Alpha Oumar Konaré, un homme complexe, discret et respectueux des compagnons de lutte de l’indépendance du Mali.
Un proverbe bambara sans appel dit :« Personne ne détient la capacité d’empêcher la langue de son prochain de remuer dans sa bouche ». Au Mali, pays de l’oralité, les rumeurs vont bon train. Chacun y va de son propre style inventant et spéculant comme il peut pour le plaisir de parler et tuer le temps.
On aura entendu tout et son contraire sur l’ancien chef de l’Etat du Mali de 1992 à 2002. Son absence sur la scène politique a donné lieu à mille et une interprétations inimaginables. Certains s’imaginent que sa santé s’est détériorée en racontant tout bonnement qu’il se déplace en fauteuil roulant dans sa résidence à Titibougou. On pourrait croire qu’il a subitement perdu l’usage de ses facultés physiques.
Aujourd’hui, que personne ne s’inquiète, Alpha Oumar Konaré se porte très bien et pratique même la marche à pieds. Nous l’avons vu parcourir la distance séparant le domicile familial de feu Amadou Djicoroni de Bolibana au cimetière d’Hamdallaye suivant modestement le cortège funèbre comme tout bon citoyen malien.
Alpha Oumar Konaré, fils de Dougoukolo Konaré et de Binthily Diallo s’inscrit de jour en jour en phénomène dans la mémoire collective. Il s’agit bien de lui, l’ancien chef d’Etat de la République du Mali. L’homme qui a assuré les plus hautes responsabilités de notre pays pendant dix ans d’affilée quand le Mali a accédé à la démocratie au prix d’énormes sacrifices. Bien des années plus tard, en 2008 il fut élu aux commandes de l’union africaine ce rêve panafricain inassouvi des pères de l’indépendance des Etats africains à l’image de feu Modibo Keïta, Kwame Nkrumah, Ahmed Sékou Touré, Nasser…
La confiscation du pouvoir est à des années de lumière de son idéal. Chaque fois qu’il exécuta ses mandats il s’est en allé sans bruit ni tambours. Ce fils d’instituteur sorti tout droit de l’université de Varsovie en Pologne a une haute estime des faiseurs d’Histoire et des grands Hommes qui ont œuvré à la façonner. A partir du jour où il céda les rênes du pouvoir, personne ne le vit s’agiter à l’image de l’ancien président de la République française Nicolas Sarkozy, toujours nostalgique du pouvoir.
Le pouvoir est une drogue dure et très peu d’hommes se résolvent à céder le fauteuil présidentiel sans secousses pour que d’autres assurent et assument le commandement. Mais le fils de Dougoukolo n’en a cure… La tête haute, il s’en va vers d’autres aventures sans mot dire ni regarder en permanence derrière lui.
A la fin de son mandat présidentiel, personne ne le vit s’ingérer dans les affaires politiques du Mali. Alpha a préféré laissé l’homme du jour gérer le pays comme il entend sans jamais l’influencer dans l’exercice de sa mission. De nos jours son silence assourdissant continue de peser lourdement au point que ses compatriotes le portent au rang de phénomène à part entière… Aucun journaliste n’est parvenu à lui soutirer la moindre petite phrase afin de cerner sa position.
Ecrivain et historien émérite, militant audacieux, intellectuel chevronné, syndicaliste de grand chemin, Alpha Oumar Konaré est resté fidèle à sa ligne de conduite face aux épreuves. Doté d’une discrétion au-dessus de la moyenne, il n’a jamais voulu faire de l’ombre à ses anciens collaborateurs dans l’exercice de leurs fonctions.
Lors des funérailles d’Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni, les gens l’ont aperçu comme une étoile filante dans la plus grande discrétion. Il a su éviter avec élégance les champs des multiples caméras et des langues fourchues. A travers cet acte citoyen, l’ancien Président de la République du Mali a su prouver son attachement au père de l’indépendance et à ses compagnons. Au-delà, c’est l’admiration du combat que menait l’illustre disparu, éminent homme de lettres, infatigable combattant qui n’a cessé d’éclairer les lanternes des jeunes générations jusqu’à son dernier souffle.
Alpha a donc jugé nécessaire de lui rendre hommage par sa présence physique en arpentant les rues de Bamako à pieds sous une chaleur accablante. Par ailleurs, l’ancien chef de l’état a toujours eu une estime indéfectible, une attention particulière et un regard bienveillant, dans l’ombre, sur les compagnons de feu Modibo Keïta, hier comme aujourd’hui. Ceux-ci représentent à ses yeux des références indiscutables et une mine de trésors. C’est donc à dessein que le stade Omnisport fut rebaptisé au nom de Modibo Keïta durant son mandat et, encore mieux, que le Mémorial Modibo Keïta se dresse fièrement sur les rives du fleuve Niger.
Alpha Oumar Konaré n’est ni muet, ni aveugle. Il est bel et bien en possession de toutes ses facultés. Sa ligne de conduite est archi claire et non négociable. Il ne veut pas parler publiquement ni se mêler des affaires de l’état qu’il a dirigé pendant une décennie : d’autres sont habilités à le faire mieux que lui. Ils ont voulu devenir Président de la République, qu’ils portent le fardeau au-dessus de leur tête devant Dieu, les hommes et le grand Peuple du Mali. Seul le silence est grand, tout le reste n’est que faiblesse disait humblement Alfred de Vigny le célèbre poète, écrivain, romancier, dramaturge français.
Aboubacar Eros Sissoko
Source: La Sirène