
Trente ans après la «Déclaration de Beijing», qu’est-ce qui a concrètement changé pour les Maliennes ? Telle est la problématique centrale autour de laquelle doit tourner une évaluation correcte de cette «Déclaration d’action» et du «Programme d’action» adoptés à l’unanimité par 189 pays en 1995 dans la capitale chinoise. Si elle était effectivement appliquée, elle serait sans doute passée comme l’un des grands progrès réalisés en faveur de la Malienne depuis la «Déclaration de Beijing» en 1995. En effet, l’Assemblée nationale du Mali a adopté le 12 novembre 2015 une loi instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives.
Elle octroie aux femmes un quota de 30 % minimum pour les nominations «dans les institutions de la République ou dans les différentes catégories de services publics au Mali par décret, arrêté ou décision». Il en est de même au plan électif, «y compris les conditions dans lesquelles la recevabilité d’une liste de candidature est soumise à la proportion maximale de 70 % de femmes ou d’hommes». Si cette législation instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives est le résultat de plus de dix années de longue lutte acharnée des mouvements de promotion des droits humains et des associations féministes maliennes, elle tarde à combler les attentes.
En effet, malgré cette mesure, les femmes qui représentent 50,4 % de la population ont d’énormes difficultés à se trouver de bonnes positions sur les listes électorales leur permettant de se faire élire. Le gouvernement formé le 21 novembre 2024 par le Général de division Abdoulaye Maïga en est la parfaite illustration. Cette équipe ne compte que 5 femmes sur les 28 membres. Nous sommes loin des 30 %. À qui la faute ? Nous pensons que cette loi a manqué de leadership féminin. Les organisations féminines se sont contentées de protester ou de dénoncer sa non-application après chaque remaniement. Mais, en temps ordinaire, il n’y a jamais eu (à notre humble avis) de véritables actions de plaidoyer ou de lobbying pour contraindre les décideurs politiques à l’appliquer. Les organisations féminines se sont comportées et se comportent d’ailleurs toujours comme si le vote de la loi était une fin en soi !
Alors que retenir dans notre pays comme progrès liés à la «Déclaration d’action et le programme d’action», 30 ans après ? Pour ce qui est du cas spécifique du Mali, des experts parlent de progrès en matière d’égalité des sexes. Ceux-ci sont liés à des «avancées» dans des secteurs précis. Ainsi, le pays a poursuivi ses efforts pour harmoniser son cadre juridique national avec ses engagements internationaux et, partant, fait appliquer ses lois ; il réussit le défi de concilier le respect de ses coutumes net traditions avec un droit positif respectueux des droits humains ; les femmes sont informées de leur droit et ont la possibilité de les faire valoir ; elles doivent être alphabétisées et éduquées, et les hommes doivent l’être tout autant…
Le constat est aussi que les couples sont de plus en plus conscients de l’importance du planning familial ; les pratiques portant atteintes à l’intégrité physique des femmes sont abolies ; soutenir les réformes visant à l’introduction de lois (et leur application) favorables à l’égalité des sexes, la protection de la femme et son autonomisation… Tout comme, au vu du poids et de l’importance des us et coutumes et de la religion, les décideurs politiques ont pris conscience qu’il faut toujours impliquer les chefs religieux et traditionnels dans les décisions politiques en faveur de la Femme, surtout dans les zones rurales et isolées ; qu’il faut également intégrer les hommes dans la démarche d’autonomisation de la Femme…
Encore du chemin pour la pleine émancipation de la femme rurale
Mais, une analyse contextuelle démontre que nous sommes bien loin des défis que les Maliennes doivent relever au quotidien. Et cela d’autant plus que les maigres progrès constatés ne sont pas perceptibles au niveau de la couche la plus importante et la plus méritante de la société malienne : les femmes rurales ! Peut-on mieux évaluer l’impact d’une «Déclaration» politique en se focalisant uniquement sur la couche parce qu’elle est en permanence sous les projecteurs ? Qu’est-ce que la «Déclaration de Beijing» a réellement changé dans la vie des Maliennes ? A quel niveau a-t-elle affecté la vie des femmes rurales, ces «héroïnes» du développement durable ? Si, 30 ans après, le chemin à parcourir pour la pleine émancipation de la Malienne est encore long, il l’est davantage plus pour la femme rurale.
En fait, l’erreur est de voir les progrès et ou les retards à l’image des conditions de vie des citadines qui ne sont pas assez représentatives de la Malienne. Les femmes rurales sont malheureusement les laissées pour compte des politiques nationales impulsées depuis «Beijing 1995». À notre avis, l’acquisition du pouvoir politique et surtout économique est la finalité recherchée d’une bonne politique de promotion de la femme. Et sur ce plan, on a certes des «Sirènes» et des «Mamiwata» (ou Mami Wata) qui font la pluie et le beau temps dans la capitale, voire dans des centres urbains en brassant des millions, voire des milliards aux sources plus que jamais douteuses.
Mais, ces trente dernières années, la réelle percée politique et économique de la Malienne a été très timide. Et cela malgré un certain dynamisme entrepreneurial parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses à vaincre leur «timidité» en la matière et aussi à se débarrasser des pesanteurs socioculturelles les cantonnant dans le foyer conjugal. Mais, comme nous l’écrivions plus haut, ces progrès sont généralement ne bénéficient qu’aux citadines, sinon les femmes rurales sont encore confinées dans des statuts ingrats et injustes. Actrices incontournables, elles continuent de voire leur rôle être négligé aussi bien par la société que par le pays.
L’apport des femmes dans la production agricole est immense et incontestable. Et nous savons tous que l’agriculture est au cœur de la société, de l’économie et du développement du Mali. En effet, selon de nombreuses statistiques, le secteur agricole occupe 70 % de la population active, contribue à plus de 40 % du PIB et fournit près de 40 % des recettes d’exportations du pays. Même si elles continuent d’être écartées, voire discriminées, de la propriété foncière, les femmes représentent la colonne vertébrale de ce secteur, comme elles sont d’ailleurs celle de notre société. Malheureusement, de l’indépendance à nos jours, ces héroïnes n’ont jamais eu la reconnaissance à la hauteur de leur rôle. Confinées notamment dans les tâches domestiques, aux soins aux enfants et aux personnes âgées, elles ne sont magnifiées par le leadership féminin que dans des projets montés en leur nom, mais qui ne leur profitent souvent que partiellement, voire jamais.
Trente ans après «Beijing 1995» et malgré un apport inestimable au développement, à travers la production agricole, la Femme rurale continue à être la laissée pour compte des politiques nationales d’autonomisation, d’émancipation… Triste réalité qu’il faudra corriger par des politiques objectives, pertinentes et efficaces pendant les trente prochaines années afin de rendre enfin justice à la Femme rurale !
Moussa Bolly
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Des progrès significatifs, mais fragiles pour promouvoir l’égalité au bénéfice de la Femme
Réuni en Chine, il y a 30 ans, le monde a fait une promesse aux femmes : l’égalité ! Trente ans après ce sommet organisé par l’ONU à Beijing (Pékin/Chine), cette promesse a-t-elle été tenue ? Un rapport d’ONU-Femmes rappelle que les droits des femmes ont reculé dans un pays sur quatre en 2024. Certes, il y a eu des progrès. Mais, ils sont ne pas à hauteur de souhait et ne sont pas irréversibles.
Depuis 1995, la place des femmes dans la sphère politique s’est renforcée. Aujourd’hui, 28 pays sont dirigés par une femme, contre seulement 8 en 1995. De plus, 103 pays, dont le Mali, ont adopté des quotas pour favoriser la participation des femmes aux élections législatives. Ce qui a permis de doubler leur représentation parlementaire en trois décennies. Sur le plan économique, des progrès ont également été enregistrés. Huit pays sur dix ont interdit la discrimination de genre sur le lieu de travail et 73 % des États ont mis en place des politiques de congé parental plus équitables. La scolarisation des filles a progressé, avec une baisse du nombre de filles privées d’éducation, passant de 124,7 millions en 2015 à 122,4 millions aujourd’hui. Quant à la mortalité maternelle, elle a chuté de 339 à 223 décès pour 100 000 naissances entre 2000 et 2020.
Mais, comme on le dit souvent, «l’arbre ne doit pas cacher la forêt». Ces progrès sont plus que jamais atténués par la pauvreté et les violences, notamment liées au genre. Ainsi, malgré les avancées, les défis restent considérables. En effet, en 2024, dans le monde, près de 10 % des femmes et des filles vivent encore dans l’extrême pauvreté. À ce rythme, il faudra 137 ans pour éradiquer ce fléau qui ne cesse de se féminiser. Le fossé entre les sexes en matière d’emploi stagne depuis 20 ans dans l’économie formelle. Ce qui fait que seulement 63 % des femmes sont actives sur le marché du travail, contre 92 % des hommes. De plus, les femmes continuent d’assumer une charge disproportionnée du travail non rémunéré, singulièrement les tâches domestiques et le soin aux enfants et aux personnes âgées.
Et, malheureusement, les femmes continuent d’être surreprésentées dans l’emploi informel et précaire, 38,7 % des femmes employées dans les pays à faible revenu sont non rémunérées, souvent dans des exploitations familiales, contre 14,2 % des hommes. L’exclusion des droits du travail, de la protection sociale et de l’accès au crédit reste fréquente chez les travailleuses de l’économie informelle.
Selon différents documents d’évaluation de «Beijing +30», les violences liées au genre demeurent un fléau mondial. Ainsi, une femme ou une fille est tuée toutes les 10 minutes par un partenaire ou un membre de sa propre famille. Une femme sur trois subit encore des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie. Sans compter que facilitées par la technologie, les nouvelles formes de violence comme le harcèlement en ligne sont en hausse. Dans 54 % des pays, la définition légale du viol ne repose toujours pas sur le principe du consentement libre et éclairé. Par ailleurs, les conflits armés affectent de plus en plus de femmes. La preuve est que, en 2023, 612 millions d’entre elles vivaient à proximité d’une zone de guerre. Un chiffre en hausse de 50 % en une décennie.
De l’Afghanistan, où les femmes sont quasiment rayées de l’espace public, au recul sur l’accès à l’avortement aux États-Unis, de plus en plus, les droits des femmes, durement acquis, sont remis en question. Un pays sur quatre a connu une régression des droits en 2024. Actuellement, 60 % de la population mondiale réside dans des pays où l’avortement est largement légal. À l’inverse, 40 % de la population mondiale vit sous des lois restrictives. Les politiques d’égalité des sexes souffrent également d’un sous-financement chronique. Le soutien aux organisations féministes a chuté, passant de 867 millions de dollars en 2019-2020 à 596 millions en 2021-2022.
Comment accélérer le changement ?
De plus, 54 pays en développement consacrent plus de 10 % de leurs revenus au remboursement de leur dette, réduisant les fonds alloués aux politiques de genre. Il est aussi évident que les nouvelles coupures dans l’aide internationale, décidées par les États-Unis et par des pays européens, auront certainement des conséquences importantes sur les soutiens apportés aux femmes dans le monde.
Pour préserver les acquis et accélérer le changement en matière de protection et de promotion, ONU Femmes préconise six axes pour l’avenir. Cela repose avant tout sur une révolution numérique pour toutes les femmes et les filles. Ce qui doit permettre d’assurer l’égalité d’accès aux technologies, donner aux femmes et aux filles les moyens de s’impliquer dans l’IA (intelligence artificielle) et de l’innovation numérique et garantir leur sécurité et leur vie privée en ligne.
Des actions doivent être également engagées ou renforcer afin d’éliminer la pauvreté en investissant dans une protection sociale complète, une couverture sanitaire universelle, l’éducation et des services de soins solides. Il est aussi indispensable les pays adoptent et mettent en œuvre «une législation pour mettre fin à la violence faite aux femmes et aux filles, sous toutes ses formes». Il est aussi souhaitable de renforcer les mesures temporaires spéciales, telles que des quotas femmes-hommes, qui ont prouvé leur efficacité pour accroître rapidement la participation des femmes. Il est aussi nécessaire de «financer pleinement les plans nationaux sur les femmes, la paix et la sécurité et sur l’aide humanitaire tenant compte du genre».
La justice climatique veut aussi que les pays donnent la priorité aux droits des femmes et des filles pour leur adaptation ; qu’on inscrive leur leadership et leurs connaissances au centre des interventions et qu’on veille à ce qu’elles bénéficient de la création d’emplois verts.
Moussa Bolly
Source: Le Matin