Député élu à l’Assemblée nationale 2013 – 2018, Oumar Mariko, 61 ans, est un candidat malheureux à la dernière élection présidentielle de 2018. Celui qui qualifie son courant politique de « progressiste et d’orientation socialiste », suit la crise dans laquelle se trouve le Mali de très près. Selon lui, elle est due aux dirigeants politiques « affairistes », au pouvoir, qui ne proposent pas de solutions de sortie de crise. Pour Nord Sud journal, Oumar Mariko revient sur les débats sur la monnaie africaine, la politique et l’économie au Mali mais aussi la sécurité.
Nord sud journal : Il y a des discussions en ce moment entre majorité et opposition dans le cadre d’une ouverture du gouvernement. Avez-vous été contacté ?
Oumar Mariko : Non, nous n’avons pas été concertés au sujet d’un gouvernement d’union nationale ou d’ouverture du gouvernement à l’opposition.
On a vu le Président du RPM, Bocari Treta, rencontrer Soumaila Cissé, puis, quelques jours plus tard, le PM Boubeye a rencontré l’Adema de Tiemoko Sangaré. Y a-t-il une rivalité entre les deux hommes ?
Ce sont des enfantillages. Quand je vois ces petits calculs politiques, je me demande quelle classe politique nous sommes? Des gens qui prétendent diriger un pays et qui se comportent de la sorte. C’est pour cela que rien n’est résolu.
Le mandat des députés a pris fin le 31 décembre dernier, mais le gouvernement et la Cour constitutionnelle ont trouvé une formule pour maintenir les députés en poste pour au moins 6 mois. Vous sentez-vous aujourd’hui toujours député ?
J’étais élu pour 5 ans et je suis mal à l’aise de dire que je suis toujours député. À moins que je ne m’autoproclame, comme l’a fait le Président de l’Assemblée vénézuélienne, qui s’est autoproclamé Président. S’autoproclamer député sans mandat de qui que ce soit est un coup d’État contre la démocratie.
Au lieu d’ouvrir un véritable dialogue politique, ils ont fait de petits arrangements qui créent des petits problèmes incommensurables. Nous sommes dans ça. IBK a dit qu’il ne voulait pas diriger par ordonnances et demandé qu’on lui trouve une Assemblée nationale, quelle qu’elle soit. C’est pour cela que la Cour constitutionnelle a prolongé le mandat des députés. Ce n’est pas la démocratie ça.
Est-ce que vous avez écrit au Président de l’Assemblée nationale pour lui notifier que vous n’étiez plus député ?
Pour l’instant, nous avons suspendu nos activités au sein de l’Assemblée nationale et au niveau du parti nous menons en ce moment d’intenses réflexions pour choisir la meilleure méthode pour poursuivre notre combat. C’est après consultation avec la base du parti que nous prendrons la décision définitive.
Selon vous quelle est la solution ?
La seule dynamique qu’il faut pour sortir de cette crise est d’accepter un débat ouvert et d’accepter ses conclusions. L’Assemblée nationale pouvait appeler à une Constituante, c’est-à-dire toutes les forces du pays, le secteur économique, la société civile, la classe politique. Tout le monde allait se retrouver dans une constituante et revoir le fichier électoral, poser la problématique de la paix, de la sécurité, de la fronde sociale et prendre en compte les revendications des travailleurs. Cela pouvait se faire dans une démarche solidaire, d’ensemble. C’est le Président de la République qui aurait dû donner le ton.
Mali, Oumar Mariko, SADI,, franc CFA. Politique,
Vous êtes opposant, pourtant vous n’êtes dans aucune coalition de l’opposition. Cela ne va-t-il pas vous affaiblir dans les débats à l’Assemblée nationale ?
Nous sommes de l’opposition, mais nous ne sommes pas alignés derrière un chef de file de l’opposition, parce que, pour nous, Soumaila et IBK sont les deux faces de la même médaille.
Nous avons une identité à défendre et à faire connaître et nous sommes dans cette logique. Par contre, nous n’avons jamais fermé la porte à une collaboration avec les autres structures. La preuve, après la dernière élection présidentielle, nous étions avec les autres candidats pour dire que les élections étaient mal organisées. On a organisé des manifestations ensemble. Nous avons même un député qui a été molesté lors d’une manifestation.
Mais nous avons eu des voix discordantes parce que nous avions dit de ne pas aller au second tour, de dire tout simplement qu’il n’y avait pas eu d’élection et d’en tirer les conséquences. Malheureusement, Soumaila Cissé a accepté d’aller au second tour, c’était une manière de se ridiculiser. Nous sommes brimés et les autres se sentent plus brimés que nous. Nous ne sommes pas sectaires, nous ne sommes pas fermés, mais nous ne pouvons pas suivre les autres dans la brimade.
Vous avez pourtant soutenu Soumaila Cissé lors de la dernière élection présidentielle?
Nous l’avons fait pour des revendications démocratiques et non sur la base de nos pensées politiques.
Vous étiez dans le même groupe parlementaire que l’ADP Maliba, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui…
C’est vrai, mais notre alliance avec l’ADP Maliba était assez fastidieuse. Nous avons demandé des rencontres de direction de parti à direction de parti, nous n’avons jamais pu l’obtenir avec l’APD Maliba. Il y avait des rencontres à titre individuel entre les principaux responsables, mais la situation exige beaucoup plus que ça. Pour nous, la conquête de la population malienne est la plus importante. J’avoue que dans notre alliance avec l’ADP Maliba, nous sommes dans une situation un peu confuse, car nous avons suspendu nos activités à l’Assemblée nationale et qu’ils ne l’ont pas fait. Mais nous ne sommes pas fâchés.
Aujourd’hui, quelle est la différence entre vous et l’opposition dirigée par Soumaila Cissé ?
Soumaila Cissé dit qu’IBK n’est pas élu et qu’il ne le reconnait pas en tant que Président de la République. Nous disons qu’IBK a fait un coup d’État pour s’installer au pouvoir et qu’il n’est pas démocratiquement élu, mais qu’il est le Président de la République du Mali. Pour nous, IBK est un Président issu d’une élection anti-démocratique. Dans ces conditions, nous avons la possibilité de débattre avec tout le monde et de faire prévaloir nos idées.
Lors des prochaines législatives à Kolondiéba, vous aurez probablement face à vous l’ancien DG de ORTM, Sidiki Konaté, qui pourrait se présenter sous la bannière RPM. Est-ce un candidat sérieux ?
D’abord, Sidiki Nfa Konaté est un enfant du terroir. La deuxième chose est que le RPM est inexistant à Kolondiéba. Lors de la dernière élection présidentielle, la population de Kolondiéba a voté pour IBK et non pour le RPM, parce qu’IBK est venu régler un problème extrêmement important pour elle, la route, à la veille des élections communales de 2016. Pourtant nous avons gagné la mairie de Kolondiéba et le RPM n’a eu que deux conseillers.
Mali, Oumar Mariko, SADI,, franc CFA. Politique,
En 2012, vous avez rencontré à deux reprises des émissaires d’Iyad Ag Ghali. De quoi avez-vous discuté ?
On leur a demandé de dialoguer avec l’armée malienne, qui avait pris le pouvoir, et que les hommes politiques que nous étions suivraient ce dialogue. On avait demandé la libération des soldats détenus par le MNLA, ce qui a été fait grâce à cause de l’intervention de Ansar dine. Il y a eu trois démarches dans ce sens, celles du Haut conseil islamique, de Gina dogon et de SADI. Malheureusement, ceux qui ont le pouvoir n’ont pas su tirer bénéfice de ces démarches, qu’il fallait capitaliser.
Vous demandez toujours le dialogue avec Ag Ghali. Quelle est la ligne rouge à ne pas franchir, selon vous ?
À mon avis, nous sommes sortis du schéma de ligne rouge ou de choses à faire ou à ne pas faire. Pour moi, les envahisseurs aujourd’hui sont les armées étrangères et ceux qui les ont invités leur ressemblent. Pour moi, Iyad Ag Ghali est le moindre mal dans cette affaire, parce qu’il a trouvé un terreau et qu’il a semé. C’est tout. Le mal est venu de la Libye, de ceux qui ont créé un mouvement pour diviser le Mali et qui l’ont entretenu.
On parle de la reconstitution de l’armée avec des éléments Famas et ex rebelles. Quel est votre point de vue ?
L’armée ne peut pas être reconstituée. Il faut une nouvelle armée, car l’armée que nous avons n’a jamais été vraiment républicaine. Elle n’a jamais été une armée du peuple parce que les politiques l’ont faite sortir de ce cadre. On a transformé cette armée en une armée de représailles tous azimuts. Il faut une armée qui soit le creuset de notre unité nationale, qui assure notre intégrité territoriale, avec des hommes et des femmes qui respectent le citoyen malien.
Malgré la crise, le pays est classé troisième économie de la zone UEMOA. Quelle est votre analyse de la santé économique du pays ?
Le pays est dirigé par une bourgeoisie affairiste qui ne développe pas une économie. Elle vit de rentes et de rétro commissions et n’investit pas dans le secteur productif, l’agriculture, la pêche. Elle a mis le pays aux enchères. Quand vous vous rendez au marché, par exemple, sur dix produits que vous verrez, huit pourraient être faits au Mali, pourtant aucun n’est fabriqué localement. Parce que tout simplement ceux qui sont au pouvoir ont besoin d’argent tout de suite.
Le cas qui a été le plus médiatisé est celui de Toguna Agro-industrie. Le dirigeant de cette société, Seydou Nantoumé, a fait l’effort de construction d’usines d’engrais et emploient plus de mille personnes, pour prendre le marché national et faire en sorte que les matières premières de ses produits viennent de chez nous. Mais, au lieu que l’État le soutienne, ceux qui sont au pouvoir ont entrepris de le liquider au profit d’un spéculateur d’engrais, Abdoulaye Doucoure, basé à Ségou et qui a une toute petite usine, où il n’y a pas plus de 10 personnes. Pourquoi ? Parce qu’il est le principal bailleur de fonds de Soumeylou Boubeye Maiga. C’est ça le travail de la bourgeoisie affairiste au pouvoir.
Il y a un débat africain sur le francs CFA. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Ce débat est biaisé à deux niveaux, parce que les gens pensent qu’avec une attitude spontanéiste l’Afrique va remettre en cause cette monnaie. Ce n’est pas possible du tout. Les gens pensent que si les toutes les forces se mettent ensemble, on va faire revenir nos monnaies nationales. C’est en partie vrai, mais c’est fondamentalement faux. Parce que tant que cela n’est pas soutenu par une action de conquête du pouvoir et de prise du pouvoir cela va rester un vœu pieux. On n’ira absolument nulle part. Parce que la question fondamentale, c’est la question du pouvoir de l’État.
En Afrique, ce n’est pas la première fois que ce sujet revient ?
Je ne vais pas trahir un secret, mais Mohamed Touré m’a confié que son père, Sékou Touré, Président de la Guiné, et Félix Houphouët-Boigny, le Président ivoirien, dans leur entente avaient commencé à travailler sur le projet de la création de la monnaie africaine pour se déconnecter du franc CFA et du franc Français. Cette mission était confiée à Sékou Touré et le projet devait être présenté lors du sommet de l’OUA, qui était prévu en Guinée Conakry en 1984.
Félix Houphouët-Boigny cherchait un second souffle à son économie et avait rejoint le combat de Sékou Touré, mais, hélas, la mort a rattrapé ce dernier avant cette grande rencontre des dirigeants africains. C’est la raison pour laquelle Félix Houphouët-Boigny a été fondamentalement marqué par la mort de Sekou Touré.
Source: Nord-Sud Journal