De l’avis de Moussa Kolon Coulibaly, Magistrat, Expert et spécialiste des questions de terrorisme et de crime organisé, « les saisies opérées au Mali ne reflètent pas à suffisance l’ampleur du trafic de drogue au regard des signes apparents de blanchiment observés ».
«Enjeux du trafic de drogue au Sahel et au Mali ». C’est le thème d’une importante communication faite par Moussa Kolon Coulibaly les 12 et 13 décembre 2016 au cours d’un atelier sur la mutualisation des stratégies, de partage d’informations et des meilleures pratiques en matière de lutte contre la drogue au Mali. Pour Moussa Kolon Coulibaly, la vulnérabilité sécuritaire des Etats du Sahel a favorisé, depuis quelques années, la croissance de la criminalité avec l’installation de groupes criminels organisés (terroristes, trafiquants de drogue et d’armes…). « La situation socio-économique de la majorité des populations du sahel est largement marquée par la pauvreté, l’analphabétisme, le faible taux de scolarisation, le chômage à grande échelle des jeunes (même diplômés). Les activités économiques sont à leur tour tributaires de la prédominance de l’informel au détriment du formel. Cette situation a fortement compromis le développement du sentiment national (surtout chez les jeunes pourtant plus nombreux), exposant ainsi les populations, voire les Etats à la prédation des groupes et réseaux criminels ; les conflits sociaux, tantôt exacerbés par l’impunité viennent grossir ce lot.
L’expert tire quelques enseignements selon lesquels « l’ensemble de la région sahélienne constitue pour les groupes criminels un territoire unique et les solutions à apporter aux problèmes sécuritaires et/ou de lutte contre la criminalité doivent en priorité être régionales ».
Les combats menés contre les groupes criminels d’Amérique Latine et des terroristes Orientaux au cours de la dernière décennie, explique-t-il, ont entraîné des fluctuations sur les tendances du commerce international de la drogue. Les cartels ont « changé de route » et de nouveaux marchés existent : l’Afrique et l’Asie. Il note la naissance au Sahel des groupes criminels. «Ces organisations criminelles dont certaines s’affichent d’abord avec des relents sécessionnistes ou identitaires (comme alibi pour séduire l’Occident), ne tardent pas à dévoiler leur vraie nature en faisant allégeance à d’autres organisations, connues pour être liées aux cartels d’Amérique latine ou aux milieux narcotrafiquants d’Afghanistan ». L’une des particularités du crime organisé au Sahel en général et au Mali en particulier est que, selon lui, les organisations criminelles n’ont pas de domaine de prédilection figé. « Elles collaborent et se prêtent assistance ».
« Il nous apparait bien établi que les saisies opérées au Mali ne reflètent pas à suffisance l’ampleur du trafic de drogue, au regard des signes apparents de blanchiment observés », a-t-il souligné. Le magistrat spécialiste des questions de terrorisme et de crimes organisés poursuit en faisant savoir que « Le boom inexpliqué dans les secteurs de l’immobilier et des hydrocarbures à Gao et Tombouctou en pleine crise, au point de bousculer les leaderships dans le milieu des affaires, suscite des interrogations. La capitale et d’autres villes du Sud ne sont pas en reste de ce constat ».
Quantité de drogue saisie et nombre de personnes interpellées
Selon lui, « les principaux défis à relever pour les Etats du Sahel en matière de lutte contre l’insécurité résident dans leur potentiel de prévention et leurs efforts en vue de judiciariser la lutte contre le crime organisé en général et le narcotrafic en particulier ». L’atteinte de cet objectif, a-t-il laissé entendre, nécessite une collaboration entre les Etats et leurs partenaires qui doivent développer des programmes de renforcement des capacités des acteurs majeurs du tissu social, susceptibles d’améliorer l’efficacité des dispositifs déjà existants ; procéder à la formation et à l’équipement, le cas échéant, de ces acteurs demeure incontournable. Il propose la mise en place, au sein de chaque structure opérationnelle, d’une banque de données comportant une case partageable avec les autres structures nationales.
Le renforcement de la coopération internationale et la formation des organisations faîtières de la société civile sont d’autres propositions pertinentes formulées par ce spécialiste.
De 2014 à 2016, les types de drogue saisie au Mali sont la cocaïne, l’héroïne, l’off, le crack, le cannabis, l’amphétamine, le tramadol et l’éphédrine. 3 kg 614g de cocaïne ont été saisis en 2014 contre 5 kg 892g en 2015 et 435 g en 2016. C’est en 2014 que deux kilos d’héroïne sont tombés dans le filet des services spécialisés du Mali contre 12 kg d’amphétamine. En 2015, la quantité de « off » et de « crack » est évaluée respectivement à 358 g et 536 g. Quant au cannabis, on note la saisie de 4 tonnes 750kg en 2014, 4 tonnes 95 kg en 2015 et 3 tonnes 500 kg en 2016. Les trafiquants ont été sevrés de 34.140 gélules 500 plaquettes en 2014, 1.354 comprimés en 2015, 40 kg en 2016 de tramadol contre 1500 comprimés en 2014, 12 kg 320 comprimés en 2015, 500g en 2016 d’éphédrine.
En 2014, les services de sécurité ont arrêté 140 Maliens, 10 Nigérians, 07 Burkinabés, 02 Français, 10 Guinéens, 07 Sénégalais, 01 Mauritanien. L’année suivante, c’est-à-dire, en 2015, il a été mis hors d’état de nuire 147 Maliens, 05 Ghanéens, 12 Nigérians, 11 Burkinabés, 01 Mauritanien, 06 Ivoiriens, 01 Nigérien. Les chiffres provisoires pour 2016 faisaient ressortir l’arrestation de 11 Maliens, 09 Burkinabés, 05 Nigérians, 02 Ghanéens impliqués dans le trafic de drogue.
Chiaka Doumbia