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Swissleaks : Les mystérieux comptes offshores du nouveau cardinal du Mali

Alors que Monseigneur Jean Zerbo devient le premier Malien à être nommé cardinal par le Saint siège à Rome, les éléments rendus disponibles par Swissleaks portent un coup dur à l’église catholique du Mali.

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Mais aussi au cardinal, nominativement cité dans ce  dossier qui fait état de l’ouverture,  depuis 2002, en Suisse, de sept comptes offshores par la Conférence épiscopale du Mali (CEM).

Entre 2002 et 2007, la CEM a entretenu sept comptes bancaires en Suisse, un pays non coopératif en matière fiscale, et qui a pu figurer sur la liste noire de l’OCDE. En cinq ans, le portefeuille a généré environ 12 millions d’euros soit 7 milliards FCFA avant de « s’évaporer » mystérieusement. Que sont devenus ces fonds ? Interrogée, la direction actuelle de l’Eglise du Mali n’a pas souhaité faire de commentaires, alimentant les soupçons autour de cette affaire du reste rocambolesque. Un des personnages centraux de cette affaire n’est pas un inconnu. Il s’agit du premier cardinal malien, l’archevêque de Bamako, Monseigneur Jean Zerbo, nommé la semaine dernière par le Vatican, était alors président de la commission finance de la CEM.

Les péripéties d’une manœuvre savamment orchestrée

Le 25 novembre 2002 à 9h du matin au Crédit Lyonnais de Monaco. Ce jour-là sont ouverts en toute discrétion sept comptes en banque qui risquent de créer un coup de tonnerre au sein de la communauté catholique malienne. Les documents nous révèlent des IBAN CH propres à la Suisse.

Ces comptes pas très catholiques comme on dit, était crédités, d’après des documents provenant des Swissleaks, de…12 millions d’Euros (soit 7 milliards de francs CFA) en 2007, dernière date connue d’après des relevés bancaires que nous avons pu nous procurer.

Cette histoire rocambolesque mêle opacité, rencontres secrètes entre clergé malien et banquiers d’affaires, et soupçons de détournements de fonds. Les fac-similés en notre possession révèlent l’implication de trois acteurs-clés dans cette affaire : les trois plus hauts dirigeants de la CEM de l’époque. Mgr Jean Zerbo, archevêque de Bamako, chargé des finances de la CEM au moment des faits. Pour « services rendus » à l’Eglise (lesquels ?), il a été, il y a à peine 7 jours, élevé au rang de Cardinal par le Saint siège.

Les autres protagonistes, Jean-Gabriel Diarra, évêque de San et ex-numéro 1 de l’Eglise catholique du Mali, et Cyprien Dakouo, secrétaire général de la CEM à partir de 2004. Trois personnages incontournables dans cette affaire obscure, et qui nous fuient comme la peste.

A ce jour, personne au Mali, à part les trois plus hauts dirigeants de l’épiscopat malien de l’époque, n’a eu vent de ces comptes bancaires crédités en 2007 de…7 milliards de francs CFA ! D’où vient cette somme gigantesque ? Que fait de l’argent de dons de fidèles maliens placé dans une banque à la réputation sulfureuse ? Car avant d’atterrir chez HSBC, les comptes troubles de la CEM ont voyagé. Du Crédit Lyonnais du Rocher au Crédit Agricole (CA) après le rachat du premier par le second. Puis du CA au Crédit Foncier, devenu CFM Indosuez Wealth, devenu depuis une filiale de HSBC Private Bank, établissement régulièrement au cœur de scandales internationaux ces dernières années.

D’après les documents internes de HSBC, deux agents ont rencontré à de nombreuses reprises les trois responsables catholiques maliens. Le banquier d’affaires, Nen Khieu, responsable de la gestion d’actifs à revenu fixe de HSBC entre 2000 et 2009, et son collègue (non cité nommément dans les documents) ne vont pas hésiter à se déplacer à Bamako pour rencontrer nos hommes d’Eglise. C’est ainsi que du 29 septembre au 18 octobre, ils vont s’entretenir au moins à trois reprises avec Mgr Zerbo, Diarra, et Dakouo qui apparaît comme le point focal pour le trio concernant la gestion des 7 comptes bancaires ouverts au nom de la CEM. Au cours de ces rencontres, ils se mettent d’accord sur le taux de rémunération en terme d’intérêt : « 5% », selon les documents confidentiels de la banque que nous avons pu consulter. Les deux banquiers se frottent les mains dans des correspondances : « la bonne gestion du portefeuille nous permettra d’obtenir une augmentation de ressource. »

De ces rencontres, il ressort également, que « l’Archevêché ainsi que les paroisses sont d’accord » pour confier la gestion d’une partie du portefeuille à la banque ainsi que la capture de « 50% du portefeuille afin de pouvoir en optimiser la rentabilité ». Des informations que démentent catégoriquement des fidèles de certaines paroisses de Bamako que nous avons contactés. « Nous n’avons jamais été informées d’une telle opération de la part de la Conférence Episcopale du Mali », nous confie un choriste de la Paroisse cathédrale

Et cet autre responsable de la jeunesse de la rive droite de Bamako d’enfoncer le clou : « Il y a une grande opacité dans la gestion des ressources de notre confession. Ça fait des années que ça dure. Et ça commence à nous monter par la tête. Profitant de l’extrême passivité des fidèles ils se permettent tout et ne rendent compte à personne ».

Un manque de transparence qui semble-t-il ne surprend guerre un haut responsable de la communauté catholique du Mali surtout « quand il s’agit de Cyprien Dakouo ». « C’est toujours un défi pour l’Eglise malgré une recommandation du Concile Vatican II (tenu du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965, ndlr) qui veut que les fidèles soient associés à la gestion des ressources de l’Eglise », affirme notre interlocuteur qui d’ailleurs avait été mis au courant de l’existence de comptes en Suisse.

Ce proche de l’ancien curé de Sikasso se souvient : « je me rappelle que Cyprien recevait de l’argent provenant de CFM Monaco », souffle-t-il. Il avoue ne pas en savoir davantage même s’il confesse avoir été grugé par l’ex « homme de main » des évêques du Mali.

Le cirque ne pouvait pas durer. La « communion » entre les évêques et leur subalterne a volé en éclat après 6 ans de complicité autour des fonds de l’Eglise. Parti sur la pointe des pieds, selon plusieurs personnes interrogées dans les coulisses de notre enquête, Cyprien n’a jamais répondu à nos mails.

Des comptes encore actifs chez HSBC Private Bank

Aujourd’hui, impossible de retrouver les traces de cet argent dans la comptabilité de la CEM. Les documents fuités des machines de HSBC révèlent pourtant que des codes clients pour chacun des trois responsables apparaissent entre 2006 2007, et font part d’une répartition égale des 12 millions d’euros. S’agit-il d’un détournement de fonds de la part de nos hommes qui prêchent la bonne foi et l’honnêteté ? Ces sommes ont-elles été déclarées au fisc malien ? A ces questions, le chargé des finances, l’Abbé Noël Somboro, botte en touche : « je n’ai pas envie d’aller fouiller dans les archives pour savoir d’où vient l’argent ou si les comptes existent toujours. Je n’ai pas ce temps. »

Entre panique et agressivité à notre égard, l’abbé Noël lâche une phrase étonnante de la part d’un professionnel de la Finance : « j’ignore ce que c’est un compte offshore ou que la Suisse est considérée comme un paradis fiscal. Sinon nous avons des comptes bancaires un peu partout. » Il ajoute : « il est possible que le compte ait existé, mais je n’ai pas de trace. » M. Noël oppose aussi un niet catégorique à toute tentative de lui arracher des chiffres sur le patrimoine de l’Eglise ou de savoir si ces comptes sont déclarés au fisc malien. Il compare d’ailleurs ces avoirs au « code nucléaire » que la France ne serait jamais prête à dévoiler à ses citoyens.

Le responsable de la législation fiscale des Impôts, lui, en est sûr : « un quelconque compte au nom de la CEM en Suisse n’est pas déclaré au niveau du fisc malien », sans pourtant avoir vérifié l’existence de tels comptes.

Toutefois, une simulation d’un transfert d’argent sur deux des sept numéros d’identification bancaire nous a permis de découvrir que les comptes existent encore chez HSBC Private Bank à Genève. Même si la banque elle-même n’a pas daigné répondre à nos mails.

Entre panique et dénégations

Dans la capitale malienne, les principaux personnages concernés fuient nos questions. Samedi 14 mai, à 7h du matin, nous avons dû nous faire passer pour des fidèles de l’Eglise catholique pour assister à la traditionnelle messe de Jean Zerbo, désormais « Cardinal ». Après une heure de prêche, il tente de nous envoyer balader. « Moi, un compte en Suisse ? Je suis donc riche sans le savoir », ironise le nouveau Cardinal, alors qu’en 2005 un code client à son nom fait état de plus de 4,5 millions d’euros, selon les documents Swissleaks. Face à notre insistance, preuve à l’appui, il tombe dans la contradiction : « c’est un vieux compte. Il s’agit d’un système que nous avons hérité de l’Ordre des missionnaires d’Afrique qui géraient l’Eglise », explique-t-il. Ajoutant toutefois n’avoir jamais ouvert un « compte personnel » à l’étranger car « source de problème ». D’où la question : les dignitaires maliens ont-ils hérité d’un système d’évasion des deniers des fidèles maliens ?

Les documents secrets nous apprennent pourtant que les comptes en question ont été ouverts en 2002. Et Mgr Zerbo avait déjà pris les commandes de l’archidiocèse depuis 1998.

Mgr Jean Gabriel Diarra, président de la CEM au moment des faits, refuse lui aussi de répondre à nos appels et messages privés.

Quant à Cyprien Dakouo, lui est en France depuis son éviction, pardon son remplacement en 2012. L’ancien bras droit des évêques du Mali a intégré, depuis 2013, la prestigieuse université des Sciences et Technologie de Lille I où il fait un Ph. D en Economie.

N’est-ce pas pour mieux maitriser les arcanes mafieux des finances et exceller dans la gestion opaque des fonds de l’Eglise ?

 

Par David Dembélé et Boubacar Dicko

Avec la collaboration exclusive du Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ)

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