Naréna, 5h du matin. Le jour n’est pas encore levé sur le Mandé profond, mais déjà, les flammes s’élèvent dans le ciel de cette bourgade aurifère, située à seulement 86 kilomètres de Bamako. Ce lundi 12 mai 2025, une attaque violente secoue le sommeil de toute une région. Deux sites d’orpaillage artisanal, exploités par des ressortissants chinois, sont pris pour cible. Le feu, les balles, les cris — et puis, le silence.
Ce qui s’est passé ce matin-là à Naréna, dans le cercle de Kangaba, n’est pas un simple fait divers. C’est le symptôme d’un mal plus profond, d’une stratégie insidieuse que les groupes armés imposent désormais au sud du Mali : frapper là où ça fait mal, là où l’économie populaire résiste, là où l’État peine à protéger.
Le nouvel or noir des terroristes
L’or. Ce métal qui brille dans nos rêves et nourrit nos villages. Jadis, l’or du Mandé faisait la richesse des empires ; aujourd’hui, il alimente les convoitises, les tensions, les conflits. Depuis quelques années, on assiste à une ruée vers les sites aurifères de Koulikoro, Yanfolila, Kolondieba ou Kangaba. Pas seulement des chercheurs d’or, mais aussi des entreprises étrangères, notamment chinoises, venues chercher leur part de fortune dans cette terre fertile.
Mais cet eldorado rural attire aussi une autre catégorie d’acteurs : les groupes djihadistes. Sous pression dans le Nord et le Centre, ils changent de tactique. Leur nouvelle arme ? La déstabilisation économique ciblée. Ils ne cherchent plus seulement à imposer la terreur, mais à étouffer les poumons financiers des régions encore stables. En brûlant les machines d’extraction, en tuant, en enlevant, ils envoient un message : « Nous sommes partout. »
Le sud n’est plus épargné
Combien de fois avons-nous répété que le Sud était « à l’abri » ? Une illusion. En réalité, le feu couvait sous la cendre. Les premières braises sont apparues discrètement : attaques sporadiques, menaces contre les exploitants, rumeurs de présence djihadiste dans la forêt classée du Mandé. Et maintenant, c’est un incendie ouvert.
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Naréna, ce n’est plus seulement une localité paisible aux abords de la frontière guinéenne. C’est désormais un terrain d’affrontement stratégique, où l’insécurité économique se mêle à l’insécurité physique. Derrière chaque machine brûlée, ce sont des familles brisées, des emplois perdus, des villages abandonnés.
Qui protège encore nos zones minières ?
On s’interroge. Où était l’État ? Où était la gendarmerie de Kangaba ? Pourquoi ces sites, que l’on sait sensibles, ne sont-ils pas sous surveillance renforcée ? Faut-il attendre que la terre soit entièrement pillée, que les investisseurs fuient, que les jeunes désertent les campagnes, pour que les autorités réagissent ?
Certes, l’armée est engagée sur plusieurs fronts. Certes, les moyens sont limités. Mais la protection des zones minières n’est pas un luxe : c’est une priorité nationale. Parce qu’à travers elles, c’est la souveraineté économique du Mali qui est en jeu. C’est notre capacité à bâtir un avenir sur nos ressources, et non sur l’aide étrangère.
Le Mandé résistera-t-il ?
Les populations locales, elles, n’ont pas attendu les autorités pour comprendre le danger. Elles observent, elles se taisent, mais elles savent. Que se passera-t-il demain si les Chinois se retirent ? Si les sites ferment ? Si les jeunes sans travail rejoignent les katibas pour quelques billets ? Naréna est aujourd’hui un symbole, un test de notre résilience collective.
Il ne s’agit pas seulement de pleurer les morts ou de compter les machines détruites. Il faut agir, et vite. Sécuriser les axes, protéger les exploitants, encadrer l’orpaillage, mais aussi ramener la présence de l’État là où elle n’est plus qu’un souvenir.
Dans cette guerre silencieuse qui se joue autour de nos ressources, chaque attaque est un avertissement. Et chaque silence, une complicité.
Naréna brûle. Le Mandé retient son souffle. Et le Mali tout entier devrait prêter l’oreille.
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Fatoumata Bintou Y
Source: Bamada.net