur. Il devra ensuite être mis en œuvre avec des comptes rendus réguliers dans le cadre incontournable de la redevabilité.

Moussa MARA

Source : Sahel Tribune
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