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Transformation artisanale du karité : Les braves dames de «Sinsinbere» méritent mieux

Du silo à noix de karité au labo à ciel ouvert où elle baratte avec son équipe la pâte pour en extraire la matière grasse, Fatoumata Sacko a déjà fait un nombre incalculable de ballets. Il est 9 heures du matin ici dans la Commune rurale de Safi. La petite escouade de femmes qu’elle chapeaute profite de la fraîcheur du matin pour accélérer le rythme du travail. Indifférentes aux cris d’orfraie de leur nourrissons et aux cui-cui des oiseaux, elles sont concentrées par une seule chose : extraire le maximum de beurre avant que le soleil ne commence à darder ses rayons brûlants. La réputation surfaite de la qualité du beurre de karité produit ici a un prix. Ces braves dames travaillent avec acharnement, parfois au détriment de la famille, comme le prouvent ces bébés délaissés provisoirement au profit du travail. Malgré son odeur forte, le beurre de karité regorge de nombreuses vertus.

 

Depuis la nuit des temps, il est utilisé pour les préparations culinaires, pour les soins capillaires et corporels (contre l’apparition des vergetures, pour la souplesse de la peau), etc. Aussi, son utilisation permet à la femme qui vient d’accoucher d’arrondir son tour de taille, d’avoir du lait pour le nouveau-né et de raffermir sa poitrine.

Ces propriétés sont connues au-delà de nos frontières, raison pour laquelle, les fabricants de produits cosmétiques l’incorporent aisément dans leurs productions. La Commune de Safi Bougoula est une zone connue pour la qualité de son beurre de karité. Située à 60 km de Bamako, cette commune produit, avec les localités voisines de Sanankoro et de Dialakoroba, une des meilleures qualités de beurre du pays. Ce matin, Fatoumata et son équipe sont affairées à faire ce qu’elles savent faire le mieux. Elles portent 200 kg de pâte de karité qu’elles viennent de recueillir au moulin. Les amendes de karité malaxées, la pâte est repartie dans trois grandes tasses. Chacune porte sa part sur la tête et se dirige vers le bassin où des seaux et des tonneaux d’eau les attendent.

à peine déposée, elles y versent d’énormes quantités d’eau et se mettent à les laver vigoureusement. Très peu d’échanges entre elles, le chant du coq et les cris de bébés ne semblent pas non plus les gêner. Elles se lancent dans une course contre la montre, une concurrence qui ne dit pas son nom. De toutes leurs forces, elles lavent la pâte comme une lessive. Les mains, les deux bras huilés jusqu’au coude, les sueurs dégoulinant des visages, chacune chante pour maintenir le rythme du travail. Au fur et à mesure qu’on change l’eau, elles prennent le soin d’enlever les déchets en forme de mousse qui se forment au-dessus du karité. Un grand trou se trouve derrière elles, il est aménagé pour recueillir ces saletés.

DEUX QUALITÉS DE BEURRE- Ce village est réputé pour la qualité du travail. à première vue, la commune semble vidée de ses habitants. Quelques hommes sous l’arbre à palabre, des enfants qui y jouent et un groupe de femmes qui pilent le karité à l’horizon. Par contre ce qui est évident, ce sont les noix, les déchets et surtout l’odeur forte de beurre de karité qui nous ont accueilli à travers les rues et les ruelles. Sounkoura et Fati qui ont les bébés au dos, sont les premières à finir la première partie de leur travail journalier. «Mieux vaut profiter de la fraîcheur du matin pour faire le gros du travail», explique Sounkoura, avant de suivre les autres dames, qui se dirigent vers la machine à battre la pâte de karité. La batteuse doit y travailler jusqu’à ce qu’elle soit homogène. La matière est ensuite recueillie dans de grands récipients en plastique, dans lesquels, elle se reposera environ une heure dans un environnement sain à l’abri de la poussière. Ce qui laisse le temps aux mères d’allaiter et même de bercer leurs progénitures.

Entre-temps, la dame Sacko allume le feu. Elle a rincé soigneusement la grande marmite, son couvercle et une louche géante près du château d’eau, pour l’étape suivante. Ce travail est pénible, il semble ne pas nourrir son homme. De l’autre côté, les mamans expriment le souhait de voir rémunérer leurs efforts à leur juste valeur. Pour elles, ce qu’elles produisent leur permet juste de survivre.

«Nous faisons deux sortes de karité : la bonne qualité pour le compte de la coopérative et la moins bonne, à notre compte, ça nous permet d’assurer les dépenses de la famille», confie Fati. âgée d’une trentaine d’années, celle-ci pense qu’il faut exercer cette activité pour le respect de l’engagement envers la coopérative et pour contribuer aussi peu soit-il à la charge de la famille. Sa collègue partage cet avis, elle hoche la tête. Sounkoura enchaîne, la production que nous faisons à notre propre compte, nous la vendons entre 350 et 600 Fcfa le kg, ça dépend de la période. Pour elle, le moment n’est pas idéal pour la vente, car c’est le temps de la production, ce qui fait que le prix est en baisse. Perdues dans la passion de la conversation, les deux femmes viennent de se rendre compte qu’il est l’heure pour elles de rejoindre Sacko sous le hangar pour cuire le beurre de karité, une opération qui va sûrement prendre le reste de la journée.

UN TRAVAIL FATIGANT- Portée à ébullition tas par tas, c’est avec beaucoup de précaution qu’elles plongent la matière dans la marmite. Si on remplit la marmite d’un seul coup, elle les rejettera, affirme Sacko. Et de préciser que non seulement cela leur fera une perte d’argent, mais aussi elles accuseront du retard dans leur tâche.
Cette idée de perte du temps, n’est pas admissible pour Fati qui encourage ses camarades à accélérer la cadence car, dit-elle, il faut en finir avant le crépuscule. Cette activité s’effectue sous la supervision de la présidente de la coopérative, Koyan Bagayoko et de son adjointe. «Sinsinbéré», c’est le nom de la coopérative, regroupe plus de 300 femmes, issues de 15 villages. Koyan Bagayoko fut conseillère de la mairie de sa commune.

Depuis des années, elle représente sa commune dans les rencontres, elle anime des réunions de sensibilisation dans les écoles et fait la promotion de l’exploitation de karité à travers les médias. Koyan a su se faire une notoriété. Dans les trois communes de la zone, tout le monde la connaît. Ce lundi, Koyan est assise sous le hangar, à l’abri de la forte température qui fait dégouliner des sueurs chaudes aux dames Sacko, Sounkoura et Fati.

Ces dernières sont occupées à tour de rôle, à enlever le déchet de l’huile de karité en plein bouillonnement. Koyan et Maïmouna leur prêtent main forte dans cette tâche. Elles viennent de Kolokoni un village de la Commune de Dialakoroba, et doivent passer 4 jours à Safi Bougoula pour produire le karité, une tâche qui incombe à toutes les adhérentes de la coopérative. Depuis deux jours, elles y sont au soin. La veille, elles ont lavé l’amende, l’ont séchée sous le soleil et ensuite trié la matière première. Le lendemain, elles doivent filtrer l’huile pour le mettre dans de petits pots de 1 kg.

La présidente de la coopérative est assistée par son adjointe, Maïmouna Samaké qui est gestionnaire. Elles font remarquer que depuis 2007 qu’elles dirigent la structure, elles ne bénéficient pas de rémunération. Koyan Bagayoko vient de Fraintoumou, un village de la Commune de Dialakoroba. Elle y quitte pour Safi Bougoula où se trouve le siège de la coopérative pour passer 15 à 20 jours. Très souvent, elle fait ce trajet à pied, faute de moyen de transport. «Le transport est à ma charge, donc je marche et au bout de 8 heures je suis à destination», indique-t-elle, avant de préciser qu’être responsable, c’est savoir se sacrifier pour ceux dont on est responsable. La présidente souhaite que les partenaires de la coopérative les aident à développer d’autres produits agricoles comme l’arachide. Pour elle, développer la production d’arachide pourrait contribuer à l’autonomisation des femmes.

La coopérative a vu le jour grâce à l’appui de l’ONG Folkecenter Nieta. Elle leur a fourni les matériels de travail comme le moulin, la batteuse, le château d’eau, aménagé les espaces de travail et leur fait suivre les formations dans le cadre de l’exploitation. «Cela nous a permis de produire en quantité et en qualité par rapport au passé. Aujourd’hui, grâce à l’ONG Folkecenter Nieta, les conditions de travail sont moins pénibles», témoigne la présidente. Elle ajoute que «même lors des foires, les clients sont attirés par nos produits qui ont le plus beau design. Tant que nos produits ne sont pas finis, les clients ne s’intéressent pas aux autres».

La coopérative produit entre 4 et 5 tonnes de beurre de karité chaque année. 80% de cette production sont vendus alors que le reste (20%) est destiné aux ventes en détail, à raison de 1.200 Fcfa le kg. Ce prix est loin d’être satisfaisant pour la gestionnaire Maïmouna Samaké qui indique que «si on déduit le coût de production, la coopérative fait très peu de bénéfices. En plus, poursuit-elle, nous travaillons durement nuit et jour, pour la bonne marche de la filière, mais ça ne nous rapporte rien, même pas les primes de responsabilité pour les membres les plus actives.

En outre la présidente signale que l’organisation fait crédit aux adhérentes à l’approche de l’hivernage pour leur permettre de préparer la saison. Ces dernières remboursent en noix de karité qui est la matière première de leur entreprise. Maïmouna Samaké souhaite que les partenaires de la coopérative augmentent le prix d’achat qui est présentement fixé à 1.200 Fcfa le kg. Le beurre de karité de la coopérative «Sinsinbéré» est exporté en France, en Finlande et en Amérique.

Maïmouna SOW

Source : L’ESSOR

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