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SOYA DJIGUE, ECONOMISTE : « L’embargo nous fera perdre entre 25 à 30 milliards F CFA par mois »

Avec une économie mise à genou par une crise multidimensionnelle dont la maladie à Coronavirus, des nouvelles sanctions tiennent à bout de souffle le trésor malien depuis une semaine. L’économiste de formation Soya Djigué, dans cette interview, évalue l’impact économique de l’embargo de la Cédéao.

Mali-Tribune Suite aux événements du 18 août ayant entrainé la démission du président IBK, la Cédéao a décrété des mesures et sanctions contre le Mali. D’abord, est-ce que l’impact économique de l’embargo d’avril 2012 avait été évalué ?

Soya Djigué : Les problèmes économiques aujourd’hui datent de 2012 en réalité. On sait quand une crise économique commence, mais on ne sait jamais quand ça va finir.

Cependant, il y a une différence majeure entre ces événements. En 2012, c’était la Cédéao qui avait demandé et obtenu la démission du Président. Cette fois-ci, c’est différent. La démission a été imposée. Pour ce cas, la Cédéao principalement, la Côte d’Ivoire et la Guinée qui ont aussi des problèmes socio-économiques chez eux, ne veulent pas un effet de contagion dans leurs pays. Ils vont tout faire pour que les militaires abandonnent. Il faut s’attendre à un enlisement dans le temps si les militaires ne lâchaient pas. Quand vous posez un embargo, ce n’est pas la junte que vous touchez, mais plutôt les populations. Leur objectif, c’est de faire en sorte que dans les deux à trois semaines, les populations se retournent contre la junte.

Mali-Tribune : Quelles sont les sanctions économiques auxquelles doit-on s’attendre ?

S. D. : Les sanctions ont été prises pour bloquer justement toutes relations économiques financières avec le Mali. Elles ont forcément des impacts catastrophiques sur l’économie malienne parce que le pays est continental. 90 % des produits manufacturés consommés ici proviennent de l’importation. Si tout ceci se bloque tout d’un coup il y aura des conséquences catastrophiques sur le prix, sur l’approvisionnement et aussi sur les revenus des populations.

En ce qui concerne les exportations, le Mali vit principalement de l’or et du coton. Ces deux matières représentent à peu près 85 % des exportations du Mali. Si du jour au lendemain ces exportations sont bloquées, toutes ces personnes qui dépendent du coton par exemple n’ont pas de perspectives immédiates. Parce qu’on ne transforme que 2 à 3 % localement, les 97 % du coton sont exportés.

Mali-Tribune : Quels sont les secteurs qui seraient les plus impactés ?

S. D. : Il faut savoir que la Cédéao a pris ces mesures d’abord pour assécher le trésor public. Dans l’immédiat, les denrées de première nécessité ne seront pas impactées parce qu’il y a des stocks qui sont disponibles, mais à la longue, ça va poser d’énormes soucis pour les ménages. Les prix vont grimper non seulement à cause des sanctions, mais à cause également de la spéculation des commerçants. Il faut donc s’attendre à ça.

Au début de l’année, le Mali a levé sur le marché des titres publics de l’Uémoa plus de 630 milliards F CFA. Si jamais les sanctions se poursuivaient au-delà de deux à trois semaines, on aura du mal à payer les salaires, à lever des fonds. Il faudra trouver d’autres sources de financement. Lesquelles, on ne sait pas encore.

Mali-Tribune : Quelle est la profondeur de cette crise économique au Mali ?

S. D. : Il faut se dire que le Mali a déjà une économie plutôt résiliente. L’année dernière, on a enregistré à peu près 4,5 % de taux de croissance. Ce n’est pas énorme, mais ce n’est pas mal. Par contre, avec déjà une crise sanitaire et politique si des sanctions économiques s’y rajoutent, on va forcément rentrer en récession d’ici un semestre.

Une crise qui va se ressentir au niveau des entreprises. Au Mali, justement c’est le secteur privé qui tient l’économie. Il passe beaucoup d’importations, si les entreprises ne peuvent plus importer c’est extrêmement grave. Les conséquences se feront sentir au niveau de l’Etat aussi. L’Etat perçoit à peu près 50 milliards de F CFA des droits de douanes par mois.

Certes toutes les importations ne sont pas arrêtées parce qu’il y a la Mauritanie, le Maroc et peut-être l’Algérie, mais le gros du business en termes d’acheminement des marchandises au Mali passe forcément par les ports d’Abidjan et de Dakar.

L’économie va sérieusement être impactée. Il y a des entreprises qui vont être fermées et cela risque de créer d’autres problèmes sociaux ici au Mali.

Mali-Tribune : Peut-on avoir une idée sur le manque à gagner pour le trésor malien ?

S. D. : C’est difficile de le dire parce que déjà le taux d’imposition au Mali est autour de 14 % du PIB or dans les autres pays de l’Uémoa on est aux alentours de 20 %. Ça veut dire que l’Etat ne récolte pas assez de taxes. Pourquoi ? C’est toute une autre question. Je pense qu’en moyenne on peut facilement penser qu’on perdra autour de 25 à 30 milliards d’entrées de F CFA par mois.

Mali tribune : En début de semaine, beaucoup de citoyens dont des enseignants chercheurs ont demandé la levée de l’embargo posé par la Cédéao. En tant qu’économiste, est-ce que vous soutenez cette position ?

S. D. : Il ne faut pas se tromper du combat. Les sanctions visent à mettre la pression sur la junte aujourd’hui au pouvoir pour abandonner. Ça reste un levier important de pression pour la Cédéao.

Certes, le Mali va être impacté, mais le Sénégal, la Côte d’Ivoire vont être également très impactés.

Le Sénégal qui envoie à peu près 30 % de ses exportations, surtout le ciment, dans la zone Uémoa passe par le Mali. Ça représente 20 à 30 milliards F CFA par mois.

Du côté de la Côte-d’Ivoire, c’est les produits de première nécessité. Les industries agro-alimentaires ivoiriennes dépendent du Mali de 20 % de leurs exportations.

Les sanctions vont inévitablement créer aussi plus de chômage chez nos voisins, car l’excès de production qui partait sur le Mali peut difficilement trouver un preneur et donc si la situation perdure, il y aura une partie de la main d’œuvre qui sera au chômage technique.

Sur le court terme, on n’a pas beaucoup à nous inquiéter, mais ces sanctions ne peuvent pas aller au-delà de deux à trois semaines sinon tout le monde va le sentir.

Ça ne peut pas continuer, c’est un cocktail explosif. C’est fait pour que ça se passe comme ça. Il faudra qu’on trouve des solutions surtout à aborder l’avenir.

L’alternative pour le Mali est d’investir massivement dans l’agriculture  et la formation de nos populations rurales pour augmenter le rendement agricole afin que nous soyons autosuffisants en produits alimentaires.

L’investissement dans le secteur agricole a permis au Rwanda de réduire la pauvreté sur une vingtaine d’années de 3 % par an. Aujourd’hui au Mali on a plus de 80 % de la population qui vit du secteur agricole, mais le niveau d’investissement qui va dans ce secteur c’est minium. C’est avec le développement agricole qu’on y arrivera.

Propos recueillis par

Kadiatou Mouyi Doumbia

Source: Mali Tribune

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