S’il existe un seul mot pour qualifier les 10 mois de gouvernance Choguel, c’est bien la division. Depuis son arrivée à la primature, il n’a qu’un seul outil à la main, les ciseaux. Il est temps pour lui de les échanger contre une aiguille et du fil.
Sur l’organisation des élections
A son arrivée, il y avait déjà sur la table du gouvernement, un chronogramme électoral et une entente de la classe politique autour la réforme des structures de gestion des élections. D’ailleurs, cette dernière avait fait l’objet d’un atelier national organisé par le Ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation (MATD).
Au départ, il annonce publiquement endosser ce chronogramme, pour ensuite le geler subrepticement. Il dénonce l’entente politique obtenue par le MATD sur l’architecture de gestion des élections, à laquelle son parti politique n’a pas participé, et propose la création d’un organe unique de gestion des élections. Pour ce faire, il va organiser sous ses auspices, son propre Atelier national de réflexion avec la classe politique à l’effet de valider ce projet.
Les professionnels des élections montent au créneau contre un projet qu’ils estiment irréaliste et dangereux pour une organisation crédible des élections, au regard du temps imparti (il restait à peine 9 mois). Une bonne partie de la classe politique demande à revenir aux résultats du premier atelier national organisé par le MATD, qui recommandait la réduction des pouvoirs de celui-ci lors des élections, l’élargissement et le renforcement des pouvoirs de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). Alors, s’engage une joute verbale entre spécialistes du PM et professionnels de l’Administration territoriale, entre partisans du PM et la majorité de la classe politique. Une première crispation politique était-elle née pour rendre le chronogramme déjà validé inopérant ?
Face à la classe politique
Le PM avait-il décidé que pour faire avancer son agenda, il fallait isoler et délégitimer aux yeux du peuple, cette classe politique effrontée et hystérique à toute réforme touchant à leur confort. Pire, ces hommes politiques sont pour la plupart acquis à la cause de l’ancien régime, raison de plus à ne pas leur faire confiance, mieux à les neutraliser. Il oubliait que 30 ans en arrière, il faisait exactement l’objet des mêmes préjugés et critiques (à tort ou à raison) de la part des maîtres du jour, qui ne voyaient en lui que le suppôt du défunt régime militaire dictatorial.
Sa décision prise, il s’est lancé à cœur joie dans le vilipendement de cette classe politique, qu’il a résumé dans le Mouvement dit démocratique des années 1990. C’est eux, les vrais fossoyeurs de la République, les vrais auteurs de la déchéance nationale.
Il réveilla, toiletta et manipula l’amertume, voire l’aversion, du citoyen lambda envers les hommes politiques qui l’ont que trop désenchanté. Mais ces hommes politiques qu’il faut haïr, ce sont les acteurs du mouvement démocratique, autrement dit toute la classe politique qui était aux affaires ces trente dernières années. Tout un beau monde (en termes de nombre) !
Puisque c’est lui qui engage les hostilités, les populations -pour la plupart jeunes et peu éduquées- en viennent à penser qu’il est l’opposé de cette classe politique, en ce sens qu’il ne faisait pas partie de ceux qui ont dirigé pendant ces longues années ou qu’il était irréprochable (alors qu’il a fait au moins 10 ans au pouvoir et qu’un dossier de corruption le concernant se trouverait encore au Pôle économique).
Ces impressions sont le résultat de l’opération psychologique de la propagande. Ces suggestions de l’esprit, bien que fausses, viennent sans qu’on s’en rende compte. Seule la connaissance ou la conscience de ces manipulations de l’esprit permet de s’en prémunir.
Ainsi, sa propagande réussit-elle à créer deux classes politiques farouchement opposées : une minorité acquise à sa cause et une majorité contre. Les uns sont qualifiés de restaurateurs des pratiques de l’ancien régime militaire et les autres sont étiquetés de démocratistes responsables de la faillite de l’État.
Malheureusement, le peuple suit généralement les fractures politiques. Ils sont désormais eux aussi en deux camps, les patriotes et les anti-patries.
Face aux partenaires internationaux du Mali
Au même moment, il crut opportun de revenir sur son engagement de respecter le chronogramme convenu, au risque de mettre le Mali à dos de ses principaux partenaires internationaux. Là encore, il usa d’un subterfuge, les Assises nationales de refondation, pour proroger le délai de la Transition. Après tout, qui ne connaît pas le fameux adage, le peuple est souverain ? Même si chacun feint d’ignorer que c’est le nationalisme obscur qui a provoqué la seconde guerre mondiale, avec son lot d’hécatombes.
Comme prévu, la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sanctionne, l’Union Africaine soutient, et l’Union européenne entérine. Le Mali est isolé de la société internationale.
Pour faire passer la pilule, la propagande « Goebbeliste » se met en marche pour faire aux populations, à majorité jeune et peu éduquée, que le monde entier est contre lui, et que malgré tout c’est lui qui triomphera.
Heureusement que de ce côté, les militaires au pouvoir semblent lui intimer de la retenue. De plus en plus, la tension de la violence verbale baisse et les positions avec la CEDEAO se rapprochent, mais ne s’accordent toujours pas.
Pendant ce temps, les chefs de famille, les entrepreneurs et les travailleurs du privé se meurent. Mais on peut compter sur la solidarité malienne, sa résilience légendaire, pourvu qu’on continuât de flatter son égo et de lui vendre des chimères.
D’autres chapitres pourraient être ajoutés à ce lugubre tableau, notamment la société civile, le Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques (M5RFP) où les ciseaux sont également passés.
Le plus dur à comprendre, c’est que tout cela se passe à un moment où le pays se trouve empêtré dans 3 conflits : un conflit larvé, et deux conflits ouverts.
Quand le PM rappelle souvent que la politique est l’art du possible, il répète d’éminents penseurs tels que Léon GAMBETTA et Armand jean Du PLESSIS, mais les comprend-t-il vraiment ? Est-ce pour lui, l’art de faire ce qui est possible pour son maintien ou de rendre possible ce qui est nécessaire pour sa survie politique ?
Et s’il s’effaçait un instant au profit du Mali, cela reviendrait à faire ce qui est possible pour le maintien de l’État ou rendre possible ce qui est nécessaire pour la survie du peuple. N’est-ce pas mieux ? En tout cas, cela est plus fidèle au pragmatisme de Gambetta qui s’exclamait en 1876 : « Puisque nous sommes les plus forts, nous devons être modérés ».
La politique est un art qui s’apprend, mais un art à double tranchant. Il n’est pas bon dans de mains viles, pire il est fatal dans de mains ignorantes.
Mahamadou Konaté
Source : Arc en Ciel