L’intervention militaire au Mali a été l’occasion d’une opération de communication de grande ampleur, avec en perspective des retombées économiques non négligeables … pour la France. Comme le dit le site du premier ministre du Mali : « Ensemble, les deux pays ont gagné la guerre ; ensemble ils gagneront la paix ». Le mot « gagner » prend tout son sens.nt de la démocratie et de la lutte contre la barbarie djihadiste, l’opération Serval a été l’occasion d’une autopromotion systématique : « une guerre éclair » , « rarement une opération militaire fut aussi bien préparée », « un savoir-faire exceptionnel », « la plus importante action militaire menée par la France depuis un demi-siècle ».
Les combats débutent le 10 janvier 2013, et moins d’un mois plus tard Hollande triomphe à Bamako : « la journée la plus importante de ma vie politique ». Depuis, à propos du Mali, la communication des autorités françaises est devenue euphorique, sans que les médias cherchent un peu à calmer les esprits.
- JeanYves Le Drian : « Je suis très fier que les forces maliennes soient en tête du défilé du 14 juillet [1] ».
- Pascal Canfin : « Pendant des années la France soutenait des dictatures en Afrique, aujourd’hui nous soutenons des démocraties »
- Laurent Fabius : « l’élection, probablement, n’a pas été parfaite mais c’est la meilleure qui ait eu lieu depuis l’indépendance » … « Le Mali a sans doute plus avancé en sept mois qu’en plusieurs années [2] ».
Un déferlement de communication « positive », où doute et réflexion n’ont aucune place : une propagande qui marque profondément les esprits et masque efficacement les mensonges sur l’absence d’intérêt économique.
Entraîner l’adhésion et banaliser la tutelle
Un encadrement systématique des journalistes qui ne montrent du conflit que ce que les autorités françaises veulent bien montrer débouche sur un spectacle étrange. Des cartes, beaucoup de photos, mais pas de sang, pas de blessés, pas de cadavres, sauf ceux des français. Sur le site armée de Terre, les officiers communicants se laissent aller : « Du débarquement du bâtiment de projection et de commandement (BPC) Dixmude à la réfection de la piste de Tombouctou, en passant par l’aérolargage de sapeurs et de véhicules d’aménagement du terrain, revivez les temps forts de ces derniers jours ». Et la presse se vautre dans cette complaisance guerrière : « vivez minute par minute les derniers événements de la guerre du Mali ».
Aussi, quand le Premier Ministre français déclare « l’opération Serval est une réussite politique », il veut sans doute parler de l’adhésion, de la cohésion nationale et de l’unanimité, que cette communication a réussi à obtenir. Grâce à cette opération, les citoyens français avalent tout. Ils trouvent plus que normal d’intervenir militairement, évident d’exercer une tutelle politique, militaire, culturelle, et tout naturel de conquérir les parts de marché.
La banalisation de la tutelle va permettre, sans scrupule, de présenter la facture à l’un des pays les plus pauvres du monde.
Derrière la façade de générosité tapageuse
On sait à quel point la « diplomatie économique » est chère au gouvernement. Pour s’implanter au Mali, remporter des marchés, c’est le moment où jamais… surtout si les capitaux sont apportés par d’autres. Lors de la conférence des donateurs du 15 mai 2013, 3,2 milliards d’euros ont été annoncés. Même si habituellement, les versements réels sont loin des promesses, une partie de ce beau pactole peut servir à faire tourner les entreprises françaises et dynamiser l’emploi, d’autant que la France ne contribue à ces promesses qu’à hauteur de 15% [3].
Hollande avait beau affirmer que la France « ne défend aucun calcul économique ou politique », des entreprises françaises sont déjà bien implantées au Mali. Les Maliens téléphonent français Orange tient 60% du marché boivent français Bramali qui a le quasi monopole des boissons gazeuses, y compris le coca , est une filiale du français Castel, et ils payent français : les billets de francs CFA sont fabriqués en Auvergne, à Chamalières.
Les entreprises françaises n’auront pas attendu le deuxième tour des présidentielles pour emporter de nouveaux marchés. Grâce à la société Morpho, qui a fabriqué les cartes d’électeur, les maliens ont voté français et Albatros technologies a remporté un marché de 3,5 milliards de francs CFA pour améliorer le centre de données de l’état civil [4]… La liste des négociations en cours est longue : EADS, pour des avions et des hélicoptères, Securicom et EHC LLC pour la sécurité ; Egis, filiale Caisse des Dépôts à 75 %, a emporté la concession pour 30 ans [5] de l’aéroport Bamako-Senou, avec menaces de licenciements à la clé. Et si les sociétés qui achètent les droits d’exploration minière ne sont pas françaises, l’opérateur technique, FORACO, une société basée à Marseille fait des forages depuis 2 ans à Faléa.
Quoi de plus naturel que ce soit les industriels français qui accourent ?
En juillet 2013, une délégation du Medef a été accueillie à bras ouverts par le Premier Ministre par intérim. Cette délégation était dirigée par Michel Roussin, vieux crocodile du marigot de la Françafrique [6]. « Le chef du gouvernement a souhaité la bienvenue à la trentaine d’industriels français qui ont fait le déplacement de Bamako ».
Et le site du Premier ministre malien ne cache pas qu’il s’agit bien de renvoyer l’ascenseur : « Quoi de plus naturel qu’après l’intervention héroïque des soldats français, ce soit les industriels du même pays qui accourent au chevet d’un pays encore marqué par les stigmates de la violence dévastatrice ? ». Autrement dit dans la concurrence entre opérateurs du monde entier,les Français doivent avoir l’avantage.
Ainsi la partie se joue à trois : les bailleurs donnent et prêtent, les Français récupèrent le maximum de marchés, et les Maliens remboursent. La rapacité s’expose derrière le rideau de fumée de la générosité. Aux yeux d’un certain nombre de Maliens, la façade brillante de la communication française faite de générosité et de démocratie a déjà commencé à se fissurer. On souhaiterait aussi que les citoyens français suivent cet exemple.