La voix des communautés maliennes
Pour la toute première fois, la société civile malienne est associée à la recherche d’une paix durable au nord, comme c’est la première fois que l’ensemble de la communauté internationale se trouve impliquée dans la médiation dont le chef de file est l’Algérie. Cela ne doit rien au hasard. La crise est très complexe, l’Algérie est une véritable puissance militaire qui connaît bien le dossier malien et les parties en conflit lui font confiance. Au moment où s’engage le second round des négociations qui met face à face le gouvernement et les groupes armés, quelle leçon peut-on tirer de l’implication de la société civile dans le processus ? A titre de rappel, le premier round des pourparlers inclusifs inter-maliens s’est joué à Alger du 1er au 8 septembre 2014 avec l’audition par le groupe de la médiation des représentants de la société civile qui ont pu communiquer sur leur vision de la crise et les moyens d’en sortir. La société civile est divisée en trois groupes distincts de 18 membres chacun, soit 54 représentants au total. Le premier groupe est composéde deux représentants de chacune des trois institutions électives que sont l’Assemblée Nationale, le Haut Conseil des Collectivités Territoriales, le Conseil Economique, Social et Culturel. Font également partiede ce groupe deux représentants de la Coordination des Associations et ONG Féminines, du Conseil National de la Jeunesse et des communautés des quatre régions du nord : Mopti, Gao, Tombouctou et Kidal. Un groupe assez représentatif qui a été à la hauteur de sa mission à Alger. Le second groupe comprend les représentants de la coordination des groupes armés autour du MNLA pendant que le troisième groupe est formé des représentants de la plate-forme des groupes armés de résistance du nord.Quatre groupes thématiques ont été constitués pour entendre la société civile : le premier chargé des questions politiques et institutionnelles, le second des questions de défense et de sécurité, le troisième du développement économique, social et culturel, enfin le quatrième de la réconciliation, la justice et les questions humanitaires.Grâce au professionnalisme du groupe de la médiation qui n’a jamais perdu de vue les principaux repères, la société civile a pu exposer ses préoccupations, ses attentes et les solutions qu’elle préconise. Cela a permis de relever de nombreux points d’accord mais aussi des zones d’ombre.
Les points de convergence
D’une façon générale, la mauvaisegouvernance a été présentéepar la société civile comme la raison de nombreuses frustrations dans l’ensemble du pays avec des effets particulièrement désastreux et pervers dans la partie septentrionale. Corruption, détournement des deniers publics, impunité, laxisme, incivisme, tout y est passé. L’administration malienne est apparue comme un concentré des problèmes dont la gravité a augmentéd’année en année causant l’affaissement progressif de l’Etat au point de le rendre vulnérable à n’importe quelle attaque. Les forces de défense et de sécurité qui doivent constituer un rempart contre les menaces intérieures et extérieures ne sontpas en mesure de remplir cette mission. Le développement économique, social et culturel s’en trouve dangereusement compromis. La politique de décentralisation adoptée pour promouvoir la redistribution du pouvoir n’a produit que des effets néfastes parce que l’administration n’est ni efficace, ni au-dessus des intérêts partisans. Aucun pouvoir réel n’a été donné aux collectivités territoriales, consacrantde fait sur les élus locaux la suprématie des administrateurs civils et des autres fonctionnaires disposant d’une parcelle d’autorité. La volonté de conserver sans partage le pouvoir et d’avoir la mainmise sur les ressources financières importantes destinées aux collectivités territoriales expliquerait la situation.C’est pourquoi, la société civile s’est prononcée pour l’octroi de pouvoirs réels aux collectivités territorialesafin que les communautés locales se sentent responsables et maîtres de leur destin. Enfin, elle a insisté sur la situation des populations restées sur place au nord, celle des déplacés et des réfugiés pour reconnaître leurs souffrances et leur détresse mais elle a reconnu que le retour de la sécurité est la condition nécessaire à la prise en charge diligente des questions humanitaires.
Les zones d’ombre
De nombreuses zones d’ombre sont apparues lors des communications. La plus importante tient à la définition du contenu et des limitesmême de « l’AZAWAD », car les populations du nord n’ont pas une identité de vue sur la question.Autant le MNLA et ses soutiens internationaux s’y accrochent, autant de nombreuses communautés du nord sont surprises de se voir intégrées dans un ensemble créé sur leurs terres par la seule volonté de quelques uns. Ceux-ci peuvent-ils obliger la majorité des habitants à adhérer à un projet de cette nature ? Ce qui est constant aujourd’hui, c’est quele terme AZAWAD a été chargé de tellement de symboles qu’y renoncer risquerait de compromettre toute la stratégie conçue par le MNLA et ses soutiens. C’est pourquoi, ils continuent de s’y accrocher à la manière d’un ivrogne s’agrippant à un lampadaire, non pas pour s’éclairer mais pour ne pas tomber. Cette évidence s’est imposée à tous à Alger. Une autre zone d’ombre estla question du nouveau statut des régions du nord. L’accord de Ouagadougou reconnaît sans ambigüité l’intégrité territoriale du Mali et c’est cet accord qui sert de base aux négociations. Alors, comment parler d’indépendance ou même d’autonomie ? Voilà le sens de toute la gymnastique en cours qui se traduit par des velléités de blocage du processus. De nombreux intervenants proches du MNLA ne se sont pas privés de demander ouvertement la séparation d’avec le Mali, même si chaque fois le groupe de la médiation a pris le soin de rappeler les dispositions pertinentes en la matière. Si la société civile du nord proche du MNLA a pu convaincre sur de nombreuses questions de mal gouvernance ayant défavorisé le septentrion, elle n’a convaincu personne sur l’autonomie de l’AZAWAD. En effet, l’AZAWAD est apparue plus comme une aire géographique que comme une entité sociologique clairement établie dont les ressortissants se reconnaissent dans les revendications du MNLA. Enfin, des fonds importants auraient été débloqués pour le développement du nord alors que les rebelles justifient leur prise d’armes par le délaissement des régions du nord. Où se trouve la vérité ? Qui a géré ces fonds et à quoi ont-ils servi ? En tout état de cause, un bilan s’impose avant de s’engager sur tout nouveau programme en direction des régions du nord.
Les bienfaits de l’implication de la société civile
A Alger, la société civile a soulevé des questionspertinentes auxquelles il faudra trouver des réponses. Son intervention a permis de sortir du manichéisme ambiant qui offre deux tableaux de la crise du nord : d’un côté les bons, les victimes et de l’autre les méchants, les bourreaux.Les responsabilités sont largement partagées et chacundoit garder le sens de la mesure en assumant sa part de responsabilité. En effet, depuis la signature du Pacte National, les forces de défense et de sécurité ont été de moins en moins présentes dans les régions du nord à la demande de la rébellion elle-même. Avec la signature des accords d’Alger sous ATT, c’est quasiment tout le système sécuritaire de la zone qui a été placé sous la responsabilité des éléments ressortissants du nord. Alors, de quelle armée se plaint-on aujourd’hui ? Elle n’a pu résister en 2012 parce que justement ceux qui étaient sensés défendre la république sont majoritairement passés dans la rébellion avec armes et bagages, bénéficiant en outre de l’apport des narcotrafiquants et des djihadistes.Le retrait des forces régulières de défense et de sécurité a eupour effet de favoriserdans la bande sahélo-saharienne l’implantation de l’économie criminelle dont les principales manifestations sont les prises d’otages, les trafics de drogues et d’armes. Les cibles privilégiées des preneurs d’otages sont les Européens parce que certains payssont prêts à payer pour la libération de leurs ressortissants. Tout le monde a surtout en mémoire la triste parenthèse pas toujours fermée de l’affaire surnommée ironiquement « Air cocaïne ». Un avion a atterri quelque part dans le Sahara malien,dont on n’a jamais eu de nouvelles ni de l’équipage ni de la cargaison hautement toxique mais rentable parce que l’économie criminelle nourrit des fonctionnaires et des politiciens maliens aussi bien au nord qu’au sud. Certains ont délibérément choisi de regarder ailleurs pendant qu’on trafique paisiblement sur le sol malien et pendant que d’autres ne rechignent pas à jouer les porteurs de valises pour payer les rançons. En définitive, ce qui a vaincu l’armée malienne, c’est moins le MNLA que ses alliés et la corruption de l’administration. Mais Dieu existe et Il est Bon. Les explosifs qui font des victimes presque tous les jours entre Kidal et Tessalit ou Aguel- hoc portent un message clairement signé, la preuve que les groupes armés radicaux du nord ne contrôlent pas la situation. Ce sont les djihadistes et les narcotrafiquants qui, excédés par les forces de la MINUSMA s’attaquent à celles-ci. Ils continuent de faire la loi dans cette partie du pays. La seule façon de débarrasser la bande sahélo-saharienne de cette menace est de contrer fermement toutes les velléités sécessionnistes et d’aider les autorités légitimes et légales du Mali à recouvrer l’intégrité du territoire.
Par la grâce de Dieu, la réconciliation finira par se faire parce que telle est la volonté de l’immense majorité des Maliens et des populations du nord mais auparavant, il faudra rendre justice et régler les questions humanitaires. C’est un défi pour la classe politique dans son ensemble mais c’est surtout une exigence pour la société civile qui doit y veiller afin de ne plus perdre la main.Ceux qui, en créant l’enclave de Kidal, pensaient pouvoir mettre IBK en difficulté pour l’obliger à négocier au bord du gouffre devront attendre. Les nouvelles qui parviennent de la Chine montrent que le « Vieux » a non seulement l’œil mais qu’il a surtout du ressort. Pour l’honneur du Mali !
Mahamadou Camara
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