Le mardi 13 mai dernier, à la suite du crime abominable qui a profondément choqué la conscience nationale du viol suivi du meurtre d’une fillette de quatre ans dans le quartier de Missabougou, Mme la ministre de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille a saisi l’occasion d’une réaction pour faire savoir sans aucune équivoque ‘‘la République ne tolérera aucun acte barbare contre les enfants.
Elle ne tolérera aucune incitation au viol ni à la violence sous toutes ses formes, encore moins les paroles qui les excusent. Il en va de l’honneur de notre nation, et de la sécurité de nos enfants et de l’avenir du Pays’’. Ce jour, elle s’exprimait sa légitime indignation en condamnant la sortie du videoman Martinez qu’elle considère comme ‘‘une apologie manifeste du viol, une offense intolérable à la mémoire des victimes, une banalisation révoltante de la violence faites aux femmes et aux filles et une atteinte directe aux valeurs fondamentales de notre société’’. Pourquoi le mariage d’une fillette de 14 ans avec un chef de village de 80 ans n’a pas bénéficié du même traitement de la part de la même autorité ? Double standard selon que la victime soit urbaine ou rurale ?
Le récent rapport du premier trimestre du Cluster du GBVIMS (Système de gestion des informations sur la violence basée sur le genre dans notre pays) du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP-Mali) ne le dit pas. Sa mission est de créer un monde dans lequel chaque grossesse est désirée et chaque accouchement sans danger. Un monde dans lequel chaque jeune réalise pleinement son potentiel. Comment sont alors répertoriées et prises en charge les violences basées sur le genre ?
Rapport instructif du FNUAP
Selon le rapport du premier trimestre du cluster du FNUAP sur les violences basées sur le genre, en dépit du narratif reluisant, notre pays reste enlisé dans une crise humanitaire complexe, marquée par une intensification de la sécurité, une instabilité politique et des défis humanitaires importants à relever. L’intensification de leurs activités, en mars 2025, par les groupes armés a provoqué de violents affrontements et entraîné d’importants déplacements de population. Les principales victimes en sont les femmes et les filles qui continuent de subir le poids de ces violences, leurs droits et leur sécurité étant de plus en plus menacés.
Pour répondre aux besoins urgents, l’UNFPA a prépositionné des kits de santé d’urgence interinstitutions (IARH) dans les districts sanitaires afin de fournir du soutien médical aux victimes de violences basées sur le genre (VBG). Trois équipes mobiles ont également été déployées pour offrir des services intégrés de santé sexuelle et reproductive (SSR) et de lutte contre les VBG, tout en distribuant des kits de dignité et des kits menstruels aux femmes et aux filles.
Cependant, la fin soudaine du financement américain a entraîné l’arrêt de programmes humanitaires essentiels, laissant des milliers de personnes sans assistance vitale, aggravant encore la vulnérabilité des populations déjà touchées par les conflits en cours, explique le rapport. L’impact a été particulièrement grave sur les services de lutte contre les violences faites aux femmes, plus de 191 000 personnes ayant perdu l’accès à une protection essentielle et aux services de santé sexuelle et reproductive, notamment les soins maternels et la planification familiale, mettant ainsi plus de 200 000 personnes en danger, révèle le FNUAP dans son rapport.
L’ampleur de la tragédie
Le contexte de crise sécuritaire et humanitaire de notre pays continue d’impacter la protection des civils, en particulier celle des femmes et des filles. Au cours du premier trimestre 2025 la situation sécuritaire et humanitaire s’est traduite par des blocus prolongés, une recrudescence des affrontements armés, et l’effondrement partiel des services humanitaires (dû à la suspension de certains financements ?) accentuant les vulnérabilités déjà critiques des populations civiles. Selon la note d’analyse de protection du mois de mars 2025, produite par le Cluster Protection le nombre de violations de droits humains rapportées a augmenté de 146,12 % entre février (1574 violations) et mars (5 674 violations). Par ailleurs, on note une diminution de 24,25% des violations de droits humains rapportées par le monitoring de protection entre le 1er trimestre 2024 (6696 violations) et le 1ᵉʳ trimestre 2025 (6591 violations). L’impact de cette réduction des violations de droits humains rapportées est perceptible à la perception des communautés sur leur environnement. En effet, au 1er trimestre 2024, 50% des ménages enquêtés indiquaient vivre avec un sentiment d’insécurité dans leur communauté, contre 45% à la même période en 2025. Toutefois, les principales raisons de ce sentiment d’insécurité restent les mêmes pour les deux périodes, notamment la présence d’acteurs armés, la faible présence de l’Etat, la proximité des zones de combats et attaques-menaces contre les populations.
Parallèlement aux violations de droits humains rapportées par le monitoring, le GBV1MS a enregistré également une chute drastique du nombre d’incidents de VBG rapportés. En effet, entre janvier et mars 2025, seuls 1.171 incidents de VBG ont été enregistrés, contre 2 315 incidents pour la même période en 2024, soit une baisse de 50 %. Cette diminution ne traduit en aucun cas une amélioration de la situation, mais reflète plutôt une perturbation significative du mécanisme de collecte d’information due, entre autres, à :
• la réduction drastique des programmes VBG dans plusieurs localités du nord et du centre du Mali ;
• la perte de personnel qualifié conséquence directe des restrictions budgétaires ;
• le sous-signalement persistant aggravé par la stigmatisation et la peur de représailles ;
• et surtout l’impact de l’arrêt des financements de USAID/ qui a lourdement affecté les capacités opérationnelles des partenaires.
D’après une analyse menée par la coordination VBG, 46 % des services spécialisés de prise en charge des survivantes sont actuellement à l’arrêt au niveau national. Les régions les plus affectées sont :
• Gao : 76 % des services suspendus
• Menaka : 77 %
• Mopti : 56 %
• Tombouctou : 60 %
Ces régions, qui sont parmi les plus touchées par les violences basées sur le genre, voient leur résilience encore plus affaiblie.
La combinaison d’une intensification des violences, d’une réduction drastique des services, et d’un effondrement du système de documentation crée un environnement particulièrement préoccupant pour la protection des femmes et des filles. Cette situation appelle :
• Un plaidoyer urgent en faveur du rétablissement des financements humanitaires pour les interventions V8G ;
• Un renforcement des mécanismes alternatifs de documentation, y compris via les acteurs communautaires ;
• Et une réévaluation stratégique des priorités d’intervention dans les zones les plus touchées.
Selon les données rapportées du GBVIMS, la majorité des incidents ont été perpétrés dans un contexte de violence domestique (53% de partenaire intime), respectivement 2% et 3% d’exploitation sexuelle et de mariage d’enfant. 1% des incidents sont de l’esclavage sexuel, tandis que 5% impliqueraient des pratiques traditionnelles préjudiciables.
Les handicapés, oubliés du système
La crise sécuritaire persistante au Mali exacerbe les vulnérabilités structurelles des groupes déjà marginalisés, en particulier les personnes en situation de handicap et les enfants séparés ou non accompagnés. Ces deux groupes font face à des obstacles multiples et croisés limitant leur accès aux services humanitaires, aux mécanismes de protection et à la justice. Au cours de ce trimestre, 60 incidents de VBG sont imputés à ces deux groupes vulnérables, dont 46 incidents pour les enfants non accompagnés et 14 incidents pour les personnes vivant avec le handicap. Chacun sait que les personnes vivant avec un handicap dans notre pays sont confrontées à des défis multidimensionnels dans un contexte de conflit prolongé, notamment l’absence d’infrastructures adaptées (centres de santé, points d’eau, écoles, abris) empêche l’accès aux services essentiels. Les messages humanitaires ou de sensibilisation sont rarement disponibles en formats accessibles (langue des signes, braille, visuel simplifié).
Les préjugés profondément ancrés marginalisent davantage les personnes handicapées, perçues comme une charge ou exclues des mécanismes communautaires de protection. Très peu de structures humanitaires disposent de personnel formé à l’inclusion du handicap ou de services de réadaptation adaptés dans les zones de crise. En période de déplacement ou de crise, les personnes handicapées sont souvent les dernières à fuir et les premières oubliées très souvent dans les interventions humanitaires.
La détérioration sécuritaire dans les régions du nord et du centre de notre pays a entraîné une augmentation des cas d’enfants séparés ou non accompagnés, souvent à la suite d’attaques armées, de déplacements massifs ou de la perte des parents. 332 enfants non accompagnés et 39 enfants associés aux forces et groupes armés terroristes ont été enregistrés courant ce premier trimestre 2025. L’on notera aussi que les cas d’enfants séparés ou non accompagnés et les «Enfants associés aux forces et groupes armés (EAFGA)» sont souvent sous-déclarés par peur de stigmatisation ou en raison du manque de dispositifs adaptés les exposants particulièrement à l’exploitation sexuelle, au travail forcé ou à l’enrôlement par des groupes armés.
Les auteurs de ces atrocités
L’analyse des tendances du premier trimestre 2025 identifie les partenaires intimes (53 %) et les membres de la communauté proche (amis, voisins, membres de la famille élargie 14 %) comme les principaux présumés auteurs des violences basées sur le genre (VBG). Ces chiffres s’expliquent aisément dans notre contexte socioculturel, marqué par un patriarcat profondément enraciné presque féodal et des structures familiales traditionnelles fortement hiérarchisées. Comme dans plusieurs pays de l’espace Sahel, les VBG surviennent majoritairement dans la sphère domestique et communautaire, souvent dans des environnements supposés être protecteurs pour les femmes, les filles et les enfants. Les partenaires intimes (époux, concubins, fiancés) ainsi que les membres de la famille (pères, frères, oncles, beaux-parents), y compris les tuteurs légaux, figurent régulièrement parmi les auteurs présumés de ces violences. Cette configuration met en évidence la difficulté pour les victimes de briser le silence, dans un cadre où l’abus se produit au sein même des relations de confiance ou d’autorité, et où les mécanismes traditionnels de médiation tendent souvent à protéger l’agresseur au détriment de la survivante.
La faillite dans la protection, c’est que dans notre pays, ce sont ces mécanismes traditionnels de médiation qui sont les plus utilisés par les survivantes de VBG. En effet, seulement 1% des ménages, interrogés par le monitoring de protection de janvier à avril 2025, soulignent que les femmes de leur communauté vont chercher de l’aide dans les services juridiques en cas de violence sexuelle et 3% au niveau des services de sécurité.
La méconnaissance des droits, voire de l’absence d’alternatives sécurisées pour la prise en charge des survivantes, sont autant de barrières auxquelles les victimes font face. Dans les zones rurales ou fortement affectées par l’insécurité, ces obstacles sont encore plus marqués, notamment en raison de l’inaccessibilité des services spécialisés, du manque de personnel qualifié, et de l’absence de mécanismes de protection adaptés aux dynamiques intrafamiliales. Parmi les profils de présumés auteurs rapportés, divers membres de la communauté sont identifiés. Les cultivateurs et fermiers représentent 16%, suivis des commerçants ou propriétaires d’entreprises à 14 %.
Par ailleurs, les incidents de VBG impliquant des acteurs armés représentent environ 4 % des cas enregistrés, dont 4 % attribués aux acteurs armés.
Cependant, une lecture plus fine révèle que, parmi les 252 incidents de violences sexuelles rapportés au cours du trimestre, 10 % auraient été perpétrés par des individus armés, soulignant la gravité de la militarisation des violences sexuelles dans le contexte de notre pays.
Les causes des atrocités
Les données issues du système GBVIMS ainsi que les études nationales confirment que la majorité des cas de violences basées sur le genre (VBG), notamment les violences physiques, sexuelles, psychologiques et économiques – sont perpétrés par les conjoints ou ex-conjoints. Cette tendance s’explique par plusieurs facteurs structurels et socioculturels, notamment :
• La naturalisation de la domination masculine au sein du couple, qui confère un pouvoir disproportionné à l’homme ;
• Le contrôle social et économique exercé sur les femmes, limitant leur autonomie ;
La perception largement répandue selon laquelle les violences conjugales relèvent de la sphère privée, à gérer au sein de la famille ou de la communauté, sans recours judiciaire formel. Dans un contexte où les structures familiales traditionnelles jouent un rôle central dans l’éducation, la garde et le contrôle social, les tuteurs légaux et membres de la famille élargie sont également fréquemment à l’origine de violences. Ces violences incluent :
• Les mariages précoces ou forcés, imposés pour des raisons économiques, sociales ou liées à «l’honneur» familial ;
• Les agressions sexuelles ou attouchements, notamment sur les filles vivant sous la tutelle d’un proche ;
• Le travail forcé ou la privation de ressources, souvent justifiés par des motifs de discipline ou de compensation économique ;
Les violences psychologiques ou humiliations, renforcées par la dépendance affective, sociale ou matérielle des survivantes. Le lien de proximité avec l’auteur présumé rend la dénonciation particulièrement difficile, en raison :
• De la crainte de représailles ou d’exclusion sociale,
• Des pressions familiales et communautaires pour maintenir le silence,
. De la dépendance économique et affective vis-à-vis de l’agresseur.
Les solutions éconisées
La combinaison d’une intensification des violences, d’une réduction drastique des services et d’un effondrement du système de documentation a créé un environnement particulièrement préoccupant pour la protection des femmes et des filles. Cette situation appelle de la part des décideurs institutionnels :
Un plaidoyer urgent en faveur du rétablissement des financements humanitaires pour les interventions VBG ;
Un renforcement des mécanismes alternatifs de documentation, y compris via les acteurs communautaires ;
Et une réévaluation stratégique des priorités d’intervention dans les zones les plus touchées.
PAR SIKOU BAH