Avec ses lunettes rondes, ses cheveux gris et son accent chantant, ce septuagénaire discret est aujourd’hui l’un des hommes les plus puissants du pays. « Au Mali, mieux vaut être craint, car c’est un pays de non-droit », lâche-t-il, en esquissant un sourire carnassier dans un café parisien où il donne rendez-vous. « Mais je n’utilise pas ma puissance pour détruire », ajoute celui qui ne cache pas sa proximité avec le président Ibrahim Boubacar Keïta.
Il faut dire que son groupe familial, Achcar Mali Industries (AMI), hérité de son père mais fortement développé depuis, règne d’une main de fer sur l’agroalimentaire, mais pas seulement. Outre les Grands Moulins du Mali et une usine de pâtes alimentaires, il produit aussi de l’huile, du sucre, des piles. Il est d’ailleurs sous contrat avec l’armée française pour fournir son eau minérale, Diago, aux soldats combattant les groupes terroristes dans le cadre de l’opération Serval muée en Barkhane à l’été 2014. A Bamako, on parle de lui comme d’un « intouchable ».
Fier d’avoir pu servir une Françafrique tant décriée
Volubile et séducteur, Gérard Achcar se présente comme un industriel sans histoires, né au Mali mais ancien élève de la très select Ecole des roches en Normandie, amoureux de la culture française et fier d’avoir pu servir une Françafrique tant décriée. Cependant, pas question pour cet ancien conseiller du commerce extérieur de la France d’apporter sa contribution fiscale au pays de son cœur. « Je n’ai pas un euro de revenu en France où je ne suis pas résident fiscal. Moi, ici, je dépense », lâche-t-il, tout en se vantant d’être « l’un des plus gros contribuables du Mali ».
Résident fiscal suisse jusqu’en 2010, selon ses dires, il explique avoir depuis transféré toute son activité au Liban de ses aïeux. Pourtant, fin 2011, la police judiciaire française enquête à partir d’un dossier fiscal sur Gérard Achcar récupéré lors d’une perquisition chez l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine. Les autorités françaises s’intéressent à une société malienne baptisée Société de promotion africaine (Sopra), une SCI présidée par son fils, Cyril Achcar.
C’est néanmoins le nom du père qui figure sur le compte en banque de la société ouvert le 17 novembre 2005 chez HSBC Private Bank à Genève, selon les documents auxquels Le Monde Afrique a eu accès. Le solde maximum entre 2006 et 2007 est de 5,6 millions de dollars. « Les banques suisses sont moins frileuses que les françaises pour soutenir les investissements en Afrique », balaie Gérard Achcar.
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Lui et Modibo Keïta, l’autre géant de l’agroalimentaire au Mali, se regardent en chiens de faïence. L’ironie des comptes en Suisse a voulu que les deux concurrents se retrouvent tous deux chez HSBC à Genève.
Du Mali à la Suisse, c’est aussi en Corse que Gérard Achcar et la Sopra ressurgissent. Cette fois, c’est avec les Lantieri, une famille célèbre de Bonifacio, que Sopra fait affaire. Lorsque Paul Lantiéri, l’aîné de la famille, disparaît dans la nature après avoir été mis en cause dans l’affaire du cercle de jeux Concorde (il sera condamné en septembre 2013 à trois ans de prison pour « association de malfaiteurs en vue de blanchiment, d’abus de biens sociaux et d’abus de confiance »), son frère Antoine reprend plusieurs de ses affaires. De son côté, Gérard Achcar fait montre de générosité. A travers la Sopra, il accorde à Antoine et à sa SARL Le Voilier un prêt d’un million d’euros pour reprendre les parts du financier suisse François Rouge, associé de Paul Lantiéri dans le restaurant La Rotonde à Aix-en-Provence.
Mais ce n’est pas tout. Selon des documents consultés par Le Monde, la SCI Baobab de Gérard Achcar, elle aussi immatriculée au Mali, a racheté en 2008 les parts de François Rouge dans plusieurs sociétés qui devaient participer à une opération immobilière baptisée « La plage d’argent ». « J’ai une maison à Bonifacio où vous ne pouvez pas ne pas connaître Antoine Lantieri. Mes seuls liens avec les Lantieri se résument à un achat de terrain qui, je l’espère, sera bientôt constructible », explique-t-il pour parer aux accusations qu’il sent venir sur ses relations d’affaires avec un nom parfois associé au banditisme insulaire.
Un intermédiaire nommé Ziad Takieddine
Le site Mediapart a révélé qu’en 2005, Gérard Achcar aurait bénéficié d’un effacement des deux-tiers de sa dette fiscale, soit 4 millions d’euros, par l’intermédiaire de Ziad Takieddine, lequel serait intervenu auprès de Jean-François Copé, à peine nommé ministre du budget. « Je ne connais ni M. Copé ni M. Takieddine qui a sans doute eu accès à mon dossier fiscal par l’intermédiaire de l’avocat que nous avons en commun, Me Richard Foissac », répond l’intéressé.
Une autre version évoque l’intervention de Nicolas Bazire, l’ancien directeur de campagne d’Edouard Balladur en 1995 dont la fille, Charlotte, a épousé l’un des fils de Gérard Achcar. Ce dernier dément avec verve. « Toutes ces histoires ne reposent sur rien. J’ai bataillé pendant dix ans pour finir par remporter cette bataille judiciaire. Je n’ai pas payé un franc CFA au fisc et je continue de gérer mes industries au Mali, voilà », se défend-il. Et de se ressaisir : « Sinon, je m’apprête à lancer une nouvelle boisson aromatisée au Mali. »