Sollicité pour les rejoindre, l‘imam intérimaire du village a rejeté la proposition d’un groupe terroriste. La Cour a reconnu son courage
C’est un autre dossier «d’appartenance à un groupe de combat en relation avec une entreprise terroriste, détention illégale d’arme de guerre» qui se trouvait sur la table des jurés en fin de semaine dernière.
M.D qui était appelé à la barre pour apporter la preuve contraire de son inculpation par rapport à cet acte criminel passible de la peine du même type en Cour d’assises comme l’ont prévu les dispositions des articles 06 et 13 de la loi n°08-025 du 23 juillet 2008 portant répression du terrorisme et les articles 3, 43 de la loi n°04-050 du 12 novembre 2004 régissant le contrôle des armes et munitions au Mali.
Quinquagénaire polygame, ce maître coranique s’est retrouvé empêtré dans cette sordide affaire qui remonte à 2020 à Koutiala.
Depuis l’éclatement de la crise sécuritaire dans la partie septentrionale de notre pays, il y a près d’une décennie, les Forces armées maliennes et leurs alliées mènent des patrouilles inopinées 24h/24 sur presque toute l’étendue du territoire national.
Dans certaines localités du pays, pour sécuriser les populations et leurs biens, les gendarmes menaient des patrouilles régulières pour rassurer les forains en partance ou en provenance des coins relativement éloignés. La présente affaire s’est déroulée dans le village de Tèrè (Cercle de Koutiala), où se tenait la foire hebdomadaire. Ces lieux de rassemblement de commerçants sont généralement des endroits de prédilection pour les groupes terroristes, où ils n’hésitent pas à s’adonner à diverses exactions sur les pauvres forains.
Toutefois, les forces de sécurité veillaient au grin. Lorsqu’ils ont été informés de la présence de personnes mal intentionnées, les gendarmes de Koutiala ont effectué une descente surprise dans le marché du village, où se tenait la foire hebdomadaire.
Les pandores, en effet, détenaient d’informations, selon lesquelles des individus en lien avec des groupes terroristes étaient présents au marché. C’est ce qui a motivé l’interpellation de M.D. Au moment où les gendarmes mettaient la main sur cet homme, il était en possession d’une arme blanche. En outre d’après les renseignements, plusieurs indices faisaient comprendre qu’il était en relation avec une, ou des organisations suspectes.
Il a été par la suite remis à la brigade mixte de gendarmerie de Sikasso pour des besoins d’enquêtes. Celles-ci ont permis aux gendarmes de voir plus clair. Durant son audition, le suspect a nié toute appartenance à une quelconque organisation terroriste. Dans le même ordre d’idée, pour clarifier la lanterne des pandores, il a reconnu avoir été approché en 2014 par deux individus : A.O et B.O, tous deux membres d’un groupe terroriste.
Le suspect a expliqué que ces derniers l’avaient contacté pour le convaincre, sans succès, d’adhérer à leur mouvement. Ensuite, le suspect a reconnu avoir reçu la visite de trois autres individus venus pour les mêmes raisons au domicile de l’imam du village. Visiblement, M.D minimisait ses différents contacts. Il a fait part de son étonnement, lorsque les gendarmes l’ont interpellé pour les faits ci-dessus cités.
Ainsi, lorsque son dossier est tombé entre les mains des juges de la Cour d’assises, l’inculpé a nié toute appartenance à un groupe de terroristes tel que le dossier d’accusation le fait ressortir. Dans cette logique, il est resté fidèle à cette attitude tant à l’enquête préliminaire que devant le magistrat instructeur.
Cependant, l’acte d’accusation fait ressortir qu’il ne fait aucun doute que, lors de son audition, M.D a reconnu avoir reçu la visite de A.O et B.O tout en confirmant que ces individus appartenaient à des groupes qui semaient la terreur au sein des populations.
Même s’il s’est défendu de n’avoir pas adhéré à leur mouvement, le tort de l’accusé a été de s’être abstenu de les dénoncer aux autorités compétentes.
Aux yeux de la loi, comme cela ressort du dossier d’accusation, en s’abstenant de les dénoncer, l’appartenance de l’inculpé audit groupe terroriste ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, ne fait l’ombre d’aucun doute.
C’est un inculpé sûr de lui-même qui s’est présenté à la barre. Face aux jurés, il a nié en bloc les faits d’appartenance à un groupe terroriste. Il a expliqué qu’il avait été interpellé par les gendarmes qui l’avaient confondu à l’imam du village, alors qu’il était l’intérimaire après la mort de l’imam principal. L’inculpé s’est défendu bec et ongle d’avoir fourni toutes les preuves de sa non appartenance à un quelconque groupe terroriste au moment de son interpellation. Mais rien à faire.
Malgré tout, les gendarmes l’ont interpellé. Durant son audience, il est resté fidèle à sa ligne de défense et est demeuré constant dans ses déclarations. Il a rappelé à maintes reprises, qu’il a reçu la visite des individus cités plus haut qui lui ont fait des propositions dont celle portant sur son adhésion à leur groupe. Avec force dans la voix, l’accusé dit avoir rejeté leur offre d’adhésion à leur mouvement, en dépit des menaces de mort qu’ils lui ont proférées.
Lorsqu’il s’est expliqué sur l’arme blanche trouvée en sa possession lors de son interpellation, M.D a minimisé ce fait en expliquant qu’au moment précis de son interpellation, il détenait un canif sur lui. Pour attendrir les cœurs des juges et surtout dans le but de mieux se défendre, l’inculpé a rejeté toute idée de terroriste tout en faisant comprendre à la Cour qu’il était toujours opposé à tout acte de terrorisme. Il est allé loin en dénonçant le défunt imam qui, de son vivant, aurait logé des terroristes et non lui qui assurait son intérim après son décès.
Dans son rôle de défenseur des citoyens, le ministère public a rappelé les faits tels qu’ils se seraient produits. Partant de là, le parquet général a trouvé ce dossier simple. Selon lui, il ne ressort nulle part dans le dossier que l’accusé appartenait à un groupe de combat.
C’est pourquoi, le ministère public a qualifié l’inculpé de «héros» pour avoir catégoriquement refusé d’adhérer à des groupes terroristes en 2014. Chose qui, selon le magistrat, n’était pas facile à l’époque. Pour soutenir ses propos, le ministère public a fait savoir à la Cour qu’aucune perquisition n’a été effectuée chez l’accusé, alors que le domicile de celui-ci était connu par les enquêteurs.
Vu tout ce qui précède, il a demandé à la Cour de l’acquitter parce qu’il n’y a pas la moindre preuve de sa culpabilité.
Visiblement satisfait des propos du parquet général, le conseil de l’accusé ne pouvait que saluer son courage. Pour l’avocat, l’arrêt de renvoi n’est pas formel, surtout avec l’emploi abusif du conditionnel. La défense a soutenu mordicus que son client a été interpellé en possession d’une arme blanche et non d’une arme de guerre.
«La détention d’une arme blanche est le quotidien de tous les villageois», a détaillé l’avocat. Celui-ci va loin en estimant que l’inculpé a perdu sa dignité et a, de ce fait, demandé réparation à la Cour. En réponse aux questions qui ont résulté des débats, l’accusé a été reconnu non coupable des faits. M.D est sorti libre de la salle à la satisfaction de son avocat et des membres de sa famille qui avaient assisté à l’audience.
Yaya DIAKITÉ
Source : L’ESSOR