Ce n’est pas la première fois que le capitaine «bombardé général» rechigne au profil bas et défie l’indulgence des Maliens par des apparitions publiques insultantes et inconsidérées. Il s’y était déjà essayé – après une première libération pour détention préventive prolongée due à une carence procédurale – avec un précédent bain de foule sévèrement réprimée par l’opinion.
Mais le Général par accident n’en a visiblement tiré aucun enseignement. En atteste sa récidive, la semaine dernière, à Ségou où le miraculeux détenu, naguère inculpé pour présomptions d’assassinats de frères d’arme, a remis le couvert au lendemain de l’abandon des poursuites à son encontre par la justice malienne. Amadou H. Sanogo aura ainsi bu le calice de sa libération jusqu’à la lie en profitant de l’arrangement avec les ayant-droits de victimes du contrecoup d’Etat pour occuper l’arène publique jusqu’à s’ériger en donneurs de leçons sur l’armée malienne. Celui qui avait tenté d’enrayer le concept de « commando parachutiste » du vocabulaire militaire et du système de la défense malienne, interdisant jusqu’au port du « béret rouge » et s’en prenant jusqu’aux enseignes de leurs différents régiments, est allé au bercail pour plaider l’union sacrée de l’armée malienne. Vêtu de tenue civile des grandes cérémonies pour la circonstance, il n’avait rien à envier à un leader politique en offensive de charme, dans la ville qu’il partage avec une de ses victimes, en l’occurrence Cheick Modibo Diarra, le Premier ministre de plein pouvoir qu’il avait fait démissionner à coups de crosses de fusils.
Quoique le discours du pseudo-général «4 étoiles » fut prononcé devant une foule de sympathisants, son contenu semblait manifestement destiné à la consommation des FAMAs, aux yeux desquelles il a tout intérêt à faire accepter un grade acquis en foulant aux pieds les principes de l’armée républicaine qu’il prône et à coups de chantages aux autorités de la Transition de l’époque.
Face à son armée d’adulateurs de Ségou, le putschiste, qui a su semer les graines de l’armée la plus indisciplinée de la planète, ne rougissait guère des présomptions de crimes qu’il a portées huit années durant tel un boulet. Il ne s’en est débarrassé que grâce à l’application mitigée d’une loi d’entente nationale, mais n’a chiche pour autant de se présenter en victime et ses présumés victimes en bourreaux dignes de sa grâce et de son pardon. « Je pardonne à tout le monde », a déclamé Amadou Haya Sanogo en admettant implicitement que la complexité de son dossier n’est pas étrangère à sa mise en liberté. Par-delà les non-dits, au nombre des enjeux figure notamment la nécessité de préserver l’armée d’une préjudiciable division sur laquelle le brillant orateur a épilogué comme suit : « Celui qui pense qu’il a intérêt à diviser l’armée a tout faux. Si tu as des ambitions politiques, tu ne seras jamais un homme politique sans une force armée et de sécurité. Si tu veux commercer, tu ne commerceras pas sans armée. Si tu veux cultiver, tu ne cultiveras point ; si tu cultives tu ne sèmeras point et si tu sèmes personne ne mangera sans force de défense et de sécurité. Si tu es éleveur tu n’élèveras pas tes animaux sans forces de défense et de sécurité et si tu élèves personne ne les bouffera sans armée ». Et de conclure en conseiller de reléguer les « égos et considérations personnelles » au second plan, au nom d’une armée forte, républicaine sans laquelle nul ne pourra trouver son compte et aucun citoyen ne pourra dormir en tranquillité.
Comme on le voit, celui dont l’arrestation a permis à l’armée malienne de taire la dichotomie « bérets rouges – bérets verts » en éprouve comme une nostalgie et s’évertue apparemment à réveiller les vieux démons sur lesquels sa notoriété s’était longtemps entretenue, dans un monde où il a émergé du néant et par concours de circonstances malencontreuses. Il tente de soutenir, en clair, que l’unité des FAMa risque de s’envoler avec les remises en cause de sa libération et que leur division n’a jamais été plausible qu’aujourd’hui. « Effacez la couleur, laissez les hommes faire leur mission pour qu’on ait une armée forte, Républicaine au service de la nation », a plaidé le putschiste antirépublicain, comme pour anticiper les conséquences et retentissements de sa libération sur la cohésion des rangs.
Seulement voilà : le propos d’Amadou Haya Sanogo comporte peut-être des vérités et des vertus, mais elles ne peuvent qu’être fortement nuancées par l’inconvénient de provenir de sa personne et de ce qu’elle incarne. En clair, l’armée forte pour laquelle il plaide ne saurait se construire avec des coups d’Etat en pleine période de guerre contre un régime en fin de mission, une démobilisation des troupes et leur encouragement à l’abandon des concitoyens de pans entiers du territoire à la merci d’envahisseurs, puis la prime à toute cette forfaiture : une accession au grade supérieur de l’armée en brûlant les étapes et sans mérite.
En définitive, la loi d’entente nationale n’aura pas atteint ses objectifs si elle est mise à profit pour réveiller toutes les frustrations liées à tant d’accidents de l’histoire. Par la faute d’un homme qui a plus ri au nez de ses concitoyens qu’il ne leur a demandé pardon.
A KEÏTA