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Sur la piste de l’or : Où va notre or ?

Le Mali, en Afrique, est un grand producteur d’or, constamment dans le trio de tête. L’or a une place primordiale dans la constitution de notre assiette. Malgré cela, il reste la cause de graves violations des droits humains et dégradations de l’environnement. Beaucoup de fantasmes liés à la présence française et occidentale ont été véhiculés, sans preuves tangibles à ce jour. Cependant, la forte hausse du prix de l’or ces dernières années, a aggravé la ruée vers l’or et transformé tout le territoire malien en paysage lunaire sans réaction des autorités. Où va notre or ? Au profit de qui ?

Swissaid est une organisation suisse à but non lucratif qui travaille pour lutter contre la pauvreté et l’injustice dans le monde. Fondée en 1948, Swissaid s’engage à soutenir les populations les plus défavorisées en leur fournissant un accès à la nourriture, à l’eau potable, à l’éducation, à la santé et à d’autres besoins essentiels. L’organisation travaille dans de nombreux pays sous-développés pour promouvoir l’autonomie des communautés locales et la justice sociale. Swissaid a mené une étude très approfondie sur l’or africain. « Intitulée, « Sur la piste de l’or Africain : quantifier la production et le commerce afin de lutter contre les flux illicites », l’étude suit le métal jaune africain, des placers et places fortes des Emirats, Johannesburg et ailleurs.

Le premier grand constat est que très peu d’or passe par l’Europe. Le plus grand trafic (illicite surtout), passe par l’Afrique du Sud et les pays Arabes du golfe.

L’étude soulève de nombreux problèmes : d’énormes quantités d’or sont exportées en contrebande, les contrôles à la douane et sur les sites de production sont insuffisants, certaines statistiques sont opaques et d’autres ont même été falsifiées.

Entre 2012 et 2022, la production d’or industrielle a pratiquement doublé au Mali (66,2 tonnes). « Il est important de préciser que l’or industriel déclaré à la production n’a pas nécessairement été produit dans le respect de toutes les normes légales », affirme l’étude qui précise qu’en 2023, Swissaid a notamment dressé une liste de graves problèmes, en particulier de violations des droits humains et de dégradations environnementales, concernant la majorité des 125 mines d’or industrielles identifiées en Afrique.

La production d’or issue de l’extraction minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) est composée de la production déclarée et non déclarée. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, (OCDE), l’or d’EMAPE en Afrique a connu un essor très important au cours des quinze dernières années.

« La production d’or d’EMAPE déclarée a connu des tendances différentes selon les pays, en raison notamment de l’évolution des contextes politique, économique et sanitaire ou de changements au niveau des méthodes de collecte des données. Par exemple, elle a fortement fluctué au Ghana, en Ethiopie et au Zimbabwe, alors qu’elle a augmenté en Tanzanie et au Niger, et qu’elle est restée stable au Mali ».

L’Etat malien a estimé la production annuelle d’or d’EMAPE à 4 tonnes entre 2011 et 2015 et à 6 tonnes entre 2016 et 2022. « Cette méthode pose problème, car non seulement l’usage d’estimations comme chiffres officiels n’est pas précis, mais en plus, dans le cas du Mali, les estimations officielles sont éloignées de la réalité », explique Swissaid qui évalue à « plus de 50 tonnes, sans la production au nord du pays », notre production d’or d’EMAPE.

« Au prix de l’or le 1er mai 2024 (73’862 USD/kg à 14h1540), cette fourchette des estimations en poids correspond à une valeur annuelle comprise entre 23,7 milliards et 35 milliards USD. Il est préoccupant de constater l’ampleur de l’extraction d’or qui a lieu en marge du cadre légal. Les Etats africains n’ont pour ainsi dire aucun contrôle et ne perçoivent aucun revenu sur ces flux. L’absence de contrôle étatique implique également un risque accru de travail forcé, de travail des enfants, d’atteintes à la santé ou même de décès des travailleurs, de pollution environnementale et de financement de groupes armés. En même temps, il est important de souligner que la majorité des mineurs artisanaux cherchent simplement à gagner leur vie, n’ont pas d’autre choix que de travailler dans l’informalité et n’ont pas d’intention criminelle ».

Pour qui brille-t-il ?

En 2022, les plus grands producteurs d’or déclaré en Afrique étaient le Ghana, le Mali et l’Afrique du Sud. Entre 2018 et 2022, la production d’or déclarée a décru fortement en Afrique du Sud, au Ghana et au Soudan, alors qu’elle a cru fortement au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Mali.

La production d’or totale déclarée en Afrique englobe la production d’or industrielle et la production d’or d’EMAPE déclarées. Elle a augmenté de 2012 à 2018, où elle a atteint environ 700 tonnes, puis fluctué jusqu’en 2022.

La comparaison des données révèle qu’entre 32 % et 41 % de l’or total produit en Afrique n’a pas été déclaré à la production en 2022.

En additionnant la production totale d’or déclarée et les estimations de la production d’or d’EMAPE non déclarée, on obtient une production d’or totale pour le continent africain située entre 991,4 et 1’144,6 tonnes en 2022. Au prix de l’or le 1er mai 2024 (73’862 USD/kg à 14h1543), cela représente une valeur commerciale comprise entre 73,2 milliards et 84,5 milliards USD. A titre de comparaison, la société de conseil Metal Focus a estimé la production totale d’or en Afrique à 979 tonnes en 2022.

Une fois extrait, l’or africain emprunte des chemins divers : il est soit raffiné puis consommé ou stocké dans le pays de production, soit exporté légalement vers un pays africain ou non africain, soit exporté en contrebande vers un pays africain ou non africain.

L’or consommé localement ou stocké dans le pays de production représente une proportion extrêmement faible de l’or total extrait chaque année en Afrique. Les secteurs de la joaillerie et les secteurs bancaires des pays africains consomment et utilisent peu d’or local. De nombreuses banques centrales africaines ont acquis de l’or local via des programmes d’achat officiels, mais cet or est généralement exporté vers des pays non africains, où il est raffiné puis stocké ou vendu. La comparaison entre la production, les exportations et les importations dans les pays partenaires indique que la très grande majorité de l’or africain quitte le pays où il a été produit.

Les exportations d’or déclarées d’un pays africain vers un autre pays africain ont pour principale destination l’Afrique du Sud. Pour le reste, le commerce d’or intra-africain déclaré demeure très faible. Plusieurs Etats africains ont rapporté des importations d’or en provenance d’autres pays africains, mais cet or est très rarement déclaré à l’exportation dans le pays de production et ne peut donc pas être considéré comme de l’or légal.

Les exportations d’or déclarées de pays africains vers des pays non africains, quant à elles, ont pour principales destinations les EAU, la Suisse et l’Inde.

EAU, la Suisse et l’Inde, les chemins d’or

Enfin, l’or qui quitte clandestinement les pays producteurs africains prend soit le chemin d’un pays non africain, auquel cas il emprunte presque toujours la voie aérienne et atterrit en général aux EAU, soit le chemin d’un autre pays africain, auquel cas il emprunte généralement la voie terrestre et transite par un pays voisin avant de rejoindre un pays non africain, là aussi les EAU dans la majorité des cas.

Les exportations d’or totales déclarées par les pays africains ont augmenté sur la période 2012-2022. Elles sont passées de 600 tonnes en 2012 à 814 tonnes en 2018, puis ont fluctué entre

2019 et 2022.

« L’analyse des données sur les exportations d’or d’Afrique désagrégées par pays permet de faire plusieurs observations. Premièrement, les quantités d’or exportées du Ghana et d’Afrique du Sud ont été très élevées tout au long de la période 2012- 2022 », précise l’étude qui ajoute qu’une partie des 777 tonnes d’or déclaré à l’exportation dans les pays africains en 2022 n’a pas été déclaré à la production ou a franchi une frontière clandestinement avant d’être déclaré. De même, certaines exportations d’or résultent de fausses déclarations ou sont entachées de sous-déclaration. Ces phénomènes sont analysés dans la partie.

Les exportations d’or déclarées de pays africains vers d’autres pays africains concernent principalement le commerce de l’or avec l’Afrique du Sud. « Swissaid a calculé que ce type d’exportations n’avait pas dépassé 15 tonnes au total en 2022, dont 2’955 kg exporté du Burkina Faso vers le Mali ».

La grande majorité des exportations d’or des pays africains vers l’Afrique du Sud consistent en or industriel acheminé vers la raffinerie Rand Refinery, basée à proximité de Johannesburg. Seule raffinerie en Afrique à être certifiée par la LBMA, Rand Refinery a transmis à Swissaid les quantités d’or qu’elle a raffiné ces dernières années : 302 tonnes (d’une pureté moyenne de 82 %) durant l’année fiscale (septembre-août) 2017/2018, 298 tonnes (74 %) en 2018/2019, 272 tonnes (80 %) en 2019/2020, et 296 tonnes (75 %) en 2020/2021.

Il est impossible de comparer les statistiques sur les exportations d’or des pays africains vers l’Afrique du Sud avec les statistiques sur les importations d’or en Afrique du Sud, car les autorités sudafricaines ne rapportent qu’une petite partie des importations d’or du pays.

Sur les 777 tonnes d’or déclarées à l’exportation par les pays africains en 2022, environ 153 tonnes ont été exportées vers un autre pays africain tandis que 614 tonnes ont été exportées directement vers un pays non africain. Le commerce intra-africain ne représente ainsi que 20 % de l’or déclaré à l’exportation dans les pays africains.

A suivre !

Alexis Kalambry

Un commerce semi-clandestin !

La grande majorité de l’or africain non déclaré à la production ou à l’exportation est déclaré à l’importation dans les pays non africains. En d’autres termes, l’or issu des circuits clandestins africains acquiert une existence légale au moment d’entrer sur le marché international. L’or du Mali va essentiellement aux Emirats Arabes unis, EAU, en Inde et en Afrique du Sud.

La comparaison avec les données d’importation permet d’affirmer que la production d’or d’EMAPE non déclarée en Afrique atteint très vraisemblablement, voire dépasse 474 tonnes.

Plus de 435 tonnes d’or ont été exportées en contrebande du continent africain en 2022, ce qui représente plus d’une tonne par jour. Au prix de l’or le 1 er mai 2024, cela correspond à une valeur de 30,7 milliards USD. L’écrasante majorité de cet or a été importé aux Emirats arabes unis (EAU) avant d’être réexporté vers d’autres pays.

En 2022, 66,5 % (405 tonnes) de l’or importé aux EAU en provenance d’Afrique a été exporté en contrebande des pays africains. Entre 2012 et 2022, 2’569 tonnes d’or africain importé aux EAU n’ont pas été déclarées à l’exportation dans les pays africains. Au prix moyen de l’or sur ces onze années, cela correspond à une valeur totale de 115,3 milliards USD.

Douze pays africains sont impliqués dans la contrebande de plus de 20 tonnes d’or par année. La contrebande d’or la plus importante concerne le Mali, le Ghana et le Zimbabwe. La contrebande d’or en Afrique a plus que doublé entre 2012 et 2022. L’or industriel africain a été majoritairement exporté en Afrique du Sud, en Suisse et en Inde, alors que 80 à 85 % de l’or d’EMAPE africain a été exporté aux EAU.

Entre 2012 et 2022, le commerce d’or intra-africain déclaré s’est fait très majoritairement à destination de l’Afrique du Sud. Cependant, la plus grande partie de l’or africain importé dans ce pays a ensuite été réexporté vers des pays non africains.

 A K.

Mali Tribune
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