Qui est le négociateur en chef d’Al Qaida au Maghreb islamique, Seidane Ag Hita, qui a mené à bien, du côté des ravisseurs, la libération de 209 prisonniers en échange du chef de file de l’opposition malienne et de trois otages occidentaux ?
Il figure à l’extrême-gauche de la photographie ci-dessus, en chèche beige, petit boubou blanc et lunettes de soleil. A côté de ses alter ego maliens, le député Ahmada Ag Bibi, imposé par le général Moussa Diawara, alors directeur général de la Sécurité d’Etat, pour arracher aux griffes des groupes djihadistes Soumaïla Cissé, enlevé en pleine campagne électorale dans son fief de Niafunke et en treillis, le colonel Ibrahima Sanogo, directeur du renseignement antiterroriste.
Sur cette joyeuse photo de famille prise le jour de la libération des otages, sont accroupis au premier plan Pier Luigi Maccalli et Nicola Chiacchio, et debout, au deuxième rang, Soumaïla Cissé, penché, en boubou blanc et chèche indigo et Sophie Pétronin, drapée dans un voile bordeaux.
Si le succès de la négociation est à mettre à l’actif des émissaires du Mali, il doit l’être aussi pour l’émissaire des djihadistes, Seidane Ag Hita.
Le parcours de ce Touareg de Kidal âgé de 39 ans est instructif sur les dynamiques internes à Al Qaida au Maghreb islamique tout autant qu’il raconte l’ascension saisissante d’un sergent de la Garde nationale malienne devenu l’un des chefs de guerre clé du septentrion.
En France, Seidane Ag Hita est soupçonné d’être au cœur de l’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, l’équipe de RFI assassinée à 12 kilomètres de Kidal il y a sept ans.
Au coeur de l’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon
Le 2 novembre, à l’occasion d’une conférence de presse organisée pour l’anniversaire de leur mort par les Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les discussions ont beaucoup tourné autour de lui.
L’association n’a pas caché sa stupeur devant la révélation d’une sorte de « reconnaissance » officielle du personnage, notamment par la France, pour obtenir la libération de Sophie Pétronin. Me Marie Dosé, avocate de la partie civile, a déclaré que les familles étaient « atterrées par la révélation de cette information ».
« L’hypothèse qu’il ait joué un rôle de co-organisateur est prise très au sérieux dans le dossier d’instruction », a-t-elle dit. « Il aurait notamment recruté les 4 membres du commando responsable de l’enlèvement. »
Si l’assassinat des deux journalistes avait été revendiqué après coup par le chef de katiba Abdelkrim Targui, ce sont des proches d’Ag Hita qui y auraient participé. Notamment Baye Ag Bakabo, le propriétaire du pick-up utilisé pour l’enlèvement et dont la panne de moteur à la sortie de Kidal aurait conduit les ravisseurs à éliminer leurs otages. Suspect numéro 1, il a refait parler de lui en octobre 2019 avec l’assassinat à Kidal de trois combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad, selon le journaliste Serge Daniel.
Des vols de 4×4 au préjudice de l’armée malienne
En février 2011, Ag Hita et Ag Bakabo avaient été placés en garde à vue dans une procédure malienne pour des vols de 4×4 commis dans les années antérieures au préjudice de l’armée, pour le compte des groupes djihadistes. Ag Hita avait reconnu sa participation à ces vols.
Une source nigérienne connaissant bien ces milieux a expliqué à Mondafrique qu’en 2013, tous ces hommes travaillaient alors côte à côte sous la responsabilité d’Abdelkrim Targui, qui avait un rang élevé dans l’organigramme d’AQMI dans la région de Kidal.
Lors de la conférence de presse du 2 novembre, David Baché, journaliste à RFI, a brossé le portrait de l’ancien sergent, qui a fait défection en 2006 pour rejoindre la rébellion sous les ordres d’Yiad Ag Ghaly. Au début des années 2010, comme d’autres combattants de la région ayant un parcours similaire, il aurait rejoint AQMI, combattant dès lors sous les ordres d’Abdelkrim Targui, avant de créer sa propre katiba à la fin de l’année 2012.
Au printemps 2020, après l’enlèvement de Soumaïla Cissé, qualifié de « gros poisson » par ses ravisseurs, c’est Seidane Ag Hita qui est désigné pour assurer la négociation de sa libération avec l’Etat malien. Se grefferont ensuite progressivement Sophie Pétronin, Pier Luigi Maccalli et Nicola Chiacchio, impliquant respectivement dans les discussions la France, l’Italie et le Vatican. Seidane reste le négociateur désigné par le collège des ravisseurs respectif de ces otages.
Selon un chercheur spécialiste d’AQMI, on aurait tort de réduire Seidane Ag Hita à un rôle de « chef de cabinet » d’Yiad Ag Ghali. « Certes, il l’a longtemps accompagné mais il a aussi ses propres ambitions.» Réclamant le droit de créer sa katiba, il se serait parfois opposé à Yiad Ag Galy, allant jusqu’à se rapprocher d’autres chefs et groupes d’AQMI, notamment Al-Morabitoune de Mokhtar Belmokhtar.
Actuellement, selon une autre source, il est bel et bien « le chef opérationnel de la région de Kidal, qu’il a militairement reprise en main », tout en entretenant des relations de confiance avec les autres chefs du septentrion malien.
Il est l’homme du centre, géographiquement, puisque sa zone d’influence le met en contact, au nord et au sud, avec les autres groupes, y compris Abou Walid Sahraoui, qui fait toujours officiellement partie de l’Etat islamique au Grand Sahara et qui était le ravisseur de Pier Luigi Maccalli au Niger.
Seidane Ag Hita est l’un des visages de cette nouvelle génération des chefs d’AQMI : des quadragénaires maliens qui s’imposent par leurs capacités militaires d’abord, puis s’entendent collégialement sur les grandes décisions tactiques et politiques à prendre. Le grand troc du 8 octobre est, à cet égard, un coup de maître.
Source: MondAfrique