C’est un véritable séisme judiciaire qui secoue actuellement le secteur du transport routier malien. Quinze agents et complices opérant dans les postes de péage du pays ont été interpellés par le Pôle national de lutte contre la cybercriminalité. Ils sont accusés d’avoir orchestré un vaste système de détournement de fonds publics, en manipulant les dispositifs informatiques censés assurer la transparence des recettes issues des péages.
Bamada.net-Ce coup de filet spectaculaire a été rendu public le lundi 12 mai 2025, par le Procureur du Pôle national spécialisé, Dr Adama Coulibaly, au journal télévisé de 20h sur l’ORTM. Il s’inscrit dans le cadre d’une série d’enquêtes ouvertes à la suite de dénonciations formulées par des structures internes de contrôle et d’audit.
Une fraude numérique bien rodée
Les suspects, pour la plupart affectés à divers postes de péage stratégiques autour de Bamako et sur les corridors économiques, auraient déployé des logiciels pirates et des applications contrefaites sur leurs ordinateurs professionnels. Objectif : modifier les données saisies dans les systèmes de facturation et générer des tickets fictifs ou altérés.
Selon le procureur Coulibaly, certaines manipulations consistaient à faire passer un gros porteur pour un véhicule léger, réduisant ainsi artificiellement les recettes collectées. Les différences tarifaires, elles, prenaient directement la direction des poches des agents véreux.
« Les infractions sont graves : atteinte à la confidentialité et à l’intégrité des systèmes d’information, détournement de fonds publics et usage de moyens frauduleux à des fins d’enrichissement illicite », a déclaré le procureur.
La digitalisation : bouclier contre la fraude
Le scandale aurait pu rester dissimulé si l’État malien n’avait pas enclenché un processus de digitalisation des recettes de péage. Cette modernisation, aujourd’hui en phase de déploiement avancé, a permis de relever des écarts de performance inexplicables entre les données enregistrées par les anciens systèmes et les nouveaux outils numériques.
Prenons l’exemple du poste de péage de Kati, à 15 km de Bamako : les recettes mensuelles sont passées de 29 millions de FCFA avant la digitalisation à 73 millions de FCFA après la mise en place du nouveau système. À Massala, sur la route de Koulikoro, les revenus sont passés de 1,5 million de FCFA à plus de 3 millions de FCFA en un mois.
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« Rien qu’en comparant les anciens relevés manuels avec ceux générés automatiquement aujourd’hui, nous avons pu détecter un manque à gagner colossal », affirme le procureur. Le montant total détourné par le réseau démantelé est estimé à plus de 223 millions de FCFA. Une somme déjà en partie récupérée grâce à la saisie de matériel et à la coopération de certains prévenus.
Un réseau structuré sur plusieurs sites
Les faits ne sont pas isolés. Le parquet évoque l’existence d’un réseau organisé s’étendant à une dizaine de postes de péage à travers le pays. Ce réseau aurait mis en place des mécanismes sophistiqués : logiciels clandestins, tickets falsifiés, manipulations de données et suppression de certaines transactions du système officiel.
Selon nos informations, plusieurs des personnes interpellées auraient déjà avoué leur implication dans ces pratiques, dévoilant au passage l’existence de complicités au sein même des structures de supervision. Ce qui pose la question de l’efficacité des dispositifs de contrôle internes et de la nécessité d’une réforme profonde du modèle de gestion des infrastructures routières.
Une volonté politique de plus en plus ferme
Cette opération marque une étape majeure dans la politique d’assainissement des finances publiques prônée par les autorités de la transition. La lutte contre la corruption, notamment dans les secteurs sensibles comme les infrastructures, la douane ou les mines, est l’un des piliers de cette gouvernance.
Pour le parquet national, la digitalisation est aujourd’hui le levier principal pour garantir la traçabilité des recettes publiques. Elle permet également d’automatiser les contrôles, de réduire la manipulation humaine et de fermer la porte aux pratiques frauduleuses qui gangrènent depuis longtemps les régies de recettes.
« Tant qu’on reste dans le manuel ou le semi-manuel, les agents trouveront toujours des failles. Il est temps que chaque transaction au niveau des postes de péage soit informatisée, centralisée et surveillée en temps réel », a insisté Dr Coulibaly, appelant à renforcer la formation du personnel et la sécurisation des outils numériques.
La société civile appelée à la vigilance
Dans un pays où la route reste le principal vecteur de circulation des personnes et des biens, le bon fonctionnement des infrastructures routières conditionne directement le développement économique. Or, les recettes des péages sont destinées au Fonds d’entretien routier (FER), vital pour maintenir les routes en état, surtout en période hivernale.
Le détournement de ces fonds porte donc atteinte non seulement aux finances publiques, mais aussi à la mobilité, à la sécurité routière et à la croissance économique. D’où l’importance de la mobilisation citoyenne, pour dénoncer les abus, surveiller les pratiques, et exiger des résultats dans la lutte contre l’impunité.
Le procureur a d’ailleurs salué la contribution de plusieurs structures de la société civile et d’organismes de contrôle dans la révélation de ce scandale. « Cette affaire montre que quand les institutions et les citoyens collaborent, il devient possible de mettre un terme à certaines pratiques devenues malheureusement banales », a-t-il souligné.
Enquête en cours, justice attendue
À l’heure où nous mettons sous presse, les investigations se poursuivent pour identifier tous les maillons de la chaîne, y compris d’éventuels complices dans les services de contrôle et de comptabilité. Le parquet a promis des poursuites sans complaisance, dans le respect des droits des personnes mises en cause, mais avec la plus grande fermeté.
Cette affaire pourrait bien faire jurisprudence et accélérer la mise en place d’un cadre rigoureux de gestion des péages et, plus largement, de toutes les régies génératrices de revenus au Mali.
Pour l’heure, la société attend des sanctions exemplaires et des réformes structurelles. Car ce n’est qu’à ce prix que la confiance entre les citoyens et l’administration pourra être restaurée.
Argent des péages détourné : le Procureur Coulibaly sort l’artillerie lourde
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MLS
Source: Bamada.net